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D. CRITIQUE DE L’EXCLUSION DES AVOCATS

1. Tenants et aboutissants de notre réflexion

1.3 Nuances relatives à l’amalgame des avocats

Les fonctions des juristes ne sont pas stériles. Au contraire, elles se doivent d’être flexibles, surtout dans le contexte particulier d’un enfant qui a besoin d’être protégé en raison d’une probable situation de compromission. Or, l’exclusion des avocats ne permet pas à l’avocat d’assumer quelconque responsabilité morale et sociale à cet égard. C’est pourquoi nous nous permettons de critiquer l’exclusion actuelle de tous les avocats dans la LPJ. Aussi, toutes les relations avocats-clients ne soulèvent pas les mêmes impératifs et, ce faisant, elles ne devraient pas toutes être amalgamées au sein d’une même exclusion qui les distingue à tort de tous les autres citoyens et professionnels dans la LPJ.

1.3.1 Relations criminalistes-accusés

Il ne suffit pas d’adapter la pratique traditionnelle du droit à la protection particulière des enfants visés par la LPJ, puisque nous ne pouvons taire les spécificités des relations professionnelles des criminalistes. En effet, lorsque les parents sont représentés pour un crime commis contre un enfant, de nouveaux enjeux doivent alors être pondérés dans l’équation des droits et libertés à protéger pour assurer une saine administration de la justice et la préservation de la confiance du public.

Dans tous les cas, les actes répréhensibles reprochés à certains accusés, qui sont présumés innocents jusqu’à preuve hors de tout doute raisonnable du contraire, ne les rendent pas moins valables comme êtres humains bénéficiaires de plusieurs droits, alors même qu’un enfant est la victime présumée. Au contraire, leurs droits et libertés doivent être particulièrement protégés dans une société libre et démocratique et, plus encore, dans un État de droit digne de ce nom.

Nous avons déjà explicité les spécificités particulières de la relation entre les criminalistes et leurs clients accusés dans un contexte pénal liée à une situation de compromission. Rappelons néanmoins les droits et libertés constitutionnelles qui s’ajoutent au secret professionnel des criminalistes : le droit de l’accusé à une représentation adéquate et à l’assistance effective de l’avocat, le droit à une défense pleine et entière, le droit au silence, le droit à un procès juste et équitable et le droit à une protection contre l’auto-incrimination. Le cumul des intérêts opposant les différents acteurs en cause n’est pas une opération mathématique, ni systématique, mais le nombre d’enjeux impliqués de part et d’autre peut jouer dans la balance de proportionnalité permettant de déterminer le ou les droits qu’il convient de faire primer.

Au surplus, ces enjeux juridiques particuliers, qui sont liés à la teneur distincte du secret professionnel des criminalistes, relèvent du contexte criminel et pénal. Ils sont du ressort d’un autre champ de compétence que celui de la protection de la jeunesse. En effet, la compétence sur les relations familiales, et plus particulièrement celle sur les enfants, relève du droit provincial577, donc des pouvoirs de la législature provinciale en matière de « propriété et droits

civils » en vertu de l’article 92578 de la Loi constitutionnelle de 1867, alors que l’article 91579

prévoit que le droit criminel est de compétence fédérale.

577 À l’exception près des mesures accessoires au divorce, relatives à la garde et à l’entretien des enfants dans la

Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.). 578 Art. 92(13) LC 1867.

Ainsi, la LPJ, qui porte sur le bien-être et la protection de l’enfance, relève de la compétence provinciale580. Or, la Cour suprême du Canada a déjà déclaré inopérants certaines

dispositions de la LPJ, qui ont depuis été abrogées, puisqu’incompatibles avec le Code criminel et la Loi sur les jeunes délinquants581. En effet, même au nom de la protection de l’enfance, le

législateur provincial ne peut pas empiéter sur le terrain du droit criminel en raison du partage des compétences582. La prudence est donc de mise lors de l’élaboration proposition de réforme

de la LPJ ou de lois et règlements provinciaux encadrant la profession d’avocat, puisqu’il convient de s’assurer que des enjeux de droit criminel n’en seraient pas mis à mal, alors même que l’objet véritable des réformes envisagées serait la protection de l’enfance.

En plus de cette question de compétence législative, nous proposons un cadre restreint aux criminalistes en raison (1) des spécificités et du nombre d’enjeux juridiques soulevés dans le cadre de leur relation particulière avec des clients accusés et (2) de l’intention du législateur qui émane des débats parlementaires concernant l’exclusion des avocats. En effet, les mémoires déposés en commissions parlementaires et les débats entre intervenants renvoient à des illustrations qui se rapportent aux avocats exerçant spécifiquement des fonctions dans les domaines de droit criminel et pénal583.

De fait, la réalité de la relation avocat-client est toute autre quand l’objet même de la consultation est d’être conseillé à l’encontre d’accusations criminelles. Bien souvent le signalement au DPJ a déjà eu lieu en pareil contexte où la situation est alors connue de l’autorité compétente et l’enfant est déjà pris en charge. D’autres fois, un client peut consulter un avocat avant même que les faits incriminants soient signalés ou en prévision de futures inculpations : le droit de ce client de ne pas s’auto-incriminer en rapport à une situation de compromission s’applique tout autant.

580 P.G. du Québec et al. c. Lechasseur, [1981] 2 R.C.S. 253.

581 Michel ROBERT, « Le droit des enfants et le contexte constitutionnel », dans Andrée RUFFO (dir.), Les enfants

devant la justice. Juges, avocats et experts témoignent, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 3, à la page 7 :

c’est le cas des art. 40. 60, 61 et 74 de la LPJ, en regard de l’art. 504 C.cr. et de l’art. 3(1) de la Loi sur les jeunes

délinquants.

582 Id., à la page 8.

1.3.2 Procureurs à l’enfant

Contrairement à la nécessité d’un traitement distinct pour les criminalistes qui ressort de nos recherches et qui nous permet d’appuyer notre position critique qui propose de déconstruire l’amalgame de tous les avocats au stade du signalement, il en est autrement quant au traitement réservé au procureur à l’enfant. Nous avons donc fait le choix éditorial de nous limiter à apporter certaines nuances en regard à cette dernière catégorie d’avocats, sans les approfondir puisqu’elles pourraient à elles seules faire l’objet d’un mémoire distinct. Pour préciser notre pensée à cet effet, ajoutons tout de même que le droit à la protection et au secret professionnel de l’enfant, qui intervient à l’occasion de sa relation avec un procureur, devrait possiblement être apprécié en regard de l’autonomie, de la volonté et du discernement de l’enfant, notamment en regard de son âge, de sa maturité et de sa capacité juridique.

Ces considérations n’ont toutefois pas fait l’objet de préoccupations particulières à l’occasion des débats parlementaires sur le signalement, possiblement qu’elles relèvent de l’appréciation par le DPJ dans son évaluation de l’ensemble de la situation, non pas de l’appréciation du potentiel signalant et qu’elles ne devraient donc pas servir de dispense au signalement. Une autre raison pour lesquelles nous ne faisons qu’effleurer ces spécificités propres à l’enfant est que la levée du secret des autres professionnels en vertu des dispositions sur le signalement dans la LPJ n’est pas modulée différemment dans les cas où il appartient à l’enfant, qu’il soit un client ou un patient. Au contraire, les professionnels en contact avec les enfants dans l’exercice de leurs professions sont visés davantage par les dispositions en matière de signalement dans l’état actuel du droit.

Nous nous limitons donc à soulever la possible opportunité de discuter d’un cadre adapté aux procureurs à l’enfant, dans une moindre mesure et certitude que celui proposé pour les criminalistes, en raison de la pondération des intérêts en cause, laquelle implique un acteur unique dans ce cas de figure, puisque seuls les droits fondamentaux de l’enfant doivent être considérés, ces derniers n’entrant pas en conflit avec ceux d’autres individus. Ce sont alors deux droits fondamentaux de l’enfant qui s’opposent, soit son droit à la protection et son droit au secret professionnel.

Ainsi, nous ne prônons pas l’exclusion des procureurs à l’enfant des signalements dans la LPJ, alors que cette solution législative est possiblement la seule envisageable pour les criminalistes, puisque cela reviendrait à concevoir les droits à la protection et au secret professionnel des enfants de manière différente uniquement parce qu’ils interviennent à l’occasion d’une relation professionnelle avec un juriste. Or, nous déplorons précisément cette distinction de traitement des avocats par rapport à tous les autres professionnels dans le contexte précis de la protection de la jeunesse. À ce titre, précision que le rôle du procureur à l’enfant est de représenter la volonté de son client, laquelle peut parfois se distinguer de ce qui répondrait le mieux à son besoin de protection qui relève de la juridiction exclusive du DPJ.

Dans tous les cas, ces nuances s’imposaient tout de même pour concilier notre proposition de nommer un procureur à l’enfant comme mesure législative moins attentatoire à l’actuelle exclusion de tous les avocats qui, au risque de nous répéter, n’est ni balisée, ni contrecarrée par quelconque mesure de protection particulière aux enfants en probable situation de compromission.