• Aucun résultat trouvé

B. DESCRIPTION DE L’ÉTAT DU DROIT

3. Signalement en protection de la jeunesse québécoise

3.2 Distinction de traitement selon la catégorie de signalant

Il convient de rappeler que le projet de loi 78, adopté en 1974, imputait une responsabilité collective à tous les membres de la société, citoyens et professionnels, en regard des enfants maltraités, de par l’introduction, pour la première fois, du principe de la dénonciation obligatoire. Sur ce point, les propos du ministre Choquette à la Commission conjointe de la justice et des affaires sociales sont éloquents :

« Je dois dire que la faiblesse des enfants qui sont soumis à des mauvais traitements, le fait que la grande majorité de ces enfants sont âgés de deux ans, de trois ans ou moins est la raison pour laquelle il faut, devant l’incapacité de ces enfants d’offrir une défense quelconque aux abus qu’ils peuvent subir, faire en sorte que nous employions des moyens légaux nettement extraordinaires, c’est-à-dire l’obligation pour les citoyens de dénoncer ce genre de situation.

[…] Dans le cas du projet de loi que je présente, nous avons rendu l’obligation générale, nous l’avons imposée à tous les citoyens. En cela, nous avons suivi l’exemple de trois États

362 Art. 39.1 LPJ. 363 Art. 38 d) et e) LPJ.

américains, le Nebraska, le Tennessee et un autre État dont je ne me souviens pas où on a instauré

une telle obligation générale. »365

« […] malgré le secret professionnel, les médecins, les hôpitaux, enfin toute personne ayant un secret professionnel sera néanmoins obligé de dénoncer un tel cas. Nous avons pensé que l’état de faiblesse de l’enfant, le fait qu’il est sans défense, le fait qu’il subit une agression ou de mauvais traitements étaient une justification suffisante pour faire tomber le secret professionnel dans ces cas et faire en sorte que les professionnels, à ce moment, soient obligés quelle que soit la cause de leurs connaissances sur des cas, de passer par-dessus cette défense qui, normalement, les aurait empêché de se constituer dénonciateurs.

[…] Ensuite, il y a le principe aussi qui est énoncé que tous les enfants ont droit à la sécurité et à la protection de leur famille et, à défaut, de la loi.

Dans le projet de loi que je présente à la Chambre ce soir, il va de soi que le secret professionnel tombe devant l’impératif de la protection de l’enfant. […] Voyez-vous comme le principe du secret professionnel, même consacré par la charte, n’est pas un principe absolu et qu’il y a assez peu de choses absolues d’ailleurs dans la réalité?

[…] Mais voyez-vous, dans un cas particulier, lorsque nous parlons d’enfants soumis à de mauvais traitements, à ce moment, le bien-être de l’enfant l’emporte même sur un secret

professionnel dont nous reconnaissons tous la valeur. »366

[Nos soulignements et emphases] Dans ce même ordre d’idée, le Comité pour la protection de la jeunesse commentait, dans son premier rapport, le choix du législateur à cet égard :

« Les transformations juridiques introduites par la Loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements nous rappellent qu’aucun droit n’est absolu et que la hiérarchie des droits d’une société reflète l’ordre des valeurs que privilégie cette société à une époque donnée. Et en faisant primer le droit de l’enfant sur tous les autres droits fondamentaux que la société québécoise professe (le droit des parents sur leurs enfants, le droit de propriété, le droit à la vie privée, le droit au secret professionnel, etc.), le législateur québécois a consacré le principe de la primauté des droits de l’enfant, lorsqu’il s’agit d’enfants impuissants à se défendre par eux-mêmes. Cette loi d’apparence anodine et courte

a donc introduit une innovation fondamentale dans la tradition juridique québécoise. »367

[Nos soulignements et emphases]

365 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commission conjointe de la justice et des affaires

sociales, 2e sess., 30e légis., vol. 15 n° 106, 27 décembre 1974, « étude du projet de loi no 78, Loi concernant la

protection des enfants soumis à des mauvais traitements », en ligne (ASSNAT), p. 4140.

366 Id., p. 4144 et 4145.

367 Jean-François BOULAIS, Loi sur la protection de la jeunesse, texte annoté, 3e éd., Montréal, Société québécoise

Néanmoins, un deuxième axe de relativité des droits de l’enfant est désormais observable dans la version actuelle des articles en matière de signalement dans la LPJ, cette fois fondée sur la catégorie à laquelle appartient le potentiel signalant, en ce que quatre catégories d’individus sont traitées différemment à l’article 39 LPJ368. Ils ont soit une possibilité ou une obligation de

signalement, ou encore, ils sont exclus de ces deux types de signalements :

(1) les professionnels qui, par la nature même de leurs fonctions, prodiguent des soins ou tout autre forme d’assistance à des enfants (art. 39 al. 1 LPJ) ;

(2) tous les autres professionnels qui n’exercent pas auprès des enfants (art. 39 al. 2 et 3 LPJ) à l’exception des juristes, avocats et notaires (art. 39 al. 5 LPJ) ;

(3) toutes les personnes, à titre de citoyens ordinaires (art. 39 al. 2 et 3 LPJ) et (4) les avocats et les notaires, exclus (art. 39 al. 5 LPJ).

Vu l’espace limité de la présente recherche et tel qu’annoncé, nous nous intéresserons principalement à l’exclusion des avocats, laquelle représente en fait le summum de ce deuxième axe de relativisation de la protection des enfants. De fait, l’art. 39 al. 5 LPJ exclut totalement les avocats et les notaires du signalement obligatoire et discrétionnaire, lesquels régissent tous les autres professionnels et tous les citoyens à titre de signalants. Or, cette exclusion de tous les avocats n’est aucunement modulée ou circonscrite par quelconque balise normative. Ainsi, le législateur s’attend à plus de l’avocat à titre de citoyen ordinaire (art. 39 al. 2 et 3 LPJ), que de l’avocat dans l’exercice de ses fonctions (art. 39 al. 5 LPJ), ce dernier étant justifié de craindre les représailles d’une levée non autorisée du secret professionnel.

Pour les autres professionnels, la levée du secret professionnel permettant la dénonciation de la probable situation de compromission pour protéger un enfant doit se faire, lorsque nécessaire, avec parcimonie369. Les professionnels visés ne deviennent pas

contraignables et ne sont pas délivrés de l’ensemble des informations couvertes par leur secret professionnel du seul fait de cette exception légale au nom de la protection de l’enfant370.

368 À cet effet, voir le tableau à l’annexe 6 « Obligation de signaler selon la catégorie de signalant et le motif de

compromission ».

369 Protection de la jeunesse - 808, préc., note 282. 370