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VI. Une mixité sociale est-elle possible ?

6.3. Des trajectoires résidentielles différentes comme conséquences de logiques résidentielles

Lors des différentes observations réalisées dans les communes, la fonction résidentielle des quartiers d’habitat sociaux a été relevée. Ces zones n’ont pas d’autres fonctions. Les logements se ressemblent au sein de la même rue mais également entre les différentes communes. Les modes architecturaux sont les mêmes, et la disposition est la

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même. Ce sont des « cités dortoirs ». L’introduction dans ces cités de dispositifs d’aide, d’accompagnement et d’animation a vocation à donner une autre fonction de ces quartiers afin de favoriser la création d’un nouveau lien social entre habitant.

Le logement social sur la CAMSMN est différent selon les communes, certaines communes rurales ont uniquement du logement individuel tandis que d’autres ont plus de logements collectifs. Les modes d’habiter sont différents selon ces types de logement. Les personnes qui vivent dans les logements collectifs sont plus confrontées à des problèmes de voisinage et d’incivilité. C’est dans ce type de logement que le turn over est le plus important. Les modes de vie collectifs et individuels ne sont pas caractérisés par les mêmes problèmes. Les habitants de logement collectif sont plus soumis et contraints à une vie collective du fait de la proximité des logements et des parties communes. Comme l’a souligné une personne d’un service logement « il faut apprendre à vivre en collectif ». Apprendre à vivre en collectif veut bien dire que les modes d’habiter et les manières de vivre sont différents selon chacun. Il faut intérioriser de nouvelles règles et s’approprier un espace collectif. C’est un style de vie qui doit faire l’objet d’un apprentissage, notamment pour les personnes qui vivaient auparavant dans un logement individuel. Les individus doivent faire face à un processus d’acculturation, c’est-à-dire que leur culture, ou du moins leurs modes de vie, vont être transformés au contact d’autres individus. Les conflits apparaissent lorsque cette acculturation n’est pas réussie. Selon Redfield, Herskovits et Linton, l’acculturation peut être définie comme « l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre

des groupes d’individus de cultures différentes et qui entrainent des changements dans les modèles culturels originaux de l’un ou des autres groupes ». Ici il s’agit particulièrement de

la culture résidentielle et des modes d’habiter. L’acculturation en géographie est un concept qui est souvent évoqué. Le déplacement d’un individu ou d’un groupe d’individus engendre souvent un processus d’acculturation dans un pays d’accueil. A une échelle moins importante, le même constat peut être fait pour les personnes qui viennent s’installer dans un logement social collectif. Il est nécessaire pour les habitants de passer par ce processus d’acculturation afin de favoriser le vivre ensemble et de limiter les conflits.

136 Photographie : Résidence Beauséjour à Saint-Hilaire-du-Harcouët

Crédit photo : Marion Lejeune

Le collectif est marqué par une proximité entre voisins et un partage de parties communes. Cependant ce n’est pas forcément dans ce type de structure que les relations sociales sont les plus importantes. La proximité physique peut entrainer l’éloignement des relations sociales et une certaine distance. Max Weber35, dans son ouvrage Economie et

société (1971), écrit « il existe une tendance fondamentale non pas à resserrer les liens mais plutôt à maintenir la plus grande distance possible en dépit (ou précisément à cause) de la proximité physique ». R. E. Park36, sociologue de l’école de Chicago, s’inscrit dans les mêmes

idées et met en avant qu’une aire naturelle n’est jamais tout à fait homogène, et que le voisin du citadin n’est pas vraiment son semblable. La proximité physique n’exclut pas la distance sociale. Au contraire, elle peut la révéler et la renforcer et de ce fait créer des tensions et des conflits. Cependant, le focus sur le quartier de la Turfaudière – Mermoz permet de montrer que dans ce type d’habitat une forme de solidarité se met tout de même en place bien que ces conflits soient présents dans ce quartier et structure une partie de la vie quotidienne des habitants.

Des conflits ont lieu dans toutes les communes, cependant ceux-ci sont parfois de faibles importances. De plus il ne faut pas définir les conflits comme éléments propres aux quartiers de logements sociaux puisque dans tous types d’habitations, sociales ou privées, des conflits peuvent avoir lieu. Les conflits sont le résultat d’une acculturation qui n’a pas été faite correctement mais aussi de modes d’habiter différents. Les parcours résidentiels divers produisent ce résultat. Les habitants, bien qu’ils aient de nombreuses caractéristiques

35

Weber Max, Economie et société, I, Paris, Plon, 1971

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Park Robert E., La ville comme laboratoire social (1929), in Y. Grafmeyer, I. Joseph, L’Ecole de Chicago. Naissance de

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communes, ne s’inscrivent pas tous dans les mêmes logiques résidentielles. Certains habitants voient dans le logement social une étape transitoire tandis que d’autres y sont depuis des années et souhaitent y rester. L’avenir résidentiel n’est pas envisagé de la même façon par tous ce qui conduit à des modes d’habiter divers et des tensions peuvent voir le jour.

Anne Lambert37, dans son étude d’un quartier périurbain, revient sur les formes de micro ségrégation dans ces espaces. Bien qu’à première vue ces espaces semblent homogènes, une étude plus poussée de ces quartiers permet de constater que ces espaces sont hiérarchisés. Une cohabitation de ménages qui n’ont pas les mêmes priorités sociales et les mêmes perspectives de mobilité est présente. Des enjeux de classement au sein du voisinage se font sentir. L’ordre spatial de ces quartiers reflète la hiérarchie sociale. La sphère résidentielle est un lieu de recomposition des inégalités. Anne Lambert note également que « les contours de

la sociabilité ne répondent pas seulement à des logiques de proximité spatiale mais s’inscrivent dans les limites des groupes sociaux identifiés ». Il en est de même pour le

quartier d’habitat social, les habitants n’ont pas tous les mêmes aspirations et les mêmes perspectives de mobilité. Certains souhaitent partir au plus vite tandis que d’autres se sentent bien et ces logements correspondent à leurs attentes de trajectoires résidentielles. Le raisonnement longitudinal38 permet d’appréhender les histoires de vie et les trajectoires résidentielles. Ces différences dans les modes d’habiter et les projets entrainent des conflits de voisinage. Une forme de contrôle social s’instaure également entre les voisins des différents groupes. Il s’agit d’un contrôle informel qui se joue entre voisins et amis. Les rapports d’échanges sont aussi des rapports de force entre différents acteurs. Par contrôle social, il faut entendre la définition suivante : le contrôle social est l’ensemble des moyens et des pratiques, formels ou informels, mis en œuvre au sein d’une société ou d’un groupe social, pour que ses membres agissent en conformité avec les normes dominantes en vigueur. Cette notion est apparue dans les années 1920 chez les sociologues de l’Ecole de Chicago. Talcott Parsons39 donne une définition plus restreinte : « le processus par lequel, à travers l’imposition de

sanctions, la conduite déviante est contrecarré et la stabilité sociale maintenue ».

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Lambert Anne, Tous propriétaires ! L’envers du décor pavillonnaire, Paris, Seuil, coll. « liber », 2015, 278p.

38

Grafmeyer Yves, Authier Jean-Yves, Sociologie urbaine, Armand Colin, coll. « 128 », 2008, 126p.

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