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D. CRITIQUE DE L’EXCLUSION DES AVOCATS

3. Reconnaissance adaptée du droit à une protection particulière des enfants

3.1 Traitement par les tribunaux québécois

Certains jugements622 mentionnés dans la partie décrivant l’état du droit nous enseignent

que les tribunaux font parfois primer des impératifs de protection des individus sur le secret

621 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, (PJ no 115, 19 janvier 2017), préc., note 594.

622 Voir par exemple Solosky c. La Reine, préc., note 303 : la Cour suprême du Canada autorise l’inspection d’un

professionnel des avocats au terme d’une pondération des intérêts en cause. Dans notre cas, le signalement relève d’un choix législatif, non pas d’une exception de common law.

L’exercice de conciliation jurisprudentielle du droit des enfants à une protection particulière, de leur droit à la vie et de se voir porter secours ne s’est jamais effectué en rapport au secret professionnel des avocats. D’ailleurs, les décisions qui précisent l’importance quasi- absolue du secret professionnel des avocats et son élévation constitutionnelle au rang de principe de justice fondamentale ne concernaient aucunement le contexte spécifique de compromission des enfants. À cet effet, comme l’exprimait l’auteur Michel Robert en 1990 : « les tribunaux n’ont certainement pas fini de tenter de réconcilier droits des enfants et droits des adultes, besoin d’aide et besoin de protection de la société »623.

Or, dans le cas de la conciliation de cette protection avec le secret professionnel des avocats dans le contexte du signalement d’une probable situation de compromission, un choix politique transpire déjà de la loi. C’est donc strictement pour soutenir notre critique afférente à l’assise de la protection différenciée qui n’est pas assurée par l’exclusion législative actuelle des avocats que nous nous penchons désormais sur des illustrations jurisprudentielles qui se rapprochent d’un contexte de compromission d’enfants, non pas pour nous prononcer sur la validité constitutionnelle du droit en vigueur.

Le droit constitutionnel de l’enfant à un traitement répondant à ses besoins particuliers624

a été soulevé de manière innovatrice par la Juge Andrée Ruffo en 1987 quant à l’interprétation adaptée des droits et libertés garantis aux enfants dans les Chartes. Pour ce faire, elle a utilisé comme levier certaines dispositions de la LPJ, du C.c.Q., des Chartes et l’interprétation jurisprudentielle de l’intérêt de l’enfant dans un contexte de protection spécifique pouvant légitimer des « mesures douloureuses »625 pour certains adultes.

L’affaire concernait le droit aux connaissances des origines d’un enfant et il était plus particulièrement question de l’obligation d’apporter des soins appropriés dans un contexte de

623 M. ROBERT, préc., note 581, à la page 19.

624 Protection de la jeunesse – 261, [1987] R.J.Q. 1461 (T.J.), p. 17. 625 Id., p. 14.

besoin d’aide et de privation de liberté, c’est-à-dire de placement. L’ex-juge Ruffo suggère que le droit au traitement adéquat et effectif fait partie intégrante du droit à la sécurité et à la liberté de la personne prévu à l’article 7 de la Charte canadienne626. Elle incorpore pour ce faire le

concept américain de « least intrusive treatment »627. Le droit au traitement adéquat qui serait

ainsi garanti par la Charte canadienne assurerait la possibilité de trouver un remède approprié, juste et convenable, voire imaginatif et innovateur628, selon les spécificités de la situation

particulière de l’enfant.

Si l’on transpose cette logique dans le domaine qui nous occupe, nous sommes d’avis que les moyens les moins attentatoires pour limiter l’atteinte à la sécurité de l’enfant et l’entrave à son besoin de protection particulier en situation de compromission n’ont pas été préconisés par le législateur de par l’exclusion des avocats au stade du signalement. De fait, l’exclusion de tous les avocats dans ce domaine du droit ne nous semble pas judicieux, adapté, efficace et minimal, ni justifié au nom de la préservation du secret professionnel.

Cette interprétation adaptée des droits et libertés de l’enfant a également coloré d’autres décisions jurisprudentielles. De fait, dans plusieurs cas, les droits constitutionnels d’adultes s’opposaient au besoin de protection particulier des enfants. Dans certains cas, ce besoin de protection a eu préséance au terme d’un exercice de pondération des droits et libertés en cause. Dans d’autres, ce besoin de protection a servi de limite raisonnable à la violation d’autres droits au sens de l’article 1 de la Charte canadienne.

À cet effet, le Tribunal de la jeunesse a déjà statué que le droit au secours de l’enfant, corollaire de son droit à la vie et à la protection, devait avoir préséance sur le droit à la vie privée de la famille naturelle dans le contexte d’un enfant adopté qui avait besoin d’une greffe d’un membre de sa famille naturelle629. Les droits à la protection, à la sécurité et à l’intégrité des

enfants reconnus dans la Charte québécoise ont également déjà servi, dans un contexte de

626 Id., p. 19.

627 Id., p. 22 à 24, en référence au concept américain de « least intrusive treatment ».

628 Andrée RUFFO, « Le rôle du juge en matière de protection », dans Andrée RUFFO (dir.), Les enfants devant la

justice. Juges, avocats et experts témoignent, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 23, à la page 36.

compromission, de limites raisonnables au sens de l’article 1 de la Charte canadienne aux droits et libertés de parents, plus précisément à leur liberté non absolue de religion qui ne saurait primer630. Enfin, la Cour suprême a déjà considéré que le droit à la protection des enfants

vulnérables devait valablement primer pour restreindre raisonnablement et proportionnellement la liberté d’expression commerciale des fabricants de jouets631.