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Chapitre 5 – Discussion et Perspectives

4. Futur de la thérapie CAR

4.2. Traitement des cancers solides

Tous les résultats montrés dans les chapitres 2 et 3 démontrent l’application de l’immunothérapie dans le contexte de la leucémie. Bien que la spécificité du CAR détermine la cible dans ces expériences, la preuve de concept qui est apportée pourrait tout à fait s’appliquer à des cancers solides. De nombreuses cibles sont déjà testées pour les cancers solides comme vu plus haut. Il est donc possible pour la thérapie CAR-NK, comme pour la thérapie HSC, de changer de construction de CAR pour cibler un cancer solide.

4.2.1. Le problème de persistance

Un des problèmes observé avec le traitement des tumeurs solide est le manque de prolifération des cellules thérapeutiques au début du traitement par les CAR. Il semble que le microenvironnement que représentent les cancers solides inhibe plus facilement les CAR T. Comme vu plus haut, les tumeurs peuvent mettre en place un large panel de mécanisme d’évasion. Les tumeurs solides vont concentrer dans leur environnement des cytokines anti-inflammatoires, des macrophages de type

M2 immunomodulateurs et maintenir l’hypoxie. Il est donc plus difficile de déclencher une réaction contre ces tumeurs que contre un cancer liquide tel que la leucémie. Les stratégies de combinaisons comme vu plus haut sont donc un axe de recherche important car il pourrait prolonger la durée de vie des cellules CAR.

Pour empêcher le phénomène d’inhibition de l’expansion, Kagoya et al. ont utilisé un CAR intégrant des segments du récepteur à l’IL-2 pour contrer les effets du microenvironnement et ont montré des résultats positifs contre des lignées cellulaires de mélanome en modèle murin. Comme mentionné plus haut la combinaison des signaux a permis un effet persistant des CAR. Malgré un effet amélioré de ce nouveau CAR les souris ont tout de même développé une tumeur (458). Un autre groupe a montré que l’utilisation du signal de costimulation inductible des cellules T (ICOS) dans les CD4 permettait une meilleure expansion initiale des cellules T. En transduisant les CD4 avec un CAR comprenant un segment ICOS, et les CD8 avec un CAR comprenant le signal CD28 Guedan et al. ont montré que les cellules CD4 favorisaient l’expansion initiale et les CD8 maintenaient une activité cytotoxique soutenue par les cytokines sécrétées par les CD4 (497). Ces résultats montrent l’importance de la compréhension des signaux et de leurs implications dans la réponse immunitaire pour développer des thérapies efficaces. L’ajustement des signaux transmis par les CAR est crucial pour obtenir un effet suffisant contre les cancers solides. Ce type de stratégie permet également d’utiliser deux cibles différentes si cela est nécessaire pour distinguer les cellules saines des cellules cancéreuses.

4.2.2. Les cibles pour les tumeurs solides

Un problème majeur avec les tumeurs solides est d’ailleurs de déterminer une cible thérapeutique. Si les leucémies B ont pu être ciblées aussi efficacement c’est qu’un antigène fortement exprimé et présent sur une vaste majorité des cancers était disponible. De plus, comme vu plus haut, la toxicité de la thérapie CAR dans les ALL n’est pas un problème vital. En revanche une cible exprimée par un organe vital comme le pancréas n’est simplement pas utilisable à cause de la toxicité.

4.2.2.1. EGFR et EGFRvIII

Pour déterminer une cible thérapeutique efficace, comme vu plus haut, il est important de cibler une molécule de surface qui soit présente sur les cellules cancéreuses avec une bonne densité sans retrouver cette molécule sur le tissu sain. Logiquement, les molécules favorisant la prolifération qui sont dérégulées dans le cancer sont des cibles idéales, leur expression est favorisée par le cancer pour se maintenir et sera différente du tissu sain. L’EGFR est une cible intéressante. Son expression est dérégulée dans de nombreux cancers et en fait donc un antigène pouvant être ciblé. Cependant, si les cellules cancéreuses surexpriment l’EGFR, il est toujours présent en moindre quantité sur des nombreux autres types cellulaire. Certaines stratégies ont permis d’ajuster la réponse T en fonction de la densité d’expression. En utilisant un fragment scFv dérivé du nimotuzumab, qui a une affinité réduite pour l’EGFR, les cellules CAR ne s’activent que face à des cellules exprimant des niveaux élevés d’EGFR (498). Dans ce genre d’approche l’utilisation de cellules NK, pouvant en parallèle détecter des ligands de stress pour donner une synergie avec le signal induit par une faible liaison des récepteurs CAR, serait un atout intéressant.

Une forme ayant une délétion dans la portion extracellulaire l’EGFRvIII est exclusif au cancer (499). Cette protéine mutée est constitutivement active et favorise donc la prolifération des cellules, environ 30% des glioblastomes exprime ce récepteur. Il s’agit donc d’une molécule qui est testée pour la thérapie CAR actuellement en essai clinique (500). Il s’agit d’un exemple de néo-antigène parfait puisqu’il est exprimé en surface, n’existe que sur les cellules tumorales et son expression a peu de chance d’être perdue vu l’avantage prolifératif qu’il donne.

4.2.2.2. Le GD2 pour le neuroblastome

Une autre cible intéressante présente sur de nombreux neuroblastomes est le disialganglioside (GD2), un glycolipide présent au stade embryonnaire sur le feuillet ectodermal. Le neuroblastome et certains mélanomes ont pour origine des cellules embryonnaires de ce feuillet et vont donc conserver l’expression du GD2. Un CAR ciblant le GD2 a donc été développé, cependant le GD2 est toujours présent à la surface de certaines cellules nerveuses et va donc déclencher une réaction

des CAR T contre du tissu sain. Des essais cliniques ont montré que malgré les résultats pré- cliniques en modèle murin, l’injection était bien tolérée par les patients (501, 502). Cependant, les effets n’ont pas été aussi spectaculaires que dans le cas de la leucémie. Pour améliorer ces résultats certaines stratégies visent à augmenter l’affinité du CAR pour le GD2. En testant une version mutée de ce CAR des cas d’attaque du système nerveux ont été reportés dans des modèles murins (503). Si le GD2 est une cible intéressante elle reste risquée. Il semble que la fenêtre entre l’efficacité thérapeutique et la neurotoxicité soit restreinte et nécessite donc une mise au point précise. Les cellules NK sont intéressantes dans le cas du CAR anti-GD2 car l’inhibition par les autres récepteurs NK permettrait potentiellement une atténuation de l’activation face à des cellules saines. L’étude des CAR-NK utilisant comme cible le GD2 serait donc une perspective des travaux présentés dans le chapitre 2.

4.2.2.3. Les futures cibles des CAR, l’exemple de Tn-MUC1

De nouvelles cibles pour les cancers solides sont actuellement testées. Il semble qu’une forme anormalement glycosylée de la mucine 1 (MUC1) soit une cible de choix commune à de nombreux cancers. La mutation d’une protéine chaperonne COSMC (pour « core 1 β3GalT specific molecular chaperone ») dans de nombreux cancer, ne permet pas la fonction correcte de l’enzyme T-synthase qui a pour rôle la fixation d’un galactose sur l’antigène Tn (504). En laissant cet épitope potentiel non glycosylé à la membrane il devient une cible potentielle qui n’est jamais présente sur les cellules saines dont la fonction de COSMC est normale. Les travaux de Posey et al. ont montré la génération d’un nouveau CAR capable de cibler précisément cet antigène sur la mucine. Le CAR dirigé contre la Tn-MUC1 a montré des résultats précliniques efficaces dans un modèle murin de tumeur pancréatique (399).

Contrairement à d’autres CAR dirigés contre des molécules surexprimées dans les cancers solides, comme celui ciblant la carboxy-anhydrase IX (CAIX) qui ont déclenchés des effets off-tumor dangereux (505), l’antigène Tn-MUC1 semble donner de bons résultats sans déclencher d’effet off- tumor. La sécurité d’utilisation de ce nouveau CAR permettrai donc son utilisation clinique. Un

MUC1. Il semble donc important que le cancer ciblé ait une expression suffisante pour que le traitement fonctionne à son plein potentiel, demandant un phénotypage avant le traitement.

La diversité des cancers solides et leurs caractéristiques communes avec les cellules saines des tissus dont ils dérivent demandent une adaptation de la cible selon le cancer traité. Un même type de cancer peut avoir ou non l’expression d’une molécule cible. Il est donc important de déterminer le phénotype du cancer pour sélectionner le CAR à utiliser. En ce sens, les CAR deviennent une médecine personnalisée qui s’adapte à chaque situation. La versatilité de la construction de molécules artificielles permet d’adapter le traitement. Les travaux présentés ici montrent également qu’en plus des différentes constructions il est possible de les utiliser sur différents types cellulaires, augmentant encore le panel d’outil thérapeutique et leurs propriétés. Il est donc envisageable que les cellules T, NK ou les HSC soient toutes utiles dans un contexte différent voir combinées pour s’adapter au cas de chaque patient.

A l’heure actuelle, nous savons que pour rediriger la thérapie CAR, le simple changement de scFv ne suffit pas. Chaque scFv va avoir sa propre dynamique de signal tonique qu’il faut prendre en compte, selon le microenvironnement il sera nécessaire d’intégrer certains segments de costimulation ou de combiner le traitement CAR avec des inhibiteurs de point de contrôle et des cibles qui comportent des risques pour l’effet off-tumor devront être gérées différemment. En ce sens, le futur de la thérapie CAR nécessite de comprendre l’interaction de leur signaux dans le contexte complexe de chaque cancer. Il semble donc que le futur des CAR ne soit pas une solution unique efficace pour tous les cas, mais un panel de thérapies et de combinaison pour s’adapter à chaque patient.