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Trajectoires-types, entrée dans la vie adulte et différences en termes d’espace des possibles

Parcours scolaires en France et espace d’opportunités : une analyse à l’aune de la théorie des capabilités de Sen 

R ESULTATS DU MODELE MULTINOMIAL

3.2. Trajectoires-types, entrée dans la vie adulte et différences en termes d’espace des possibles

Afin d’apprécier l’espace des possibles des individus, nous avons retenu différents critères susceptibles de révéler les opportunités offertes par chacune des trajectoires. Les résultats qui suivent se basent sur l’enquête Jeunes de 2002, soit sept ans après l’entrée en sixième et sur les données de l’entrée sur le marché du travail (2004, 2005 et 2007). Les résultats suivants ont été obtenus par le croisement entre les différentes trajectoires et les situations aux années données précédemment.

Nous nous concentrons alors sur trois dimensions renseignant sur l’espace possible des personnes : le choix dans les parcours de formation, l’accès à l’autonomie résidentielle et le rapport au marché du travail. La première renvoie au fait que certaines trajectoires sont contraintes du point de vue des choix scolaires, les deux dernières renvoient à deux dimensions fondamentales pour le passage à la vie adulte : le logement et l’emploi.

3.2.1. Le choix dans les parcours de formation

Pour cette dimension, on observe que seuls 66% des jeunes appartenant à la trajectoire 4 (professionnelle) et 69% des jeunes appartenant à la trajectoire 3 (technique) ont toujours été orientés selon leurs vœux, contre 95% des jeunes de la trajectoire 1 (universitaire long et linéaire) et ceux de la trajectoire 2 (universitaire avec réorientation vers le professionnel). Ainsi pour les jeunes des trajectoires techniques et professionnelles plus de 30% des orientations sont subies et ne résultent donc pas d’un véritable choix (contre 5% de choix subis dans les parcours universitaires). Nous retrouvons l’idée que ces filières d’études en France sont considérées comme des filières par défaut, au sein desquelles parfois l’orientation se fait de manière contrainte. La trajectoire 4 semble donc moins « capabilisante » que la trajectoire 1. 3.2.2. Le logement

Au-delà des résultats scolaires de l’enfant, certains facteurs, tel que le logement, contribuent à ouvrir ou à fermer le champ des possibles pour les acteurs sociaux. Les établissements d’enseignement supérieur ne

se répartissent pas de manière uniforme sur l’ensemble du territoire français : certains lieux en sont davantage dépourvus que d’autres. Face à cette inégale répartition des établissements d’enseignement supérieur, certains étudiants sont soit contraints de décohabiter pour suivre les études qu’ils souhaitent, soit contraints de choisir une filière à proximité du domicile parental. En effet, tous les jeunes, et notamment leurs parents ne peuvent supporter le coût associé à la décohabitation. De plus en raison d’une structuration de l’espace géographique, qui tend à concentrer les cadres supérieurs dans les lieux universitaires et à en éloigner les employés et les ouvriers, ce sont les enfants de ces derniers qui sont le plus contraints de décohabiter, alors même que ce sont eux qui ont les plus faibles possibilités financières. Trois ans après le baccalauréat, les jeunes de la trajectoire 1 (cursus universitaire long et linéaire) sont pour 65% d’entre eux décohabitants, alors qu’ils sont seulement 35% du type 4 (formation professionnelle) et 41% du type 3 (formation technique). Si les jeunes des formations techniques et professionnelles décohabitent moins cela peut s’expliquer par le fait que ces formations supérieures de type technologique ou professionnelle, soit des IUT, soit des BTS sont davantage présentes sur le territoire français que des classes préparatoires ou même un premier cycle universitaire.

Ces différences persistent cinq ans et six ans après le baccalauréat. Cinq ans et six ans après le baccalauréat les jeunes de la trajectoire 4 et la trajectoire 3 sont en emploi, alors que ceux de la trajectoire 1 sont toujours en études. Ainsi, de manière paradoxale, les jeunes qui poursuivent des études longues décohabitent plus souvent que les jeunes qui ont suivis des études courtes de type professionnel ou technique et qui sont en emploi. L’emploi n’apparaît donc pas comme une condition pour l’accès à l’autonomie résidentielle. En outre, cela permet de souligner le fait que certains parcours de formation sont plus restrictifs sur le champ des possibles du point de vue de l’indépendance résidentielle (Farvaque, Oliveau, 2004).

3.2.3. Le marché du travail

Si aucun des jeunes n’envisage pas de ne pas travailler sept ans après leur entrée en sixième, leurs attentes vis-à-vis du travail varient selon leur trajectoire d’appartenance. Ainsi seulement 18% des jeunes du parcours 1 (universitaire long et linéaire) veulent que leur futur métier leur assure la garantie de l’emploi contre 26% pour ceux de la trajectoire 2 (universitaire avec réorientation professionnelle), ceux de la trajectoire 3 (technique) et ceux de la trajectoire 4 (professionnel), et 25% pour ceux de la trajectoire 5 (universitaire court).

77% des jeunes de la trajectoire 1, trajectoire 2 et trajectoire 5 souhaitent travailler dans un domaine qui les passionne, contre seulement 63% pour ceux de la trajectoire 4 et 67% pour ceux de la trajectoire 3. Ainsi, les trajectoires plus professionnelles (3 et 4) se démarquent par des ambitions légèrement inférieures.

Quelque soit la trajectoire type dans laquelle se situe le jeune, entre 2004 et 2007, la proportion de jeunes optimistes par rapport à leur avenir professionnel augmente. Toutefois des différences apparaissent entre les trajectoires. Ainsi les jeunes de la trajectoire 4 (professionnelle) et ceux de la trajectoire 1 (cursus universitaire long et linéaire) sont respectivement 66% et 64% à être optimistes sur leur avenir professionnel. En revanche seulement 48% des jeunes appartenant à la trajectoire 2 sont optimistes par rapport à leur avenir professionnel. Ceci pourrait notamment s’expliquer par le fait que ces personnes ont plutôt mal vécu leur ré-orientation, par exemple en revoyant leurs objectifs à la baisse.

Enfin, il faut noter que suivant leur trajectoire d’appartenance les jeunes sont plus ou moins nombreux à rencontrer des difficultés financières. En 2007, 28% des jeunes de la trajectoire 1 et 28% des jeunes de la trajectoire 2 ont rencontré des difficultés financières, contre 38% de ceux la trajectoire 3 et 37% de ceux de la trajectoire 4. Ainsi on constate que l’appartenance à une trajectoire type peut induire des contraintes supplémentaires dans la vie quotidienne, en l’occurrence ici le fait de faire face à des difficultés financières.

Conclusion

L’objectif de ce travail était d’analyser les parcours de formation des individus à l’aune de la théorie des « capabilités » de Sen, afin de rendre compte de l’espace des possibles des individus. Un modèle multinomial nous a conduit à déterminer les caractéristiques des personnes appartenant à telle ou telle

trajectoire et nous a permis de montrer que des éléments tels que le niveau de diplôme du père, le fait d’être inscrit dans une bibliothèque et les ressources envisagées pour l’avenir des enfants jouaient, au départ, un rôle significatif sur l’affectation à une trajectoire. Ainsi par exemple, nous avons montré qu’un niveau de diplôme du père élevé et le fait de ne pas être inscrit dans une bibliothèque par exemple diminue très significativement les risques d’appartenir aux formations plus professionnelles (trajectoire 3 et 4). Qui plus est, nous avons indiqué que les résultats à l’entrée dans le secondaire et un redoublement au primaire jouaient également un rôle déterminant. Ces éléments nous indiquent qu’à la base des parcours certains individus disposent d’une marge de manœuvre assez limitée dans leur trajectoire. Dans un deuxième temps, nous nous sommes efforcés de montrer l’influence de l’appartenance à une trajectoire type sur l’espace des possibles des individus. Ainsi par exemple, les individus ayant fréquenté le parcours 4 (professionnel) ont davantage effectué des choix scolaires contraints. Par ailleurs, nous avons croisé les différentes trajectoires avec deux dimensions cruciales pour l’accès à l’autonomie : le logement et l’emploi. Ces deux éléments ont permis de mettre en avant le fait que certaines trajectoires peuvent déboucher sur des situations plus contraintes, telles que ne pas accéder à l’autonomie résidentielle alors que l’on est sur le marché de l’emploi ou encore rencontrer davantage de difficultés financières. Cela renvoie au fait que « la précarisation des emplois et le chômage retiendraient également les jeunes au domicile parental. Avoir un emploi précaire ne suffit pas toujours pour quitter le domicile parental » (Dormont, Dufour-Kippelen, 2000).

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