• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 – Introduction

3. L’immunothérapie

3.5. Les Récepteurs Chimériques d’Antigènes

3.5.6. Les problèmes des CAR

3.5.6.1.La toxicité de la thérapie CAR

Ces premières études ont rapidement mis en lumière les divers effets toxiques des CAR. L’effet toxique attendu étant bien entendu la disparition des cellules B de la circulation sanguine. Cet effet a bel et bien été observé et a dû être géré par injection d’immunoglobulines et un suivi médical

Un effet secondaire majeur retrouvé chez la quasi-totalité des patients est le syndrome de relargage cytokinique (389, 390). L’infusion d’un grand nombre de cellules T exprimant le CAR a pour effet une activation massive en réponse aux blastes leucémique et aux cellules B qui résulte en une sécrétion supra-physiologique de cytokines pro-inflammatoires. Cette sécrétion installe une inflammation systémique très intense donnant de nombreux effets indésirables qui peuvent être tolérable dans certains cas mais peuvent menacer la vie du patient dans les cas plus extrêmes. Les symptômes sont généralement une forte fièvre et des douleurs musculaires, mais si le syndrome est trop fort on retrouve des problèmes vasculaires, des insuffisances respiratoires et des troubles neurologiques (391, 392). Le traitement par cellules CAR T peut donc en lui-même causer la mort du patient juste via cette énorme réponse inflammatoire. Les sécrétions d’IL-6 sont centrales dans ce mécanisme et le phénomène peut être endigué par l’injection d’anticorps bloquants cette cytokine (393, 394). Il semble que la quantité de cellules tumorales au moment de l’injection corrèle avec l’intensité du syndrome de relargage cytokinique (387). Bien que ce syndrome soit dangereux pour la vie des patients il semble aussi corréler à l’expansion périphérique et donc à une réponse positive au traitement (395).

3.5.6.2.La perte de l’antigène cible

Avec maintenant plusieurs années de recul sur les premiers tests des CAR T il est possible d’étudier les causes de rechute. L’une d’elle est la perte de l’antigène cible. En effet, il est apparu que 10 à 20% des patients avaient toujours en circulation des cellules thérapeutiques mais un clone tumoral ayant perdu l’expression de l’antigène CD19 ciblé s’est développé en parallèle (387, 392, 396). Ce phénomène montre que le concept d’édition immunitaire de la tumeur peut aussi s’appliquer à une action immunitaire non physiologique comme les CAR.

Pour contrer ce phénomène, il serait préférable d’utiliser comme cible une molécule qui a peu de chance d’être réprimée comme une molécule importante pour la stimulation de la croissance tel un récepteur de facteur de croissance, à ce titre l’EGFRvIII a été ciblé dans le glioblastome (397). Il s’agit d’une version mutée du récepteur à l’EGF issu d’un épissage aberrant qui permet une activation constitutive du signal (398). Cette cible est en plus exclusive au cancer.

Il est aussi possible d’utiliser des signaux qui forcent la réexpression de l’antigène cible. Récemment une forme anormalement glycosylée de la mucine 1 (MUC1) a été déterminée comme une cible très intéressante car exprimée dans de nombreux cancers solides (399). Le traitement à l’IL-22 semble augmenter son expression en surface des cellules cancéreuse en même temps qu’il stimule les lymphocytes T permettant un double effet qui permettrait d’éviter l’évasion par perte de l’antigène (400).

Une autre approche serait d’utiliser deux cibles en parallèle à l’aide soit d’un CAR intégrant deux fragments scFv et pouvant lier l’un ou l’autre des antigènes soit d’utiliser deux CAR distincts issus de la même cassette intégrée aux cellules T (401, 402). Cette stratégie s’apparente aux traitements antibiotiques et à la pression de sélection qu’ils imposent sur les bactéries. En appliquant simultanément deux nouvelles pressions de sélection la probabilité de voir un mécanisme de résistance apparaitre pour chacune des pressions sur la même cellule devient beaucoup plus faible. En jouant ici sur l’immunoédition de manière plus rapide, il devient difficile pour le cancer de s’adapter.

3.5.6.3.La difficulté de production des cellules thérapeutiques

Une fois les CAR plus largement diffusés et les essais cliniques plus nombreux il est apparu une autre problématique liée à la production des cellules CAR T. En effet les patients traités ont souvent subi plusieurs cycles de chimiothérapie et parfois ont déjà reçu une greffe de moelle osseuse, compromettant largement le compartiment T. Il peut donc parfois être difficile de récupérer une grande quantité de cellules T et les traitements subis peuvent également altérer aussi leur phénotype. Pour amplifier ces cellules il peut donc être nécessaire de les cultiver longtemps ex vivo, augmentant donc les coûts liés à la culture cellulaire (403).

Dans certains cas, il faut donc partir d’un petit nombre de cellules T, il faut les transduire par vecteur retroviraux et les amplifier suffisamment pour obtenir une réponse systémique suffisante pour éliminer toute trace de la leucémie. La transduction peut être en soit une difficulté. Les cellules T activées sont facilement transduites par des vecteurs rétroviraux classiques, cependant les

cellules NK n’ont pas été utilisées aussi facilement que les T. Si la transduction en elle-même peut s’avérer problématique, il est aussi important de mentionner les coûts de production et l’importance du contrôle de la qualité des vecteurs viraux produits ainsi que du produit cellulaire final.

Ces divers aspects montrent que les protocoles pour générer le produit thérapeutique final ne sont pas toujours suffisamment efficaces pour standardiser la production de cellules CAR T. Les protocoles d’amplification et de transduction visent à s’améliorer pour éviter que les patients traités ne soient pas toujours injectés avec le même nombre de cellules thérapeutiques.

Cette problématique est aussi un point important pour l’utilisation des cellules NK dans la thérapie CAR. Si l’efficacité des CAR-NK a été prouvée dans des études précliniques, leur utilisation clinique est limitée par plusieurs barrières techniques. L’amplification des cellules NK est actuellement bien maitrisée notamment par le système d’activation et d’expansion des cellules NK (NKAES) (296), cependant si cette méthode permet la production en grand nombre de cellules NK elle ne favorise pas la cryopréservation des cellules NK. La survie des cellules T face à la congélation est un paramètre les favorisant face aux cellules NK (405). Cet aspect est important pour faciliter l’utilisation des cellules NK en clinique.

Un autre aspect est le niveau de transduction par les vecteurs viraux, qui sont très efficaces sur les cellules T mais bien moins sur les cellules NK (406). Cet aspect pourrait être dû à une expression plus faible des récepteurs d’entrée des virus utilisés (407) ou à des mécanismes internes comme la séquestration des acides nucléiques à l’œuvre dans les monocytes (408). Ce problème technique rejoint les autres défis de production à grande échelle de cellules thérapeutiques et représente une étape essentielle à franchir pour développer l’utilisation des CAR.

3.5.6.4.Épuisement et disparition des cellules thérapeutiques : l’importance du signal tonique

La production de CAR T impose donc plusieurs cycles d’expansion cellulaire qui vont parfois épuiser les cellules. L’activation qui est utilisée pour les faire proliférer leur donne aussi un phénotype d’effecteur terminaux qui va donc laisser peu de cellules capables de reprendre des cycles de prolifération. La prolifération intense va impliquer une diminution des télomères et les

nombreux cycles de réplication ADN peuvent mener à l’accumulation de mutations qui mèneront les cellules en apoptose. Mis ensemble, ces points corrèlent avec les observations cliniques où les cellules infusées disparaissent rapidement. Ces effecteurs terminaux vont avoir une action cytotoxique mais peu d’entre eux vont avoir un effet mémoire qui va leur permettre d’établir des clones résidants qui pourront persister et maintenir à long terme la surveillance immune du CAR. L’établissement de clones T mémoire et la persistance des cellules thérapeutique ont été observés uniquement en utilisant la construction de seconde génération intégrant le signal 4-1BB (409). Il semble que la capacité de ce signal à préserver les cellules de l’épuisement cellulaire et le fait qu’il favorise la prolifération améliore son potentiel à générer des T mémoire (410). À l’inverse le signal CD28 semble potentialiser la réponse immédiate qui semble être plus intense car favorisant de plus fort relargages cytokiniques.

Les études sur les signaux CAR ont ensuite mis en évidence un mécanisme crucial dans l’activité des CAR qui est responsable de l’épuisement et de la disparition en périphérie des cellules T : le signal tonique. Il s’agit d’un signal indépendant de la fixation du ligand du récepteur qui apparait quand deux molécules se dimérisent juste par leur proximité. Le signal tonique du TCR a été décrit et montré comme bénéfique dans le cadre physiologique. Il permet de maintenir un certain niveau basal de signaux activateurs et favorise une réponse rapide des cellules T, mais cette dimérisation spontanée est en réalité liée à son interaction avec des molécules de MHC. Dans le cadre du CAR le signal tonique est totalement indépendant et lié uniquement à la très forte densité d’expression en surface.

Les effets du signal tonique ne sont pas systématiquement délétères. Il a notamment été montré in vitro un avantage prolifératif des cellules T transduites par rapport à des cellules T normales car les signaux de costimulation envoyés par le signal tonique favorisent la prolifération et la formation de cellules ayant un phénotype mémoire. Cependant, les effets négatifs observés in vivo semblent compromettre des points clés de la réussite du traitement, à savoir l’épuisement cellulaire et la disparition des cellules thérapeutiques.

Les mécanismes affectant le signal tonique sont nombreux. Il a été montré que l’intensité de ce signal basal est largement affectée par le fragment scFv. En comparant les CAR ciblant le GD2 et

trois ou quatre molécules CAR différentes car le segment de liaison permet une trop grande flexibilité (Figure 8). Les autres segments peuvent aussi jouer un rôle important mais peu d’études ont validé leur impact. En revanche l’impact du signal tonique est largement influencé par les segments de signalisation, le signal tonique du 4-1BB ayant montré une boucle de signaux pro- apoptotique passant par TRAF2.

Figure 8. – Schéma de liaison de scFv entrainant un signal tonique

(adapté de Ajina A, Maher J. Strategies to Address Chimeric Antigen Receptor Tonic Signaling. Mol Cancer Ther. ©2018;17(9):1795–1815, with permission from AACR.)

Le signal tonique est présent car la densité de molécules en surface est supra-physiologique. En effet les vecteurs rétroviraux utilisés utilisent soit un promoteur interne viral soit un promoteur eucaryote fort comme EF1α. Ces promoteurs induisent une production supra-physiologique de CAR qui favorisent le signal tonique. L’expression du CAR a été modulée soit en ajoutant une séquence d’entrée ribosomique soit par des stratégies d’insertion spécifique dans des locus dirigeant l’expression de la chaine α du TCR (411, 412). Ces travaux ont montré que bien que les niveaux de CAR détectés soient inferieurs l’efficacité du traitement étaient identique ou même supérieure in vivo. Il est donc supposé que la diminution de l’intensité d’expression est un paramètre crucial pour obtenir une thérapie plus efficace en diminuant le signal tonique.