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Chapitre 1 – Introduction

3. L’immunothérapie

3.5. Les Récepteurs Chimériques d’Antigènes

3.5.2. Le scFv et la problématique de la cible

3.5.2.1.Toxicité selon la cible

Avec la possibilité d’utiliser n’importe quel anticorps pour générer un segment scFv pour la portion extracellulaire du CAR, vient l’idée de cible de la thérapie CAR. Les thérapies actuelles se basent sur la reconnaissance classique des cellules immunitaires mais en utilisant un nouveau récepteur il devient possible de biaiser cette reconnaissance. En faisant ce biais, un des problèmes évident est le risque de cibler des cellules saines et donc de mettre en danger la fonction des organes. Il est ainsi apparu le concept de toxicité « on-target off-tumor », qui exprime le fait d’avoir en dehors de l’effet anti-tumoral recherché une toxicité induite par les cellules infusées sur des cellules saines initialement non ciblées. Au sein même de ce concept, la problématique est différente en fonction des potentielles cellules saines ciblées. Dans le cas de la leucémie, même si l’ensemble des cellules B sont affectées il n’y a pas de problème vital direct (349), en revanche en ciblant des antigènes myéloïdes dans le cadre de l’AML, l’infusion de CAR entraine une aplasie médullaire fatale (350).

Cible Cancer visé Etat

BCMA Myelome multiple Essai clinique (Phase 1-2)

CD19 Leucémie ou lymphome B Commercial

CD20 Leucémie ou lymphome B Essai clinique (Phase 1) CD22 Leucémie ou lymphome B Essai clinique (Phase 1)

CD33 AML Essai clinique (Phase 1)

CD123 AML Essai clinique (Phase 1)

EGFRvIII glioblastome Essai clinique (Phase 1) GD2 Neuroblastome, mélanome Essai clinique (Phase 1) Her2

Glioblastome, cancer ovarien, osteosarcome,

adenocarcinome pancreatique Essai clinique (Phase 1) Mesothelin Cancer pancréatique Essai clinique (Phase 1) MUC1,Tn-MUC1 Glioblastome, carcinome, cancer des poumons Essai clinique (Phase 1) PSMA Cancer de la prostate Essai clinique (Phase 1)

Plusieurs points sont critiques dans la thérapie CAR. La cible définie est bien entendu le premier critère qui va non seulement déterminer la spécificité et donc le cancer ciblé, mais aussi les potentiels effets « on-target, off-tumor » c’est-à-dire sur des cellules que l’on ne veut pas toucher avec la thérapie mais qui sont tout de même ciblées par le CAR (Tableau 1). La première cible utilisée par les CAR est le CD19 dans le cadre de la leucémie B (351). L’avantage de cette cible est que l’effet off tumor est centré sur la population B dans son ensemble, ce qui ne représente pas une menace pour la vie du patient. En effet, malgré une aplasie B, l’injection d’immunoglobulines permet de d’éviter des infections graves liés à l’agammaglobulinémie secondaire à la déplétion B (352). En somme, l’effet off tumor est volontairement maintenu pour ne pas compromettre l’efficacité du traitement. Dans le cas des tumeurs solides, l’antigène disialoganglioside (GD2) a par exemple été déterminé comme une cible intéressante pour les neuroblastomes. Néanmoins, l’expression de cet antigène peut être retrouvée sur des cellules nerveuses saines et donc engendrer une réaction inflammatoire forte dirigée contre ces cellules (353). Il pourrait alors y avoir de graves séquelles neurologiques et une douleur intense liée directement au traitement. Il a d’ailleurs été observé que les effets indésirables corrélaient avec une bonne réponse au traitement (354, 355). Dans le cas du GD2 il est indispensable de limiter les effets off-tumor, contrairement au CD19. Dans certains cas une cible peut être complètement inutilisable à cause de cet effet. Dans le cadre de la leucémie myéloïde aigüe (AML) l’antigène CD33 a été proposé comme cible potentielle (356). Malheureusement, l’expression de CD33 sur l’ensemble de la population myéloïde ainsi que sur des progéniteurs précoces de l’hématopoïèse dirige la cytotoxicité vers ces cellules de la moelle osseuse (357, 358). Cette réaction immunitaire entraine alors une aplasie médullaire intense qui est mortelle (350, 359). Ainsi l’antigène CD33, bien que largement exprimé par les AML, est inutilisable à cause de sa toxicité sur les cellules saines. On voit ici trois exemples de cibles avec chacune un degré d’acceptabilité différent d’effet off-tumor.

Un aspect important de la thérapie CAR est donc de cibler le bon antigène. De nombreuses recherches sont centrées sur cet aspect, notamment en utilisant les outils de séquençage de nouvelle génération (360-362). En séquençant le génome des tumeurs isolées de patient, il devient possible de trouver l’expression de molécules propres à la tumeur ou surexprimées en regard au tissu sain.

3.5.2.2. Types d’antigènes cibles

On peut discriminer plusieurs types de cibles. Le plus évident est un antigène exprimé uniquement sur la tumeur. Il peut s’agir d’une protéine mutée qui apparait suite à une mutation de sa séquence dans le cancer, on parle alors de néo-antigène. Étant bien entendu la cible parfaite, puisque présents sur les cellules cancéreuses uniquement, ces néo-antigènes sont très étudiés (363). Ils peuvent provenir de plusieurs types de mutations et donc avoir des degrés d’immunogénicité divers. Il peut survenir une mutation ponctuelle d’un nucléotide entrainant un changement d’acide aminé. Ces mutations ponctuelles non-synonymes peuvent générer un nouvel antigène en perturbant largement la structure de la protéine (364). Étant donné qu’il n’y a alors le changement que d’un seul acide aminé, le changement peut être trop mineur sur la structure pour affecter sa détection spécifique (365). Il est également possible que la portion mutée affecte une portion intracellulaire et donc indétectable par un CAR. La mutation peut aussi affecter une portion de protéine utilisée par la cellule pour l’adressage et permettre une expression membranaire à des protéines normalement réservées à des compartiments internes comme les lysosomes (366, 367). Dans ce cas, il est possible de voir apparaitre des antigènes de surface spécifiques au cancer permettant un ciblage parfait. Il est également possible que des mutations non synonymes modifient un site de glycosylation ou de maturation pouvant ainsi générer un épitope inexistant sur les cellules saines et donc un néo-antigène (368, 369).

Des mutations de délétion ou d’insertion de base peuvent également survenir dans un gène et créer un décalage du cadre de lecture. Dans ce cas, il est hautement probable de voir apparaitre un codon stop précoce. Cette disruption de la protéine peut empêcher son expression soit par une déstabilisation des acides ribonucléiques (ARN), soit par une protéine qui ne peut être adressée correctement, soit une instabilité intrinsèque à la protéine elle-même. Dans ce cas, la perte d’expression peut être un outil de discrimination entre cellules saines et cancéreuses. Cependant une stratégie utilisant des anticorps ou un CAR conventionnel ne peut fonctionner car la cible ne peut servir pour une activation du système immun. Il est cependant possible d’utiliser des stratégies combinatoires. Il est possible de changer les segments intracellulaires pour des portions de récepteurs inhibiteurs comme PD1 pour inhiber la signalisation d’un autre CAR (370). En utilisant

ainsi un système de double CAR il est possible d’obtenir un effet fort et maintenu contre la tumeur tout en inhibant la réponse dirigée contre le tissu sain qui aura gardé l’expression de la protéine. Lors de la transformation tumorale, l’occurrence de fusion de gêne est souvent un élément déclencheur comme vu plus haut. Les fusions de gènes peuvent alors donner des protéines aberrantes qui peuvent devenir des antigènes cibles très spécifiques. Pour en faire des cibles thérapeutiques il faut en revanche que ces molécules apparaissent en surface. Étant donné que ce type de fusion est souvent générateur de tumeur lorsqu’il concerne des facteurs de transcription la protéine est rarement adressée à la surface (371). Cependant il est possible que la cellule dégrade cette nouvelle molécule et la présente via les molécules du MHC et soit donc utilisable comme cible notamment via la reconnaissance des cellules T (372, 373).

Il est également possible d’avoir une mutation dans des régions non-codantes qui peuvent réactiver ou augmenter l’expression d’un gène. Les cellules cancéreuses peuvent alors avoir un profil d’expression différent bien que la molécule ciblée soit identique. Ce genre de mutation peut apparaitre soit dans la région promotrice d’un gène soit dans une région régulatrice qui peut être distale ou intronique (374).

Toute cette problématique de cible des CAR est cruciale si on veut adapter cette approche à de nouveaux cancers.