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PARTICULARITÉS PHONÉTIQUES : PHONÈMES ET GRAPHÈMES

II. Traitement des consonnes

Le procédé de la métathèse (-er/-re et -our/-rou) apparaît de façon récurrente pour les verbes pourmener, grepir, degrepir, les substantifs bevrage, bevraige, jardrin(s), et les noms propres Bretan f.246 (mais Bertran) et Ennevres f.394 (mais Ennevers). Mais dans ces deux derniers exemples dont la leçon n’apparaît qu’une fois, il pourrait s’agir aussi d’une erreur de copie.

Des glissements, courants en moyen français, peuvent avoir lieu entre certaines consonnes. Il peut s’agir d’un affaiblissement de sonore en sourde comme c’est le cas entre les labiales –p et –b (obprobre f.53v, opprobres f.110, 119, 128v, 382v, 383), entre les dentales –d et –t (meurdre, murtre, murture ; coutees f.23) et entre les palato-vélaires –g et –k (gourt f.350v pour court ; Norvechgue, Norvecque, Norveque ; Becgue, Becque ; Bourbourg, Bourbourgc ; Marguigné, Marquigny ; vague f.225, vaques f.238v ; crape f.220v pour grappin). Le procédé de la dissimilation est également remarqué entre –b et –v (havre, hable ; octabes pour octaves) et entre –r et –l (merencolieux, melancolieux ; peregrinations, pelerin ; Bracquemaire, Blacquemaire ; mesle f.109 ; havre, hable f.232). Dans le cas de varlet (pour vaslet), la consonne [s], au lieu de s’effacer complètement comme elle le fait de manière générale, se renforce en [r], ce qui explique également les doublets sus / sur et dessus / dessur

L’épenthèse qui introduit dans le groupe cons + l/r une autre consonne est normalement présente dans numbre, semble, chambre, estre, cendre, ainsi que dans les formes verbales vendray, vendra, vindrent, tindrent, prindrent, fitrent, fistrent, mistrent et leurs composés.

Amuïssement et disparition

Alors qu’un mouvement général tend à l’amuïssement des consonnes finales, elles sont encore présentes dans les participes passés au féminin (conclute, excluses) et sont maintenues graphiquement au masculin (absolut, conclut). Quant à la mi-occlusive finale [ts] qui se simplifie en [s] à partir du XIIe, elle se maintient graphiquement dans parents, pesants, saints, maints,… mais peut également disparaître dans les doublets parens, pesans, sains, mains,... Notons l’unique leçon touts f.76, alors que les autres occurrences sont graphiées touz ainsi que l’adverbe pendans f.48v, 359, 360v (mais autrement pendant)

Alors que fist est la seule graphie donnée par le manuscrit, on trouve ailleurs les doublets montrant l’alternance entre les désinences –st ou –t pour les passés

simples de la personne 3 : dist / dit, mist / mit. Même si cette consonne est maintenue graphiquement, elle ne se prononce plus.

En moyen français apparaît une nouvelle conception de la graphie qui cherche à distinguer encore plus nettement l’oral de l’écrit et les scribes ont une forte propension à arrimer les mots à leur étymon latin afin de donner au français ses lettres de noblesse qui se dote ainsi d’une position intermédiaire entre la langue latine savante et les autres langues vernaculaires. Sont donc réintroduites des consonnes muettes qui n’ont de fonction que graphique. Ce sont tout d’abord des consonnes étymologiques qui se sont amuïes depuis le XIIe : arcbalestre, escript, comptee, racompte, nopces, corpsage, aougst, selond, advis, soubdainement, fiebvre, court (pour la cour du roi). Notons la graphie comptes f.87v pour comtes. On trouve également le graphème –h étymologique dans abhominable, abhomination, je hay f.229v (pour ai <habeo), alors qu’il disparaît dans orriblement, omicide, armonie, armonieux, Omer, et est aléatoire dans ostel (mais hostel), istoire (mais histoire), ostage (mais hostaige). D’autres mots contiennent le graphème –th qui renvoie à une graphie hellénisante dans ennortha, ennorthement, quothidiennement, confronthe et carathere f.49. Des consonnes enfin sont insérées qui ne sont pourtant pas motivées lexicalement comme dans huille f.107 (mais uille f.102v), malheureux f.60v (mais maleureux), habandonnee f.156v, hermitage f.75, et participent plutôt du procédé de l’épenthèse pour hympnes f.105v et 377, columpnes f.21 et 89v, solempnel, solempnellement, meptre, proffilt, tiltre f.157v, 385 et 387v, sourxi f.303v, asge (mais aage).

Parfois la consonne peut être assimilée comme dans ostacle f.121v et 123 (mais obstacle), assouldre f.122 (mais absouldre f.190v et 271), carathere f. 49 (pour caractere) et refetouer f.105v.

La palato-vélaire [k], qui s’efface normalement devant une autre consonne (distintement f.49, distintes f.49), est toujours maintenue graphiquement dans ouict, gecter, traicter et ses dérivés, mais est aléatoire dans sainct (mais saints), luicte (mais luite), ladicte (mais ladite),…

Geminées

Les géminées qui disparaissent dès le bas latin sont encore très fréquentes dans le manuscrit, notamment en position finale : brieff, chieff, derechieff, neuff, neff, fuitiff, ententiff, viffs, sauff, chauff (pour chauve), vill (pour vil), oeill, vueill, genoill, Lumeill (mais Lumel f.286v). Elles se trouvent également à l’intérieur des mots dans deffendre, differer, deffaut, reffuge, refformer, reffroischir, refflechir, chevallier (mais chevalier), courroux (mais coroux), durres f.356v (mais dures par ailleurs), murrer f.356v, surracroissant f.7v, ainsi que dans les adverbes brieffvement et grieffvement. Mais dans ce cas, suivant l’amuïssement des consonnes internes, elles ne sont plus prononcées.

Palatalisation

[l] latin se palatalise dès le bas latin en [ly] et se réduit à [y] à partir du XIIIe, comme dans entrailles, avitaillees, Maillieres, vaillans, ailleurs, failloit, juillet, despouille et bouillante, où [y] est graphié –ill. Or leurs doublets entralles, avitallees, Malleres,

présentent la géminée –ll, graphie du phonème [y]. A côté de celle-ci on trouve aussi –il dans miliers (mais millier) et ecuilissent (mais recuillit). Notons que la leçon assalirent f.70 (mais assaillirent) renvoie à la double conjugaison du passé-simple assalit ou assaillit (refait sur le subjonctif présent). En revanche les occurrences ailla (mais alla) et vaillable f.91v (mais valable f.115v) présentent une graphie –ill refaite également sur les formes du subjonctif présent.

Notons deux graphies particulières : despouglerent f.74v et despougles f.78 pour lesquelles le graphème –gl rappelle la palatalisation de [gl] en [l̮].

[ŝ] issu de la palatalisation de [k] devant a (k > tŝ > ŝ au XIIIe) est parfois graphié –c (Candos f.254v mais autrement Chandos, cercher, cerché,…), parfois –cz (cercza), mais plus souvent –sch (transcher, escarmousche, couscher, senneschal, taschoient, Angueschlem), où –s n’est là encore que graphique. Cette consonne disparaît dans jucques, qui sera d’ailleurs réintroduite à la Renaissance. L’adjectif féminin angloysche f.143 et anglesche(s) f.239, 271, 284v et 391v, emprunté vraisemblablement aux textes de Froissart ou de Wace, est une forme dialectale picarde où la palatalisation n’a été que partielle.

Vocalisation du l

A partir du VIIe siècle, [l] après voyelle se vélarise en [w] puis au Xe en [u] non labial formant une diphtongue de coalescence comme dans heaume, aube, coup ou haut. Toutefois on trouve cels (mais ceux), lesquels (mais lesqueulx), et tels (et teulx f.71v). La graphie de cette latérale demeure dans ceulx, aultre, hault, doulce, vieult f. 88 (< volet), touldrons, absouldre, principaulté, genoulz et genoilz.

A noter l’occurrence Auffricque (f.4, f.12, f.21,…) où [f] au contact de [a] se vélarise en [al] puis [au]. Mais on trouve Affricam et Affrican f.6

Signalons enfin ambasmerent (< balsamum) f.172v et 301v, où –l vélaire s’est effacé après –a.

Graphies de la sifflante [s]

Dès la période gallo-romaine la constrictive sourde [s] se différencie de la sonore [z]. Toutefois, dans le manuscrit, leur graphie non seulement sont souvent interchangeables (ce qui n’est pas le cas dans le ms. 8266), mais présentent également des variations entre –s, -ss, -sc, -cz, -c, -x.

- [z] intervocalique graphié –ss : nantaisses f.114v, faissoient f.397, implossion f.380v, avissassent f.137, ce qui par deux fois génère une confusion homophonique entre baissa et baisa (f.33) ainsi que poisson et poison (f.51v). - [s] intervocalique graphié –s : resembloit, asembler, rasembler, resasier,

asiises, asisse, rasisse, defroisa f.96v, anceseries f.178v, angoeseuse f.107, 130, 241 et 354v, desus f.376v, resplendisant f.358, asavoir f.11v, 56v et 109v. Cette graphie est également présente dans les désinences du subjonctif imparfait : saisisent f.353v, joÿsent f.92v, courusent f.22, issisent f.31. Notons aussi insité f.195, reconsiliast f.63v qui ne conservent pas le –c étymologique. - [s] graphié –ss : assavoir, enssuivant f.347, Ssoyssons f.118v, Ausserre f.204v

- [s] graphié –cz : nunczer, chaczer, ainczois, pencza, Franczois, escoczais, excerczant f.24v, excercza f.24v, 95v et 241, exsucczans f.111v

- [s] graphié -sc : poursceuz f.292 ; scens f.335 ; conscentir f.323

- [s] graphié –c : cens f.128 et 265, Lucembourg f.380 et 393, prolicité f.118v, François, nuncer, chacer

- [s] graphié –x : prolixité f.118 et 225v, embaxadeurs f.360v (mais embassadeurs), auxi f.339v, extimé f.351, anxienneté f.167v, sourxi f.303v et souxiast f.331, ronxin f.172, exploict f.343, exercite, Auxerre

Ces confusions affectent également la classe des déterminants démonstratifs et possessifs. On trouve autant ses pour ces (ses deux freres f.30, ses saxons f.62v, ses seigneurs f.75, sesditz f.127 et 212) que se pour ce (se mariage f.24, se fut trop tard f.66v, se pendant f.70v, s’estoient gens f.309v) et ce pour se (ce evader f.87) [k] issu des finales –ca ou –cus latines conserve la plupart du temps la graphie étymologique dans le suffixe –icque des substantifs (cronicque, Armoricque, Acquitaine), des adjectifs (magnificques, publicque, applicquees, diabolicque, piraticque, britanicques, catholicques), des adverbes (pacificquement, tyrannicquement) et des verbes (pronosticquoit, revocquer, mocquer). Ajoutons la leçon relicques (< reliquae), dont le phonème latin [kw] s’est dès le Ve réduit à [k], ainsi que les adverbes jucques, jucq f.381v (< usque), oncques (< unquam) et avecques, avecq f.379 (< *hoque)

Des occurrences présentent le phonème [k] avec la graphie –ch : rubriches, Bergerach f.287, seurveschu f.154, duch f.376, Petrache f.1 et 406, Pennebroch, Kenforch, Suffroch. Cette graphie d’origine picarde marque la dépalatalisation de la vélaire qui se prononce alors [tŝ]. Toutefois les doublets duc, vescu, Kenforc et Bergerac nous invitent à conserver dans la prononciation le phonème [k].

Signalons la leçon anichillant f.75v et 115 qui reprend la forme courante nichil issue de nihil latin.

[n̮]

Le groupe latin ṇ + n (graphié –gn) se palatalise en [n̮] dans agneau, desdeignoient f.26v, enseignerent f.42v, signe f.53v, ligne, cognoessant, cognoes, benigne f.52v, benign f.53v… Toutefois les doublets Gravelignes / Gravelines, digne / disne f.35 signalent la disparition de la mouillure. En fait celle-ci s’explique par la prononciation latinisante des mots savants en –gn rendue par [n̮]. Cette graphie s’est généralisée à d’autres mots présentant n + yod, comme ignel f.123 et ignelement, mesgniee f.121 et regnes f.335 (pour rênes). Signalons les noms propres Regné, Regnier (pour René) et Regnaud (pour Renaud) ainsi que pugnicion (< punire) et magnifeste f.228v (<manifestus) dont le –n intervocalique latin, qui ne subit aucune palatisation, est néanmoins refait en –gn par analogie.

Les groupes consonantiques –ng, –gn, –nn et –ny suivis de e ou i se palatalisent en [n̮], qui aboutit, selon des processus différents, à la voyelle nasale [ẽ] (destraint), à [wẽ] (jointes, contrains) ou à [ẅẽ] (juin). A côté des quelques graphies –ng (joingtes, loingtain) et –ngn (destraingns, esloingné, tesmoingnerent), la plus courante dans le

(mais vingtiesme f.400). Pour cette dernière graphie, l’absence du –n devant g pourrait faire penser au processus de dénasalisation, mais la présence des doublets incite à prononcer la voyelle nasale sans la palatale, qui s’est amuïe comme la plupart des consonnes en position finale implosive.

La terminaison –aige se trouve dans de nombreux noms (et de manière plus systématique dans ms 8266) : veaige, bevraige, saige, oraige, ostaige, rivaige et naige. En effet l’action fermante de la consonne palatalisée a fait évoluer [a] en [ẹ], tout d’abord dans les dialectes du Centre, puis a pris de l’ampleur en moyen français pour gagner d’autres régions. Mais la présence des doublets veage, bevrage, sage, orage, ostage, rivage et nege indique que le –ign n’est plus qu’une graphie pour marquer la consonne palatalisée [n̮] intérieure. La même remarque peut s’appliquer à la terminaison –aigne (< –nea, –nia, –ndia) qui dégage un yod à l’arrière puis à l’avant [yn̮y], dont le [a] ainsi entravé ne peut se diphtonguer mais se ferme aussi en [ẹ] : ainsi dans Bretaigne, montaigne, compaignon, compeignon, champaigne sont les formes les plus couramment écrites, mais on trouve par trois fois Bretagne (f.80, 81v et 83). Quant à la terminaison –oigne, qu’elle soit issue d’une diphtongaison par coalescence ([oyn̮e] > [wę]) dans esloigner, soigneusement ou d’une seule palatalisation ([on̮e] > [on̮]) dans vergoigne, Bourgoigne, Gascoigne, la graphie –ign correspond également au phonème [n̮], pour preuve les doublets Bourgogne, Gascogne et vergogne. Toutefois ces mots de la dernière série peuvent aussi être écrits –ongne, graphie qui rappelle l’ancienne nasalisation : Bourgongne, Gascongne, vergongne, eslongner, songneusement, prolongner, congnue, congniees.