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CHAPITRE 3. COSMOLOGIE ALGONQUIENNE ET DYNAMIQUES COSMO-

4.2 Traditions musicales iroquoiennes

Les groupes linguistiques et culturels iroquoiens sont les Mohawks et les Hurons- Wendat au Québec. Les Mohawk (Kanien’kehaka), connus historiquement comme des Iroquois, habitent trois communautés (Kanesatake, Kahnawake et Akwesasne) sur les bords du fleuve St-Laurent dans les environs de Montréal dans le sud-ouest du Québec. D’autres communautés mohawk se trouvent en Ontario et aux États-Unis, et Akwesasne est elle-même divisée entre l’Ontario, le Québec et l’État de New York. Les Hurons-Wendat habitent la communauté de Wendake (Village-huron) située au nord de la ville de Québec, mais forment également une diaspora dispersée depuis le 17e siècle au Québec, en Ontario et aux États-Unis, en Oklahoma principalement, avec les Wyandot (Sioui 2012).

Le mode de vie traditionnel iroquoien est marqué par la sédentarité en villages semi- permanents de maisons longues, l’agriculture (horticulture sur brûlis) des courges, du maïs et des haricots (nommées les trois sœurs) et un certain nomadisme pour les activités de chasse- pêche-cueillette et le commerce. Ils se structurent politiquement en confédération, telles la Ligue des Cinq-Nations formée par les Sénéca, Cayuga, Oneida, Onondaga et Mohawk peu avant l’arrivée des Européens (qui les nommèrent Iroquois) et la Confédération des Hurons établie au sud-est de la baie Géorgienne du lac Huron avant leur dispersion au 17e siècle (Dominique et Deschênes 1985 : 33-34; Sioui 2012). Ils possèdent des sociétés secrètes de masques faux-visages (Diamond 2007; Diamond, Cronk et von Rosen 1994; Kurath 2000; Speck 1995; Sioui 2011; Fenton 1987). Bien qu’ayant été de grands ennemis historiques et que la Ligue iroquoise ait pratiquement décimée par la guerre le peuple wendat, ces nations sont aujourd’hui réconciliées et se fréquentent notamment pour revitaliser leurs traditions

iroquoiennes communes, que les Mohawk et autres Iroquoiens ont davantage conservées que les Wendat.

Du côté iroquoien, l’étude de Gertrude Kurath (2000 [1964]) sur les musiques et danses traditionnelles sénéca représente un ouvrage de référence sur les danses et musiques iroquoises. L’étude de Frank Speck (1995 [1949]) sur les rituels cayuga62 livre aussi beaucoup d’informations sur les danses et musiques iroquoiennes. En 1911, l’anthropologue Marius Barbeau constitua des archives sonores et écrites de chants et musiques hurons-wendat en rencontrant des Hurons-Wendat à Wendake (anciennement nommé Lorette). Elles sont déposées au Musée canadien de l’histoire. Beverley Diamond (2008 : 95-116), ainsi que Sam Cronk (Diamond, Cronk et von Rosen 1994, 1988) ont aussi réalisé des études intéressantes sur les musiques haudenausaunee (iroquoises).

Les musiques traditionnelles iroquoiennes sont principalement des chants accompagnés de tambours (à main et tambour d’eau63) et d’autres percussions principalement sous forme de hochet (hochet en carapace de tortue, hochet en corne de boeuf), exécutés lors de rassemblements pour animer les danses sociales, ainsi que pour des événements spirituels et cérémoniels. Les Iroquoiens ont un système cérémoniel suivant le cycle annuel des saisons, notamment les cérémonies des sociétés de masques faux-visages. Ces cérémonies, impliquant des chants et des danses sociales, sont reconduites annuellement chez les Mohawk, ainsi que chez les Wendat qui se les ont réappropriées et les pratiquent notamment dans leur maison longue. (Voir Kurath 2000 [1964]; Speck 1995 [1949]; Barbeau [1911]; Tremblay-Matte et Rivard 2001; Diamond 2008; Diamond, Cronk et von Rosen 1994; Wright-McLeod 2005).

62 Les Seneca et les Cayuga sont des nations iroquoiennes de la Confédération des six nations Haudenosaunee (iroquoises), dont font partie les Mohawk.

63 Les tambours d’eau sont constitués d’un petit cylindre fermé à une extrémité (bûche de bois sculptée à l’intérieur ou tuyau en plastique) et d’une peau tannée mouillée tendue à l’extrémité ouverte par des cerceaux enrobés de tissu, frappée par un petit bâton de bois. Leur son clair et aigu est ajusté et accordé en tendant la membrane avant d’en jouer et en les retournant régulièrement afin de mouiller la membrane. Le chanteur principal s’en accompagne lors des danses sociales (Diamond 2008 : 97-98).

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4.2.1 Pratique contemporaine des traditions musicales huronnes-wendat

Plusieurs Hurons-Wendat font une distinction entre les pratiques « traditionnelles » et « folkloriques ». Le traditionnel est conçu dans le sens de « traditionaliste », comme étant ce qui est plus authentique, secret, spirituel, cérémoniel, communautaire, moins commercialisé et mis en spectacle touristique, qui s’est soit transmis oralement à travers les générations wendat, ou qui est récupéré dans les écrits et les archives consignées et collectées par les missionnaires, anthropologues, archéologues et historiens ou bien chez leurs voisins iroquoiens (Mohawk) qui ont conservé vivantes des traditions similaires jusqu’à aujourd’hui. Le « folklorique » est une adaptation du « traditionnel » pour des besoins commerciaux, touristiques ou de spectacles culturels, mais aussi pour l’enseignement local et interculturel, dont l’exemple est celui des troupes de danse folklorique wendat comme Sandokwa, Andicha N’de Wendat, Sondaky. Ces troupes reprennent des anciens chants et danses traditionnels, d’origine wendat ou d’autres nations (généralement les chants sont ceux enregistrés par l’anthropologue Marius Barbeau en 1911 à Wendake), tout en en inventant, surtout des danses, à la fois dans leurs mouvements, accessoires (couvertes, boucliers de plumes, têtes de cerf) et leur contenu/explication symbolique. Les costumes sont généralement en cuir, représentant les costumes de l’époque de contact ou ceux des Indiens des films d’Hollywood, tout en s’inspirant aussi du panamérindianisme (pow wow intertribaux).

Mais la question du « traditionnel » et du « folklorique » est plus complexe qu’il n’y paraît chez les Hurons-Wendat. Car ce qui est identifié comme folklorique me semble davantage vivant et transmis localement de façon orale sans rupture temporelle, quoiqu’adapté aux contextes contemporains. Et ce qui est identifié comme traditionnel l’est selon une conception plus puriste bien que ce soit davantage une récupération des éléments culturels qui ont été perdus et qui sont aujourd’hui rapatriés et revitalisés à partir des documents d’archives écrits et enregistrés par des représentants coloniaux.

Les chants hurons-wendat traditionnels ont été recueillis et enregistrés sur rouleaux de cire par l’anthropologue Marius Barbeau en 1911, auprès de Prospère Vincent et d’autres Hurons-

Wendat de Lorette64, nommée aujourd’hui Wendake. Barbeau les a déposés, avec des notes explicatives, au Musée canadien de l’histoire à Ottawa. Des copies sont aussi disponibles au centre d’archives de la nation huronne-wendat à Wendake, pour les rendre accessibles aux Wendat65. Le chanteur wendat François Kiowarini Vincent, avec son frère Claude Vincent et l’historien anthropologue Georges Sioui, ont fait un travail colossal dans les années 1970 et 1980 afin de se réapproprier les chants enregistrés et consignés par Barbeau et d’en comprendre la signification et le contexte traditionnel de performance (Kiowarini et Vincent 1983; Kiowarini c1960’, 1971, 2007). Les autres chanteurs et troupes s’en sont ensuite inspirés. Ces chants n’étaient pas tous perdus et disparus de la tradition orale; certains se sont transmis localement sans rupture temporelle. Mais la signification et la compréhension des paroles des chansons et de leurs contextes de performance étaient pour la plupart perdues ou déformées par le temps (P. H. Gros-Louis 2009 : entretien).

Voici l’exemple du cheminement de la chanson traditionnelle huronne-wendat « Annikouya », un chant de danse pour les femmes, très populaire aujourd’hui et interprétée par presque tous les chanteurs, chanteuses et troupes de danse wendat, généralement accompagnée de tambour à main. On la trouve sous plusieurs versions dans la Collection de Barbeau (1911): « 14 nos. 29, "ni koya dance for women", 30 "second woman dance", 63 "Iroquois dance for women", 67 "yanekuya, Huron dance for women", linguistics, typed copy, nd, 4 p. Informants: [P.] Vincent, Caroline Groslouis. » Elle a été plus tard reprise et enregistrée sous le titre Annikouya anoyé (Chant de nuit) en 1983 par François Vincent Kiowarini et Claude Vincent Sawatanin sur leur album Wendate Asta. Chants rituels hurons (1983). Elle a été de nouveau enregistrée en 1996 sous le titre Annikouya anoyé (Chant de nuit) dans un medley avec Nikoya Nahinowé (Légende de Kabir Kouba) et Inoria kwénotani (chant de bienvenue) par le duo féminin

64 Voici le nom de quelques informateurs-chanteurs de Lorette rencontrés par Marius Barbeau en avril-mai 1911, auprès desquels il a recueilli et documenté les chants et leurs danses associées, contexte, histoire personnelle et linguistique : Prospère Vincent, Madame Maurice Sioui (Eliza Vincent), Thomas Paul, Caroline Groslouis, Pitre Sioui, Nicolas Groslouis, Elize Groslouis, Louis Groslouis, Maurice Bastien, Mme Etienne Groslouis, Mme Maurice Groslouis, Marie Robigaud, Alvine Vincent.

65 J’utilise le terme wendat qui est celui privilégié par la plupart des Hurons-Wendat aujourd’hui, les désignant dans leur propre langue.

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I'arenda'e Wendat (Fernande et Christiane Gros-Louis) évoluant avec la troupe Sandokwa, sur leur album Chants traditionnels Hurons. On remarque que ce sont les mêmes noms et le même orthographe de chansons que sur l’album de François et Claude Vincent (1983). En 2011, elle a été enregistrée sous le nom Ahsonta' / Nuit par Christian Laveau, fils de Fernande Gros- Louis et ex-membre de la troupe Sandokwa, sur son album Sondakwa. Elle a même été interprétée et très appréciée en spectacle en fusion avec le groupe de musique des Andes Supay établi à Québec, par le chanteur traditionnel et populaire wendat Patrick Harondionda Gros-Louis, lors de l’événement Rondo Mondo en mai 2007 à la Place d’Youville à Québec, organisé par la radio CKIA.