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D. CRITIQUE DE L’EXCLUSION DES AVOCATS

2. Commissions parlementaires

2.2 Positions d’autres intervenants intéressés

À l’occasion des discussions sur le projet de loi 65 de 1972, la Dre Juliu a souligné que la propension à nier le problème dramatique des enfants maltraités est un réflexe humain partagé

601 Certaines modifications aux lois habilitantes listées par le Barreau du Québec, telles la LB, le C.prof. et la Loi

sur le notariat, RLRQ, c. N-3 intégraient les critères de l’arrêt Smith c. Jones, préc., note 291, par. 77 pour prévoir

la levée du secret professionnel dans un contexte de dénonciation relative à la sécurité publique.

602 Art. 36 LPJ. Cet article a subi d’autres modifications depuis 2001, lesquelles ne sont toutefois pas pertinentes à

notre mémoire.

603 Loi modifiant diverses dispositions législatives eu égard à la divulgation de renseignements confidentiels en vue

par toute personne et par tout professionnel, ce pourquoi le législateur doit le prendre en considération604 et prévoir des mesures en conséquence.

Les représentations de Mme Alice Parizeau du Centre international de criminologie comparée lors de l’avant-projet de 1975 allaient également en ce sens en ce qui concerne les modalités du signalement à l’article 46 pour toute personne même liée par le secret professionnel. D’ailleurs, son mémoire insistait sur les traditions d’individualisme et d’anonymat, ce pourquoi elle proposait de généraliser l’obligation à tous les motifs de compromission, pour que la législation puisse efficacement s’assimiler au refus de porter secours à une personne en danger605. Selon elle, cette obligation généralisée aiderait les

professionnels dans leur travail et serait arrimée au choix de la société québécoise de protéger ses enfants au travers une loi particulière comme la LPJ, laquelle devrait se servir des professionnels comme « défenseurs naturels »606. En ce sens, elle proposait que la crainte d’une

« chasse aux sorcières » ne se traduise pas en une dichotomie de traitement binaire des motifs de compromission607, mais plutôt par une obligation de dénonciation faite aux professionnels

nonobstant le motif en cause, assimilée au refus de porter secours à une personne en danger et une possibilité de signalement pour « les voisins, les amis, les gens »608.

À cette même époque, l’Association des centres d’accueil du Québec rappelait que le seul objectif de protection de la LPJ doit demeurer le bien de l’enfant autour duquel les efforts de tous doivent être orientés et qu’il « ne faudrait surtout pas traiter en justice les cas des enfants de la même manière que ceux des adultes »609. Également, le ministre des Affaires sociales M.

604 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE (PJ no 65, 5 avril 1973), préc., note 448 (opinion de la Dre Gloria

Juliu).

605 Alice PARIZEAU, Mémoire présenté à la Commission parlementaire sur l’avant-projet de loi de la protection

de la jeunesse déposé par l’Honorable Claude Forget le 27 juin 1975, 1975, en ligne (CUBIQ), p. 4.

606 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE (avant-projet de loi, 4 décembre 1975), préc., note 170 (représentations

de Mme Alice Parizeau, Centre international de criminologie comparée).

607 Loi sur la protection de la jeunesse (avant-projet de loi, 1975), préc., note 183, art. 46 : les mauvais traitements

physiques par suite d’excès ou de négligence étaient visés par une obligation de signalement pour toute personne (al. 2) alors que les autres motifs mettant en danger la sécurité, le développement ou la santé d’un enfant étaient visées par une possibilité de signalement offerte à toute personne, même liée par le secret professionnel (al. 1).

608 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE (avant-projet de loi, 4 décembre 1975), préc., note 170 (propos de

Mme Alice Parizeau).

609 ASSOCIATION DES CENTRES D’ACCUEIL DU QUEBEC, Résumé du mémoire sur l’avant-projet de Loi

Claude Forget, s’intéressant sur l’étendue de l’obligation de signalement aux différents motifs de compromission, proposait justement que le rôle de la société dans son ensemble est de soutenir la conscience professionnelle relative au sort d’un enfant « au cas où elle serait parfois défaillante »610.

Également, il est intéressant de noter que la version proposée de l’article 36 dans le projet de loi 24 de 1977, maintenant numéroté article 39 dans la LPJ, n’excluait pas les avocats, prévoyant plutôt une obligation de signalement visant « tout professionnel, même lié par le secret professionnel »611 et une possibilité de signalement pour « toute personne »612. Cette

distinction de traitement, à l’instar de la Loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements de 1974613, avait pour objectif de viser les professionnels par

une « indication plus forte dans la loi […] nécessaire à cause du secret professionnel », lequel prédominerait autrement614. Or, le Barreau est une institution crédible, prestigieuse et influente,

ce qui ne permet pas beaucoup de résistance par les proposants d’une idéologie contraire à la sienne en commissions parlementaires. En effet, la proposition d’exclure uniquement les avocats sous la recommandation du Barreau du Québec a été acceptée sans qu’il n’y ait eu de longs débats ou des discussions approfondies sur l’opportunité et la nécessité d’une telle exclusion.

Outre le Barreau du Québec, la Commission des services juridiques, Me Yves Lafontaine, a également tenté d’expliquer la nécessité d’exclure les avocats du signalement dans la LPJ :

« C’est un sujet difficile et délicat. La fonction de l’avocat, c’est d’être mandataire d’un client […] nous ne donnons pas de soins. Nous ne sommes pas comme un médecin ou un psychiatre ou quelque chose de semblable. On représente une personne devant le tribunal. Autrement dit, on est lui-même avec un aspect technique en supplément.

Nous disons que cela va de soi que, comme individu, on ait à rapporter des situations, tel que la loi le prévoit, mais, comme professionnel, afin d’être capable de garder la confiance de notre

610 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE (avant-projet de loi, 4 décembre 1975), préc., note 170 (propos du

ministre des Affaires sociales, M. Claude Forget).

611 Loi sur la protection de la jeunesse (PJ no 24), préc., note 190, art. 36 al. 1. 612 Id., art. 36 al. 2.

613 Loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements, préc., note 173.

614 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commission conjointe de la justice et des affaires

sociales, 2e sess., 31e légis., vol. 19 n° 277, 7 décembre 1977, « étude du projet de loi no 24, Loi sur la protection

client, il ne faudrait jamais nous placer dans une situation où on ait à agir par rapport à un secret professionnel.

Autrement dit, si j’ai, par exemple, à défendre un parent qui aurait battu un enfant et qu’à cette occasion il me conte que, en même temps, il a aussi battu un autre enfant, j’aurais, dans l’état actuel de la loi, l’obligation de le rapporter. Maintenant, il ne faut pas trop charrier sur le secret professionnel non plus parce qu’on va faire des grands débats de principe là-dessus, alors qu’on sait, en réalité, que dans bien des cas on passe à côté.

[…] Autrement dit, il ne faudrait jamais qu’il représente quelqu’un qu’il est dans l’obligation de

dénoncer. Il ne faudrait pas que les deux puisse se rencontrer. »615.

[Nos soulignés et emphases] Une nouvelle fois, c’est une illustration impliquant un criminaliste chargé de défendre un client accusé d’une infraction de droit criminel qui est utilisée, relation professionnelle qui comporte pourtant son lot de spécificités déjà explicitées. Également, lorsque confronté par M. Clair, député de Drummond, quant à l’efficacité d’un signalement qui viserait les avocats, Me Lafontaine lui répond qu’il serait loisible à l’avocat de se servir de ce qui est prévu dans la loi pour refuser de le représenter et pouvoir faire un signalement. Or, M. Clair s’est limité à indiquer qu’il aurait aimé poser cette question au Barreau, mais son interrogation ne refit pas l’objet de discussions.

Quant à l’inquiétude soulevée par M. Lafontaine, ce ne sont pas uniquement les avocats qui sont animés d’une pareille peur du bris du lien de confiance avec leurs clients à l’occasion d’une éventuelle dénonciation de maltraitance. En effet, Mme Ana Popovic, représentante du Centre des femmes de Laval, a exprimé la même inquiétude à l’occasion des discussions sur la violence conjugale comme nouveau motif de compromission à dénoncer à l’occasion des discussions sur le projet de loi 125 :

« Nous pensons que […] ça va entraîner une obligation de signalement donc de toutes les personnes qui travaillent avec les enfants et notamment avec les femmes victimes de violence conjugale, donc des enfants exposés à la violence conjugale. Et ce qu’on craint, c’est que, dans

615 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commission conjointe de la justice et des affaires

sociales, 2e sess., 31e légis., vol. 19 n° 215, 26 octobre 1977, « étude du projet de loi no 24, Loi sur la protection de

la jeunesse », en ligne (ASSNAT) (propos de M. Yves Lafontaine, représentant de la Commission des services juridiques).

les centres de femmes, si jamais on est obligé de signaler, eh bien, à ce moment-là, il se peut qu’une femme, par exemple, décide de ne plus fuir la violence, qu’elle ne vienne plus chez nous ou que, si elle vienne, elle ne va pas s’ouvrir sur sa réalité ; à ce moment-là, on ne va pas pouvoir intervenir avec elle. Donc, quelque part, on a peur que ces femmes qui sont déjà suffisamment

isolées se retrouvent encore plus isolées […]. »616.

[Nos soulignés] Lorsque confrontée avec la possibilité que certains enfants échappent au système, Mme Popovic a répondu qu’elle estimait que les centres pour femmes étaient mieux placés que le DPJ pour soutenir, supporter et protéger les femmes et les enfants victimes de violence conjugale617.

Toutefois, contrairement au résultat des pressions afférentes à l’exclusion des avocats, aucun aménagement n’a été effectué pour répondre à la crainte des intervenants en relation avec des femmes violentées et leurs enfants, alors même que la relation d’aide et de confiance auprès de ces victimes sont entravées par un signalement au DPJ.

À l’occasion de discussions sur des mémoires portant sur le projet de loi 24, les députés M. Shaw, M. Forget et M. Clair ont discuté du pouvoir et de la responsabilité des professionnels auprès des enfants, mais qui ne signalaient pas en raison de leur secret professionnel. Également, en regard d’une hypothèse qu’un professionnel puisse signaler par malice, il est rappelé que la maltraitance d’enfants est le fléau que la LPJ cherche à réprimer. La priorité est donc les enfants, non pas les parents qui pourraient être accusés injustement. Les députés M. Shaw et M. Clair comparent également le conflit d’intérêts particuliers et la pudeur que peut ressentir l’avocat qui représente un père accusé d’inceste à ceux des professionnels médicaux qui doivent pareillement se sentir. M. Shaw s’interroge également si la levée du secret professionnel des avocats peut s’opérer « au strict plan moral »618.

616 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commission conjointe de la justice et des affaires

sociales, 1re sess., 37e légis., vol. 38 n° 183, 15 février 2006, « consultation générale sur le projet de loi no 125

modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives », en ligne (ASSNAT) (propos de Mme Ana Popovic, représentante du Centre des femmes de Laval).

617 Id.

618 QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats. Commission conjointe de la justice et des affaires

sociales, 2e sess., 31e légis., vol. 19 n° 215, 25 octobre 1977, « étude du projet de loi no 24, Loi sur la protection de

Contrairement au Barreau du Québec, certains ordres professionnels ont salué la proposition du législateur de délier ses membres du secret professionnel aux fins de la protection d’enfants en probable situation de compromission. Tel est le cas de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec en ce qui concerne l’article 36 du projet de loi no 24 :

« Le Bureau de l’Ordre ne peut qu’appuyer le législateur pour le maintien au sein du projet de loi no 24 de l’article 36. Des mécanismes d’information seront établis afin que les infirmières et les infirmiers soient informés de leurs responsabilités personnelles vis-à-vis l’intervention sociale qu’elles ou qu’ils doivent assumer. Ainsi, l’infirmière ou l’infirmier, comme tout autre professionnel, s’engagera davantage au respect des droits de la jeunesse pour assurer que la

sécurité et le développement de l’enfant ne soient pas compromis »619.

Ainsi, non seulement cet ordre professionnel s’est-il pleinement soumis à la volonté du législateur, mais au surplus, il a assuré l’entière collaboration de ses membres dans un élan d’enthousiasme.

Tel est également le cas de l’Association des hôpitaux de la province de Québec qui proposait toutefois de limiter le signalement dans la LPJ aux professionnels les plus susceptibles d’être confrontés à une situation de compromission. Parmi ces professionnels, il est intéressant de noter que l’Association listait notamment les avocats :

« La distinction établie entre le professionnel et toute autre personne en ce qui concerne l’obligation de dénoncer une situation de mauvais traitements est compréhensible si on limite la notion de professionnel à ceux qui sont les plus susceptibles d’entrer en contact avec les enfants, tel le médecin, l’avocat, le psychiatre, le psychologue…

Cependant, si la notion de « professionnel » est rattachée à celle que l’on retrouve au code des professions, nous trouvons justifié de nous demander pourquoi le comptable ou l’ingénieur devrait être tenu de signaler telle situation, alors que le professeur, bien plus souvent en contact avec des enfants, n’aurait pas une telle obligation ? Nous croyons en conséquence nécessaire de demander qu’une définition spécifique du terme « professionnel » soit inscrite à l’intérieur de la

loi. »620.

Dans l’état actuel du droit, certaines professions ont été précisées à l’alinéa 1 de l’article 39 LPJ, lequel ne fait pas l’objet de la présente étude critique, mais il n’en demeure pas moins

619 ORDRE DES INFIRMIÈRES ET INFIRMIERS DU QUEBEC (Mémoire, PJ no 24), préc., note 454, p. 3. 620 ASSOCIATION DES HÔPITAUX DE LA PROVINCE DU QUEBEC, Mémoire présenté au Ministre d’État

ironique à la lumière de ce qui précède que « le comptable et l’ingénieur », comme tous les autres professionnels et citoyens, sont bel et bien visés par le signalement, contrairement aux avocats qui ont finalement été exclus au terme des discussions parlementaires.

À l’occasion des débats sur la Loi sur la maltraitance, Mme Geneviève Mottard, présidente et chef de direction de l’Ordre des CPA, rappelle le statut quasi-constitutionnel que la jurisprudence et la législation reconnaissent au secret professionnel, de même que l’exigence pour toute intervention législative lui portant atteinte de procéder à un « examen scrupuleux mettant en balance les droits et les valeurs fondamentales en jeu » pour s’assurer qu’il n’y a aucun autre moyen de protéger le citoyen et que l’atteinte est minimale par rapport à l’objectif poursuivi. Malgré tout, elle appuie sans réserve la levée du secret professionnel qu’elle souhaitait même élargir à d’autres cas de figure, c’est-à-dire à l’exploitation financière et matérielle, de sorte à ce que ses membres, de même que les notaires et les avocats, se voient davantage reconnaître un rôle pro-actif dans la lutte contre la maltraitance. Elle s’exprime ainsi :

« [c]e mécanisme […] n'est malheureusement d'aucune utilité pour un CPA, un avocat ou un notaire. Nous déplorons que la portée du projet de loi soit si limitée […]. En légiférant encore une fois à la pièce, sans aborder la problématique dans sa globalité […].

Nous croyons en effet que le projet devrait prévoir aussi et enfin la levée du secret professionnel pour dénoncer la situation d'un client qui devient inapte afin de le protéger contre lui-même et de prévenir les abus potentiels de tiers. Nous sommes d'avis aussi que toute personne incluant un professionnel qui n'œuvre pas dans un établissement de santé devrait pouvoir s'adresser au Curateur public si elle estime qu'une personne majeure a besoin d'être assistée ou représentée

dans l'exercice de ses droits. »621

[Nos soulignements]