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III. Données statistiques et enjeux d’un territoire rural

3.5. Analyse des données : quelles problématiques pose ce territoire rural ?

3.5.2. Comparaison avec des territoires urbains et d’autres types résidentiels

Les différentes enquêtes sociologiques sur les types résidentiels démontrent l’intérêt de ce type d’objet sociologique. L’intérêt que portent les sociologues, mais également les historiens ou les géographes, aux espaces résidentiels. Le courant sociologique de l’Ecole de Chicago est le premier à avoir étudié la ville comme un objet social. Les différentes études sur la ville, notamment réalisée par Robert Ezra Park, Ernest Burgess ou encore Roderick D. McKenzie, ont montré l’importance de l’organisation d’une ville et de son peuplement. Pour ces sociologues, la ville représente un véritable laboratoire social où les phénomènes sociaux sont visibles et appréhendables. Cette organisation urbaine est « la conjonction, perpétuelle

redéfinition, d’une société complexe et d’un espace différencié ». L’organisation d’une ville

donne à voir l’organisation sociale et les rapports qui se jouent entre individus. Les interactions peuvent y être étudiées afin de donner des éléments de compréhension des phénomènes sociaux. Selon Robert Ezra Park, la ville amplifie, étale et affiche les manifestations les plus variées de la nature humaine, de ce fait pour comprendre la nature humaine il faut s’intéresser à l’objet ville qui peut être appréhendé. Ces sociologues se sont notamment intéressés au processus d’exclusion et de ségrégation qui se produisent dans une ville. Si à première vue, ces phénomènes peuvent être uniquement vus comme subis et néfastes, il n’en est pas moins qu’ils peuvent également être recherchés en tant que

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« manifestation d’un vouloir vivre ensemble ou d’un refus de l’autre »26. La ville met en présence des personnes ayant des caractéristiques socio-démographiques différentes avec une certaine proximité spatiale mais pourtant, l’Ecole de Chicago, met en avant que cette proximité spatiale n’inclut pas nécessairement une proximité sociale. La proximité physique n’a pas nécessairement un effet mécanique d’uniformisation des individus et de réaffirmation des liens sociaux. Jean-Claude Chamboredon et Madelaine Lemaire ont également développé ce point dans leur article intitulé « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement ». L’étude de la ville permet de saisir les différents phénomènes sociaux présents dans un groupe d’individus hétérogène et qui n’agissent pas selon les mêmes règles. Cependant, le monde rural doit également être appréhendé. Bien que l’Ecole de Chicago se soit attachée à la ville comme objet d’étude, symbole d’une expansion visible et d’une mobilité, le monde rural a aussi un intérêt à être étudié. En comparaison à la ville, le monde rural n’a pas les mêmes enjeux et ne donne pas lieu aux mêmes phénomènes sociaux.

Les différents espaces, rural ou urbain, ont fait l’objet de différentes études sociologiques, plus contemporaines. Les espaces résidentiels sont aujourd’hui un réel objet pour approcher les relations qui se jouent entre voisins ou plus largement entre les individus, qu’ils soient de la même ville, du même quartier, ou non. Les enquêtes sur les zones d’habitats périurbains, sur les quartiers caractérisés de ghettos, ou encore sur les quartiers qui connaissent un processus de gentrification révèlent l’attachement de la sociologie aux espaces d’habitats qui sont le symbole d’une organisation sociale.

La spécialisation sociale des territoires conduits à ces enquêtes. Les différents types d’habitat peuvent être étudiés et analysés afin de comprendre les dynamiques qui se jouent autour et au sein même de ceux-ci. En effet, il arrive qu’un espace semble homogène concernant le type d’habitat et les caractéristiques socio-démographiques des habitants, or en analysant de plus près les relations au sein même du quartier des relations se jouent et des jeux de pouvoir se mettent en place. La spécialisation sociale des territoires peut être vue à travers ces exemples : le retour des cadres en ville avec notamment le processus de gentrification, les classes moyennes et populaires présentes dans les zones d’espaces périurbains et les personnes défavorisées dans les HLM. Ces différents habitats se spécialisent et des catégories socio-professionnelles s’y retrouvent. Ce phénomène tend à produire, dans certains cas, une forme de ghettoïsation.

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Anne Lambert s’interroge sur les espaces périurbains27

. A travers une enquête réalisée dans ces types de zones résidentielles elle fait une typologie qui distingue trois groupes d’accédants à la propriété dans les zones périurbaines : les vieux ouvriers qui font face à une promotion résidentielle en s’installant dans cet espace périurbain, les jeunes couples de professions intermédiaires qui voient le lotissement comme une étape dans leur vie résidentielle, et les familles de cités, c’est-à-dire des personnes qui vivaient auparavant dans des logements sociaux et qui les quittent pour les pavillons en espace périurbain. Ces trois groupes cohabitent mais la proximité spatiale entre ces groupes d’habitants aux trajectoires et aux propriétés sociales fortement différenciées ne favorise pas le rapprochement des modes de vie mais génère certaines formes de conflictualité. Ceci rappelle les conclusions de Chamboredon et Lemaire. Ce dernier groupe est celui qui intéresse ici. Elle met l’accent sur le fait que ces individus font souvent face à une déstabilisation à la fois économique et sociale. L’accession à la propriété engendre des coûts financiers plus importants et des charges plus élevées. Des concessions économiques sont faites par ces personnes venant de logements sociaux qui modifient leur mode de vie et plus largement leur mode d’habiter. La déstabilisation est donc également sociale et culturelle. Les modes d’habiter antérieurs sont déstabilisés et les relations et interactions ne sont plus les mêmes. Ces familles voient tout de même dans ces nouvelles zones résidentielles un espoir d’ascension sociale, un espace à soi, plus valorisant que le logement social et qui permet d’éviter la stigmatisation attachée à l’habitat social locatif. Pour ces nouveaux accédants à la propriété, Anne Lambert révèle que les femmes souffrent particulièrement de ce changement de mode de vie. Elles sont les premières à subir les effets, notamment à travers une coupure de la sociabilité et la division sexuée des tâches domestiques persiste, les plaçant en tant que gardienne du foyer familial.

Anne Lambert met l’accent sur la volonté, en France, de beaucoup de personnes de devenir propriétaire. Les politiques vont également dans ce sens en favorisant l’accession à la propriété. De ce fait, certaines personnes qui vivent en logement social se tournent par la suite, lorsque les ressources financières sont suffisantes, vers ces zones d’habitat pavillonnaire. Les entretiens réalisés sur le territoire de la CAMSMN vont également dans ce sens. En effet, selon les agents certains habitants ou demandeurs voient dans le logement social une période transitoire le temps de faire construire ou d’acheter une maison. Les difficultés croissantes d’accès à la propriété des classes populaires et la spécialisation sociale des espaces périurbains reflètent les évolutions structurelles de la société. L’accès à la

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propriété révèle des inégalités : les coûts de financement et les durées d’endettement varient, l’âge d’accès à la propriété n’est pas le même selon les individus, et l’éloignement géographique des centres urbains n’est pas vécu par tous de la même façon. Les compromis pour accéder à la propriété sont donc inégaux et complexes.

Cette diversité des trajectoires sociales et résidentielles de chacun dans un habitat aux caractéristiques plutôt homogènes montrent l’hétérogénéité des modes d’habiter, qui sera développé dans la dernière partie qui aura pour but de s’interroger sur la mixité sociale. Le terme de trajectoire résidentielle est un terme issu de la sociologie urbaine des années 80 pour situer les choix résidentiels des individus en fonction des déterminants économiques, sociologiques et institutionnelles. Les discours mettant en avant la ghettoïsation sont de plus en plus importants et ils invisibilisent certaines évolutions sociales de fond.

La question que se pose Anne Lambert est de savoir si les HLM ne sont pas à plats à cause de la stigmatisation et la résidualisation dont ils souffrent, et est-ce que ce sont les pavillons qui deviennent l’alternative de ces HLM ? Les zones périurbaines seraient le relais des HLM face à leur mauvaise image tant au niveau du bâti qu’au niveau plus générale concernant les problèmes socio-économiques qui y sont souvent assimilés. Selon cette auteur, les zones pavillonnaires des espaces périurbains jouent un rôle proche des quartiers de logements sociaux. Le même rôle ambivalent entre espace de promotion et zone de relégation, entre support de petite mobilité sociale et aboutissement de parcours résidentiel, s’y retrouve. Ces deux types résidentiels unifient des personnes qui n’ont pas les mêmes propriétés sociales et les mêmes perspectives de mobilité. Cette hétérogénéité des personnes vivant dans un même type d’habitat conduit à des micro-ségrégations à l’intérieur d’un même quartier. Ce phénomène peut se saisir à travers l’étude des relations de voisinage.

Les conflits de voisinage sont présents dans tous types de zones résidentielles. Cependant ils ne prennent pas la même forme et la même importance selon les zones. Les motifs ne sont pas les mêmes et les conséquences varient. Pour comprendre les différents comportements qui se jouent, l’analyse des conflits peut être un outil. L’ordre spatial reflète la hiérarchie sociale, et ceci est saisissable au sein d’un quartier. Les relations entre voisins sont parfois conflictuelles. Ces conflits interviennent souvent entre des personnes ayant des trajectoires sociales différenciées et des caractéristiques sociales différentes. La division sociale de l’espace persiste dans un quartier qui semble pourtant unifié à première vue. Il existe des enjeux de classement au sein du voisinage. Ceci est vrai pour tous types résidentiels

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et dans tous milieux, qu’il soit urbain ou rural. En effet, dans l’enquête réalisée au sein du territoire de la CAMSMN, et particulièrement sur le quartier prioritaire de la politique de la ville du territoire, situé dans l’aire urbaine d’Avranches, ces constats se valident. Des relations conflictuelles sont présentes entre des personnes n’ayant pas les mêmes modes d’habiter. « au

dessus ils font du bruit, ils vivent pas comme nous » (habitante du quartier). « les jeunes ils trainent tard, ils font du bruit, faut leur dire » (autre habitante du quartier). Les

différenciations dans les modes d’habiter entrainent des conflits et des problèmes d’incivilités fréquents. Les conflits entre voisins sont des enjeux financiers mais aussi des enjeux d’honneur et de respectabilités des familles dans l’espace local.

La micro-ségrégation présente au sein même d’un quartier est également analysée par Sylvie Tissot28 qui met l’accent sur les formes de contrôle social entre voisins. Ce contrôle social se développe dans tous types d’habitat, que celui-ci soit de l’habitat social, des zones périurbaines ou encore des ghettos. Sur un territoire rural ce contrôle social se retrouve. Le contrôle social désigne l’ensemble des pratiques sociales, formelles ou informelles, qui tendent à produire et à maintenir en conformité des individus aux normes de leur groupe social. En partant de cette définition succincte du logement social, il est possible de voir que les espaces résidentiels sont soumis à ce contrôle social, notamment informel, qui se met en place entre voisins. Les comportements de chacun sont contrôlés, et un auto-contrôle se produit pour rester en conformité avec les comportements attendus. Sylvie Tissot, illustre tout au long de son enquête l’exemple d’un quartier de Boston qui est régit par ce contrôle social. Bien que la valorisation de la diversité soit mise en avant par les habitants de ce quartier, il s’agit tout de même de « contrôler la diversité ». Sylvie Tissot, à travers l’enquête réalisée, met en lumière un processus de domination de la part de certains habitants qui contrôlent la vie du quartier. La défense de la mixité sociale induit une ouverture aux autres mais en l’organisant de façon prudente et contrôlée. Selon Sylvie Tissot « Le goût pour la mixité

sociale traduit une forme de pouvoir qui fonctionne sur la combinaison exclusion et inclusion ». C’est-à-dire, inclure des personnes différentes tout en contrôlant leurs

comportements et excluant les comportements considérés comme inadaptés au quartier. La domination prend forme à travers une élite locale qui met en place des jeux de pouvoir et de domination. La bataille pour la mixité sociale, à travers des pétitions, des tribunes, des réunions et toutes sortes de mobilisation, offre l’occasion aux élites locales de réaffirmer leur

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Tissot Sylvie, De bons voisins. Enquête dans un quartier de la bourgeoisie progressiste, Paris, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2011, 313p.

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pouvoir dans l’organisation de la diversité. A travers l’enquête réalisée par Sylvie Tissot, ce sont les jeux de domination dans un quartier prônant la mixité sociale qui se font voir. La diversité donne à voir un jeu entre proximité spatiale et distance sociale avec des relations inégalitaires entre les groupes qui passent par un contrôle.

L’enquête de Sylvie Tissot ouvre sur les différents espaces résidentiels, bien que tous les quartiers ne soient pas ouverts à cette diversité, les jeux de domination se laissent voir et la participation à la vie du quartier peut prendre la forme d’une construction d’une élite. Sur le quartier prioritaire de la politique de la ville de la CAMSMN, la plupart des personnes interrogées participaient aux différentes activités proposées. Les personnes actives dans la vie du quartier prennent donc plus d’importance et se sentent plus légitimes de contrôler les autres habitants.

L’analyse statistique et les lectures sociologiques ont permis de mettre en avant différents enjeux que pose le logement social sur un territoire rural. Les approches plus globales sur les types résidentiels permettent de confronter ce type de territoire, qui est l’objet de cette étude, à des territoires aux caractéristiques différentes. Bien que les enjeux soient différents, certains processus se retrouvent peu importe que le territoire soit rural ou urbain. Face à ces enjeux, des dispositifs sont rendus obligatoires par la loi. A présent, il s’agit de voir ce qu’il en est du fonctionnement actuel sur ce territoire et analyser les attentes de la loi.

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