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Paradigmes théoriques de la culture en anthropologie

2.1 La culture populaire : un concept pour mieux comprendre les manifestations

2.1.2 Paradigmes théoriques de la culture en anthropologie

Avant de m’attarder plus spécifiquement aux cultures populaires et aux productions culturelles populaires, je relate succinctement le développement des paradigmes anthropologiques permettant de penser la « culture », tout en explicitant comment je conceptualise la culture à partir du paradigme de la théorie de la pratique. Comme le dit Fabian (1998 : x, 1-2, 27), il faut d’abord savoir de quoi il s’agit lorsqu’on parle de « culture », pour ensuite se demander que vient lui ajouter ou lui opposer l’adjectif « populaire » : « Serious thought about popular culture inevitably leads one to question the concept of culture itself » (Fabian 1998: x).

Pour les anthropologues en général, à peu près tout ce que les humains font pour vivre et animer leur vie est de la culture (Fabian 1998 : x). C’est ce que Fabian nomme la « culture tout court » (1998 : 1, 27). La culture est conçue comme un processus de communication, de signification, de transmission et de transformation (Poirier 2004b).

2.1.2.1 Culture comme altérité

L’émergence de l’anthropologie est liée à la question de l’altérité des peuples considérés « non civilisés » en contexte d’expansion coloniale européenne (Fabian 1998 : 23; voir aussi Abu-Lughod 2005, Said 1978). Historiquement, l’anthropologie s’est instituée comme étant l’étude de la culture des pré-modernes ou non modernes (voir Latour 1997), non occidentaux et ruraux, bien qu’elle se soit maintenant émancipée de ces clivages. Comme le dit Fabian, « anthropology did not find its object, it construed it as an other » (Fabian 1998 : 23). Le discours colonial a construit deux genres d’altérité. Le premier est l’Autre traditionnel

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et rural comme étant le vrai « natif », autochtone. Le deuxième est l’Autre modernisé, généralement urbain, comme étant le « natif » aliéné, assimilé, corrompu aux vices de l’occidentalisation. Toujours selon Fabian, « [t]he distinction served to keep the native authentic as an other for an authentic self » (Idem : 24). Comme si le soi colonisateur, « moderne », cherchait la confirmation de soi dans un Autre conçu comme étant son image inversée. Cela est aussi vrai et réciproque dans la conception que ces « Autres » ont des colonisateurs et occidentaux (voir Basso 1979). L’Autre changeant, tendant à trop ressembler au colonisateur, est ainsi considéré inauthentique et est l’exemple de la dégradation et de la disparition de son unicité/altérité culturelle : « the theoretically disappearing native, victim of imposed images, disappears practically in towns that are the sites of modernity » (Fabian 1998 : 24-25). C’est ainsi que l’anthropologie s’est initialement attachée à étudier, comprendre, théoriser, archiver cette altérité radicale, dite authentique, avant qu’elle ne s’éteigne, théorisant en quelque sorte la culture comme étant le quelque chose humain qui est voué à la disparition au contact de la colonisation et de l’occidentalisation: « in anthropology, theory of culture established itself as a theory of disappearance » (Idem: 24). Et c’est ainsi que la plupart des manifestations culturelles « populaires » hydrides, émergeant de ce contact, ont longtemps été évacuées de la plupart des études anthropologiques.

In colonial times, many expressions we would now consider part of popular African culture (dress fashions, forms and place of entertainment, living styles, use of European languages, religious syncretism) were perceived (and represented) as inept apings, inauthentic copies of Western culture. Often they were called funny; most of the time they were quickly denounced as ridiculous. […] Why did [the colonials] become defensive-aggressive when they saw that Africans had taken hold of something the Europeans considered theirs? The most plausible reason […] seems to be that such features were experienced as threatening, or at any rate not fitting, constructions of the colonized as an other. (Fabian 1998: 24)

Le paradigme classique moderne de l’anthropologie conçoit la culture comme étant une entité réelle, quoique complexe. Il postule un réalisme ontologique, un essentialisme, de la culture, existant comme une tradition à l’extérieur des personnes elles-mêmes. La tradition y est envisagée comme une collection de symboles, objets, techniques et autres qui peuvent être partagés par les personnes à un moment donné et transmis à travers le temps d’une génération à l’autre (Fabian 1998 : x-xi). On y reconnaît l’idée de collection, de combinaison de traits, de possession, de partage « tangible », de transmission générationnelle et de pluralité des

cultures. Tout en reconnaissant la culture comme étant universelle, le propre de tous les êtres et groupes humains, l’accent est mis sur la différence, la spécificité, la pluralité des inventions et des formes culturelles (Idem).

Dans les années 1960, ce concept de culture était au centre des réflexions théoriques des sciences comportementales. Il s’était émancipé du paradigme évolutionniste concevant la « Culture » comme étant singulière, hiérarchique, élitiste et synonyme de civilisation, comme une qualité des personnes et des collectivités pouvant augmenter, décroître et être perdue: la culture devenait universelle et plurielle. Il a été formulé pour remplacer cette notion de culture élitiste. Dès la fin du 19e siècle, Franz Boas puis ses disciples de l’anthropologie culturelle américaine avaient aussi critiqué les théories évolutionnistes et racistes en proposant un concept de culture expliquant les déterminants et les différences des comportements humains (Idem : xi, 3-4). La culture fut ainsi pensée comme une entité positive faite de valeurs et de croyances qui orientent, dirigent et organisent l’action humaine en systèmes dont elle fournit la logique, la raison d’être et l’équilibre (Idem : 4), mais ayant un composant profondément historique et dynamique.

Fabian identifiait, au moment d’écrire son livre Moments of Freedom (1998), deux directions contemporaines pour penser le concept de culture. L’une conçoit la culture de façon déconstructive, non ontologique, a-personnelle, non humaine (Fabian 1998 : xi). L’autre est centrée sur une notion constructive de culture en tant que pratique, « a constructive notion of culture as praxis » (Idem). Les tenants du paradigme de la théorie globale et de la théorie du système-monde récupèrent le concept classique moderne d’une culture réifiée, mais en mettant l’emphase sur la distribution différentielle de parcelles de culture, sur sa marchandisation et sa circulation, toutefois en abandonnant l’idée de culture comme un système intégré aux frontières définies et maintenues (Fabian 1998 : xi-xii; voir Guyer 2004; Appadurai 2001; Friedman 1994; Yúdice 2003).

2.1.2.2 Théorie de la pratique ou culture en tant que pratique

Ortner, tout comme Fabian, exprime son affinité et son penchant pour la théorie de la pratique (practice theory) (Ortner 2006), ou pratique de la culture (culture as praxis) (Fabian 1998). Cette théorie est apparue sur la scène académique anthropologique à la fin des années

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197026. La théorie de la pratique tente de surmonter l’opposition classique entre la structure et l’agencéité, en conceptualisant les articulations entre la pratique des acteurs sociaux sur le terrain et les grandes structures et systèmes qui contraignent ces pratiques, tout en pouvant être transformées par ces acteurs et leurs pratiques (Idem). Trois ouvrages majeurs ont jeté les assises de la théorie de la pratique : Bourdieu (1978), Giddens (1979) et Sahlins (1981). Ils proposent des relations dialectiques, plutôt qu’oppositionnelles, entre les contraintes structurelles et les pratiques des acteurs (Idem). La contradiction apparente d’une citation comme « history makes people, but people make history » (Ortner 2003 : 277), devient sous cet angle l’une des plus grandes vérités de la vie sociale (Ortner 2006 : 2).

Les questions de pouvoir et d’inégalité, absentes de certains paradigmes, surtout de ceux centrés sur le symbole et la signification (interprétatif, structuraliste), sont aussi devenues des préoccupations majeures dans les années 1970, marquant un tournant vers le pouvoir. Ce tournant est associé aux travaux de Scott (1985), Foucault (1979), Williams (1977) et aux études critiques du colonialisme, du genre, de la race et de l’ethnicité (Ortner 2006 : 3, 4-8). Scott, avec son ouvrage Weapons of the Weak (1985), a généré une quantité d’études de la résistance. Foucault a influencé plusieurs pans des sciences sociales, en particulier les études féministes, notamment par les ouvrages majeurs de Judith Butler (1997), et les études (post)coloniales, notamment par ceux d’Edward Said (1978). Williams est l’ancêtre fondateur des études culturelles (Cultural Studies) (Ortner 2006 : 6). Sur une échelle allant de la structure, la contrainte sociale et le pouvoir à la société à l’agencéité, la liberté personnelle et le pouvoir à l’individu, Ortner compare respectivement Bourdieu à Foucault, Sahlins à Williams et Giddens à Scott (2006 : 7-8). Scott insiste sur la question « how (certain kinds of)

26 Selon Ortner (2006 : 1), trois paradigmes majeurs dominaient alors cette scène : l’anthropologie symbolique ou interprétative avec comme chef de file Clifford Geertz, l’économie politique marxiste dont Eric Wolf était une figure majeure, et différentes formes de (post)structuralismes français suivant les traces de Claude Lévi-Strauss. Ces trois paradigmes majeurs tentaient de se détacher de l’hégémonie du paradigme du fonctionnalisme (Idem). Mais elles étaient toutes des théories de la contrainte, où le comportement humain est dirigé par des forces et formations sociales et culturelles extérieures, soit par la culture, les structures mentales, le capitalisme. Selon Ortner (Idem : 2), la contrainte est inhérente au comportement humain, à la culture, mais une théorie basée sur la contrainte et ne tenant pas compte de l’agencéité et des processus est problématique. L’interactionnisme de Goffman, en sociologie, tentait de pallier à cette problématique, en étudiant la microsociologie des interactions personnelles.

practices may transform structures » et Williams affirme « ‘hegemonies’ had to be understood not as ‘structures’ external to individuals but as ‘the whole lived social process’ (1977: 109) [...] which has in short to be both practised and resisted » (Ortner 2006: 8).

Fabian s’inspirait entre autres de Foucault pour trouver une alternative au concept de culture trop simplifié comme étant le dépositoire passif de croyances et valeurs. Le concept de culture comme « archive » ou comme discours commun et partagé était, selon Fabian (1978), la meilleure façon de formuler les tâches descriptives de l’étude de la culture. Selon Foucault, l’archive n’est pas la somme de tous les textes d’une culture, ni les institutions qui enregistrent et préservent les textes, mais c’est avant tout la loi de ce qui peut être dit, « the system that governs the appearance of statements as unique events » (Foucault 1976 : 129 dans Fabian 1978 : 316). L’archive se situe au niveau de la pratique. La pratique des acteurs culturels/agents sociaux permet de réaliser de façon variable et partielle la multiplicité des possibilités du système : « between tradition and oblivion, [the archive] reveals the rule of a practice that enables statements both to survive and to undergo regular modifications » (Foucault 1976 : 130 dans Idem).

Un tournant vers l’histoire (historic turn) (McDonald 1996) émergea aussi à la fin des années 1970. Il cherche à historiciser les travaux en sciences sociales et dynamiser les cadres théoriques trop orientés sur la stabilité et l’intemporalité (Ortner 2006 : 3; 1989, 1999, 2003). Ce tournant insiste sur le fait que le monde traditionnel des objets anthropologiques, les cultures, n’est pas atemporel et fixe, mais bien le produit historique de processus de dynamiques internes (surtout des relations de pouvoir locales) et de forces extérieures comme le capitalisme et le colonialisme (Ortner 2006 : 9). Ortner affirme d’ailleurs que « a theory of practice is a theory of history » (Ortner 1989: 192 dans Ortner 2006 : 9) et que « the playing out of the effects of culturally organized practices is essentially processual and often very slow » (2006: 9). Sahlins (1981) a été le premier à proposer une forme historicisante de la théorie de la pratique, ancrant son sujet historiquement dans la rencontre entre Européens et Hawaïens au 18e siècle et théorisant différentes façons dont les pratiques peuvent affecter l’histoire (Idem : 9-10). Il conceptualise ainsi une différence entre les significations conventionnelles et intentionnelles : les actions et objets ont différentes significations dans le « schème symbolique collectif » et dans les plans et intentions, les intérêts, des sujets acteurs

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(Sahlins 1981 : 69 dans Ortner 2006 : 9-10). Aussi, toute pratique rend ce schème à risque et sujet à révision et réévaluation; les significations des pratiques peuvent être déviées de leurs significations conventionnelles ou intentionnelles, notamment par des personnes influentes et lors d’événements. Sahlins voit aussi le changement social comme un produit de l’articulation des dynamiques de pouvoir locales et translocales. Il permet de conceptualiser les questions d’histoire comme étant aussi des questions de pouvoir, c’est-à-dire de reproduction ou de transformation des relations de pouvoir et d’inégalité (Ortner : Idem).

Le paradigme moderne structuraliste-fonctionnaliste inspiré des sciences naturelles et de l’objectivité a donc fait place à ce paradigme historicisant, où nous cherchons dans l’histoire de nouveaux ancrages pour situer nos objets d’étude, notre façon de les étudier et notre participation commune (coevalness) à l’histoire, à ces études et à ces objets d’étude (Fabian 1998 : xiv; Fabian 2006). Une remise en question par la notion de la réflexivité du chercheur est liée à ce tournant historicisant (Fabian : idem).

Le tournant vers la culture en tant que pratique (culture as praxis) est une critique et une réinterprétation de la culture, en relation à la pratique (Ortner 2006 : 3-4, 11-16). Fabian conçoit la culture comme la praxis humaine, à l’instar de Bauman qui dès le début des années 1970 a fortement critiqué le concept anthropologique classique de culture, notamment dans son livre Culture as praxis (1973) (Bauman 1973 : 117; Fabian 1998 : 1). C’est ainsi que Fabian conçoit également la théorie culturelle anthropologique comme une sorte de praxis, tout autant que son objet, la culture; elle est/fait partie d’une pratique culturelle et s’y inscrit (Fabian : Idem).

Selon Ortner (2006 : 11), on a besoin d’un concept de culture pour envisager les façons dont la pratique est réalisée et organisée, explicitement ou implicitement. Elle partage, avec Geertz et d’autres, mais à l’inverse de Marcus et Abu-Lughod notamment (1999), l’idée que la culture est réelle et qu’on ne peut se passer de ce concept, bien qu’il soit critiquable, complexe et problématique (Ortner 1999 : 8). Selon elle, « the issue is, once again, one of reconfiguring this enormously productive concept for a changing world, a changing relationship between politics and academic life, and a changing landscape of theoretical possibilities » (Ortner 1999: 8). Je partage cette vision. On a besoin de comprendre les façons dynamiques dont les

mouvements culturels forment les pratiques et les subjectivités, le rôle de la « culture » dans les processus sociaux (Ortner 2006 : 11).

Le tournant interprétatif amené par Geertz (interpretive turn) rethéorisait le concept de culture dans ses dimensions à la fois ontologiques et épistémologiques, en réifiant le réalisme ontologique de la culture, le sens classique anthropologique de différences réelles entre les cultures. Cela en proposant que la compréhension de cette culture est accessible lorsqu’on l’interprète comme un texte (Ortner 1999: 5-7). La culture est conceptualisée comme un système extérieur de symboles et de significations permettant de penser, dont il suffit de saisir les codes significatifs (Geertz 1973 dans Ortner 2006 : 15) : « the ‘webs of meaning’ within which people live, meaning encoded in symbolic forms (language, artifacts, etiquette, rituals, calendars, and so on) that must be understood through acts of interpretation analogous to the work of literary critics » (Ortner 1999 : 3). Cette approche humaniste et interprétative cherche à contrer le réductionnisme et le positivisme, et fut justement critiquée pour son aspect littéraire et textuel et son manque apparent d’objectivité, malgré sa forte richesse ethnographique, et l’absence de positionnement politique clair (Idem : 2). Selon Ortner, qui est tout de même une disciple de Geertz, la vision geertzienne fondamentale de la vie sociale humaine est remplie de significations, fabriquant des significations, intense et réelle (Idem : 11). White (2012) propose que l’aspect herméneutique de la démarche anthropologique n’a pas encore fait l’objet d’une réflexion soutenue ou approfondie.

La critique du concept de culture en anthropologie est d’abord une critique de l’essentialisme présent dans le concept de culture de l’anthropologie classique. L’élaboration de ce concept cherchait à contrer celui de race, mais porte à stéréotyper les personnes comme étant sous l’emprise de leur culture, conceptualisée comme une entité définie, divisant les humains et expliquant (provoquant) des patterns de comportements (Wright 1998; Abu-Lughod 1999, 2005; Ortner 2006). Plusieurs anthropologues ont critiqué et abandonné ce concept de culture. D’autres, dans d’autres disciplines surtout, ont cherché à l’utiliser tout en le transformant; notamment, l’école Birmingham de Cultural Studies qui faisait de l’ethnographie et les Medias Studies, qui devinrent une branche majeure dans les sciences sociales et en anthropologie (voir Ginsburg et al. 2002); et en anthropologie plus particulièrement, les participants au journal Public Culture, fondé en 1988. La mission de ce dernier était de voir la

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culture non pas comme attachée à et définissant des groupes particuliers de personnes, mais comme partie prenante des flux culturels globaux (Public Culture 1988 : 1, 3 dans Ortner 2006 : 13).

L’ouvrage d’Appadurai (2001 [1996]) est majeur dans cette nouvelle théorisation du concept de culture en contexte de globalisation et de (post/dé)colonialisme. La culture devient conceptualisée comme très politisée, historicisée, mobile et variable. La relation entre une culture, un groupe spécifique de personnes et un espace géographique n’est plus autant directe et évidente (Ortner 2006 : 13; Guyer 2004).

La notion selon laquelle la culture à la fois permet et contraint est présente dans le concept classique de culture et est encore régulièrement utilisée aujourd’hui: « culture is both enabling and constraining » (Ortner 2006 : 14). Ortner nomme new-old concept of culture l’utilisation, dans des contextes et des objets de recherche nouveaux, du concept de culture classique américain selon lequel la culture est un ensemble de cadres conceptuels et de valeurs qui guident les personnes dans leurs conceptions et actions dans le monde (Idem). Par exemple, dans son article sur la Generation X, Ortner utilise à la fois le concept de public culture, en étudiant les représentations d’un groupe générationnel dans les médias, et le new-old concept of culture, soit de la « culture-même » de ce groupe, selon ce groupe (Idem : 15; 80-106). La théorie de la pratique est une théorie générale permettant de conceptualiser la production des sujets sociaux à travers la pratique dans le monde, et la production du monde lui-même à travers cette pratique. Elle offre une synthèse dialectique intéressante des oppositions entre structures et agencéités (Idem : 16). Tandis que Weber et Geertz s’intéressaient à la production des sujets et subjectivités, Bourdieu et Giddens étaient davantage intéressés par la reproduction sociale que la transformation sociale, ce qui rapproche ces derniers du paradigme fonctionnaliste préoccupé par la stabilité, la cohérence et la continuité (Idem : 17). Sahlins, quant à lui, met l’emphase sur le pouvoir et l’histoire et s’intéresse ainsi davantage aux transformations sociales radicales (Idem : 18). Comme le précise Ortner, la transformation sociale implique nécessairement la transformation culturelle, à la fois dans le new-old sense et les nouveaux sens du concept; elle implique la rupture des schémas et subjectivités dans le new-old sense, et la production, la contestation et la transformation constante de la culture publique, des médias et des représentations (Ortner 2006 : 18). La théorie de la pratique

permet une approche dynamique des cultures et des productions culturelles populaires, en tant que pratiques humaines parmi tant d’autres.

Fabian décrit ainsi sa propre façon d’utiliser le concept de culture sous-jacent à celui de culture populaire, que je partage en grande partie:

I will situate my own struggles with culture, in which I here engage by a detour through popular culture, as follows : I share the opposition to a systemic-integration view and see the alternative in a praxis approach that is compatible with what one might call neo-objectivism, inspired by Hegel and Marx and exemplified by recent material culture theory. It is also theories of embodiment (including the rehabilitation of the senses) with connections to feminist thought (Fabian 1998: xii).

[C]ultural expressions are always more than mere reflexes of social, economic or political conditions. Culture does not simply mirror, it symbolizes and thus always has a sign-function (it is ‘semiotic’). More than that, any living culture must be viewed as a communicative process in which a society not only expresses but also generates and forms its world view. (1978 : 324).

Ainsi, toute culture vivante est considérée dynamiquement comme un processus communicatif dans lequel une société exprime, mais aussi génère et forme, sa vision du monde (Idem). Comme le dit Friedman, les expressions culturelles significatives sont celles qui résonnent existentiellement avec les expériences vécues, qui en sont issues et auxquelles elles contribuent. Si on qualifie de « culture » ce qui fait la spécificité des représentations, activités et produits, alors leur structuration en mondes sociaux est dépendante de leur résonance existentielle au sein d’une population qui entretient le même type d’expérience immédiate. (Friedman 2004: 29; Audet 2005a : 162, 2012a)

2.1.3 L’étude anthropologique de la culture populaire