• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Problématique et objectifs de recherche

2.6 Trancher le débat : certaines informations manquent encore

Bien que certains praticiens du DIY s’engagent dans des activités se voulant à faible impact environnemental, social et éthique (Salvia et Copper, 2016), il est difficile d’affirmer qu’il s’agit bel et bien d’un DIY responsable. Il peut arriver que pour une même pratique, même en désirant être aussi responsable que possible, plusieurs effets soient présents sur l’environnement et la société. Tel que présenté à la section 2.3 précédente, ces impacts peuvent être autant positifs que négatifs selon le type de projet mené, le comportement et les valeurs du praticien ainsi que les possibilités d’approvisionnement en matériaux s’offrant à lui. Pour ces raisons, l’aspect responsable de la pratique du DIY fait encore débat au sein de la communauté scientifique (Déméné, 2016 ; Salvia, 2016).

Un des moyens envisageables pour trancher ce débat serait de réaliser une analyse de cycle de vie (ACV) comparative entre un objet issu d’un projet de DIY et le même objet issu d’une production industrielle (Barros et Zwolinski, 2016). En effet, l’ACV est un outil d’aide à la décision pertinent puisqu’il permet de dresser un portrait environnemental d’un produit en évaluant ses impacts environnementaux à toutes les étapes du cycle de vie, soit de l’extraction des ressources, en passant par la fabrication, la distribution, l’usage, et la fin de vie utile (Belem, 2005 ; Jolliet et al., 2010 ; Margni, 2016). Il est également le seul outil à ne pas se limiter à aucune frontière géographique ou temporelle, permettant de considérer le produit dans sa globalité (Belem, 2005). En visant à quantifier l’ensemble des entrants et des sortants (Margni, 2016), l’ACV intègre plusieurs aspects, tels que l’approvisionnement en ressources, les procédés de fabrication, le type de matériaux ainsi que l’énergie nécessaire. Puis, une fois l’inventaire des émissions et extractions terminées (Jolliet et al., 2010), cette méthode permet de transposer les éléments quantifiables en indicateurs des impacts sur l’environnement et la société, comme les changements climatiques, la réduction de la couche d’ozone, la déforestation, la perte de biodiversité, l’atteinte à la santé humaine et à celle des écosystèmes, etc. (Faludi et al., 2015 ; Margni, 2016). Ces résultats sont ensuite interprétés afin de tenir compte des incertitudes et limitations de l’analyse ainsi que de

proposer des options d’amélioration pouvant intégrer le processus de conception et de fabrication du produit (Jolliet, 20210 ; Vernier, 2013).

Même si le Sommet mondial sur le développement durable tenu en 2002 reconnaissait que « l’ACV est une approche scientifique valable pour créer des politiques améliorant les produits et les services tout en réduisant leurs répercussions négatives sur l’environnement et la santé humaine » (Margni, 2016, p. 129), cet outil présente des limites. D’abord, malgré la possibilité d’analyser scientifiquement l’impact du DIY avec cette approche, c’est notamment la composante environnementale qui prédomine dans une ACV (Belem, 2005). Toutefois, pour être complète sur le plan de la responsabilité, l’analyse devra tenir compte autant des composantes environnementales que sociales. Des éléments intangibles devront être pris en compte dans le calcul, comme le développement personnel du praticien, l’influence de sa pratique sur ses décisions d’achat futures ainsi que l’impact social lié à sa participation au sein de communautés de DIY (Salvia, 2016). De plus, l’ACV devra tenir compte du profil des praticiens puisque ce facteur a été reconnu comme ayant un impact important sur le calcul de comparaison (Barros et Zwolinski, 2016). Ces aspects sociaux, qui sont d’ordre qualitatif, rendent leur considération encore plus complexe dans le processus quantitatif d’une ACV.

Par ailleurs, réaliser une ACV implique de définir certaines hypothèses, comme la durée de vie utile du produit, une tâche qui est inévitablement sujette au point de vue de l’analyste (Andrea et Andersen, 2010 ; Salvia, 2016). Celle-ci devra également dépendre des informations disponibles dans les bases de données. En effet, cette méthode implique d’avoir recours à des bases de données très détaillées, notamment au niveau de chacune des étapes que le produit est amené à parcourir (Belem, 2005). Pour être en mesure de réaliser une telle analyse pour un produit du DIY, il est alors nécessaire de connaître le processus de conception et de fabrication, c’est-à-dire le détail des étapes à travers lesquelles les praticiens cheminent lorsqu’ils réalisent un projet de DIY. À partir de cette information, il devient possible d’évaluer de façon plus précise et appliquée les impacts engendrés par la pratique du DIY, et plus largement, d’apporter des réponses au débat scientifique entourant cette question. Cependant, le processus de conception et de fabrication, c’est-à-dire la façon dont les praticiens font du DIY, a été très peu documenté dans la littérature à ce jour. Ainsi, trancher le débat à savoir si le DIY est une pratique pouvant s’inscrire dans une approche de PCR s’avère relativement compliqué en considérant l’état des connaissances actuelles, et ce, même avec une ACV.

Néanmoins, sans prétendre arriver à trancher le débat, cette présente étude tente de faire avancer sa discussion, une tâche qui reste plausible et souhaitable pour l’avancement des connaissances sur le DIY. Pour y parvenir, et comme certaines informations manquent encore à l’équation, il est nécessaire d’étudier les praticiens et leur pratique du DIY pour arriver à déterminer le potentiel

responsable du DIY (Kohtala et Hyysalo, 2015). En effet, dans l’objectif de tendre vers une production et consommation responsables, il est important de considérer non seulement qu’est-ce qui est produit et pourquoi, mais aussi comment les objets sont produits (Kohtala, 2015). Cet élément de la pratique du DIY est primordial étant donné qu’il permet de comprendre comment les praticiens réalisent concrètement leurs projets. Kohtala et Hyysalo (2015) vont même jusqu’à dire que des recherches sur l’impact environnemental et social du DIY passent inévitablement par l’étude des pratiques des praticiens, des matériaux employés et des outils technologiques utilisés. Ainsi, pour enrichir le débat qui entoure l’impact environnemental, social et éthique de la pratique du DIY, et pour nourrir de façon préliminaire les bases de données de l’ACV, il est primordial de commencer, dans un premier temps, par en comprendre les diverses façons de le pratiquer. Dans cette optique, la présente recherche s’inscrit dans le projet ambitieux de documenter, pour la première fois, les étapes liées à la conception et la fabrication d’un objet selon une approche de DIY.

Dans un deuxième temps, et avec les enjeux environnementaux actuels, relever les différentes opportunités responsables permettant aux praticiens du DIY de revisiter les modes de production et consommation employés actuellement dans leur pratique s’avère essentiel. En s’inspirant de l’ACV conceptuelle qui vise à relever les aspects environnementaux significatifs de certaines des phases du cycle de vie d’un produit (Belem, 2005), le processus de conception et de fabrication des praticiens du DIY pourrait être analysé selon une approche de PCR. En d’autres mots, il serait question de s’attarder à savoir si pratiquer le DIY relève plus d’un passe-temps superficiel incitant à la consommation ou d’une activité créative permettant le développement de capacités et la préservation de l’environnement (Kohtala, 2017) ? Dans un objectif d’éducation, cette information pourrait alors servir à l’énonciation de solutions sous la forme de recommandations concrètes à l’intention des praticiens du DIY qui désirent avoir une pratique davantage axée sur la protection de l’environnement (Kohtala et Hyysalo, 2015). Celle-ci permettrait d’offrir des réponses, à la fois aux praticiens qui s’intéressent à ce sujet, qu’aux autres plus ou moins aguerris en la matière. Par ailleurs, en étudiant le processus de conception et de fabrication des praticiens du DIY et en identifiant les opportunités responsables issues de ce dernier, il sera possible d’améliorer la définition du DIY responsable qui a été présentée à la section 2.5 précédente et qui n’a été élaborée qu’à partir d’une analyse de la littérature. Également, les connaissances générées pourront servir de barème pour les prochaines recherches concernant le débat de l’impact environnemental, social et éthique de cette pratique et qui divise toujours le monde scientifique.