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Processus d'objectivation de la culture ou de subjectivation de l'expérience

2.2 Manifestation et représentation à travers l'expression artistique contemporaine

2.2.3 Processus d'objectivation de la culture ou de subjectivation de l'expérience

Les groupes minorisés, culturels, autochtones, etc., savent miser sur cette quête d’altérité et d’exotisme et occuper les espaces qui leurs sont ouverts pour se faire connaître, reconnaître et accepter, pour se rendre plus visibles. C’est ainsi qu’ils réutilisent le vieux

concept de culture afin de se (re)définir et se faire reconnaître en tant que groupe culturel aux désirs sociaux et politiques distincts, tout en voulant aussi se faire reconnaître dans leur contemporanéité et leur droit au changement et à la transformation, au libre choix de vie et de mode d’être au monde33, comme tout être et groupe humain. Cela donne lieu à une diversité de pratiques culturelles contemporaines, certaines davantage orientées sur le désir d’« authenticité » et/ou de conformité traditionnelle, d’autres davantage orientées sur l’expression et la fusion des diverses influences formant l’expérience et la subjectivité particulière de chaque personne.

Dans le premier cas, on assiste à des « processus d’objectivation de la « culture » », où la culture locale brimée lors de l’époque coloniale (et encore aujourd’hui) est reconstruite comme un tout et mise de l’avant, devenant une « ressource afin de négocier la coexistence avec la société dominante et faire reconnaître ses droits et sa spécificité (Wright 1998) » (Poirier 2004 : 10 dans Audet 2005 : 107). Comme le dit Abu-Lughod, « the notion of having a culture, or being a culture, has become politically crucial to many communities previously labelled ‘cultures’ by anthropologists » (Abu-Lughod 1999: 122, 2005: 44). Appadurai parle de ce phénomène en termes de culturalisme, en associant inextricablement les notions de culture et de pouvoir: « le culturalisme serait un trait caractéristique des mouvements dont les acteurs élaborent leur identité en toute conscience. [...] C'est la politique identitaire élevée au niveau de l'État-nation. » (Appadurai 2001: 45); « in which identities are mobilized in the context of nation-states, mass-mediation, migration, and globalization » (Abu-Lughod 2005: 45). Les cultures traditionnelles et folkloriques sont ainsi mises de l’avant, revalorisées et représentées, à la fois à l’interne, pour et par les groupes eux-mêmes, et à l’externe, pour les autres, les étrangers, touristes, (post)coloniaux, scientifiques ou consommateurs de différents horizons. Wright (1998), comme Yúdice (2003) et d’autres, critiquent l’utilisation excessive de l’ancien concept de culture par différents groupes contemporains, qu’ils soient autochtones, gouvernementaux, corporatifs, etc. Yúdice met l’emphase sur l’utilisation de la culture en tant que ressource dans le monde contemporain caractérisé par une globalisation accélérée (2003 :

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9). Wright donne en exemple les Kayapo d’Amazonie qui ont su s’approprier ce concept de culture et le jouer en leur faveur, en se présentant de façon exotique par le biais de films, de danses, de chants et de costumes traditionnels à des audiences nationales et internationales afin de faire entendre et reconnaître leurs revendications. « Supported by machinery hitherto associated with dependency, these now-consummate ethnic politicians had learnt to objectify their everyday life as ‘culture’ (in the old sense) and use it as a resource in negociation with governments and international agencies. [...] They defined culture for themselves and used it to set the term of their relations with the ‘outside world’ » (Wright 1998: 14, informée par Turner 1991). Plusieurs anthropologues, comme Turner (1991), se sont penchés sur cette appropriation originale des médias et nouvelles technologies de communication par les autochtones et autres minorités culturelles et/ou politiques, notamment Michaels (1994) avec les Aborigènes australiens et Field (2008) avec les Autochtones de Californie.

Toutefois, d’autres groupes, dont plusieurs intellectuels postcoloniaux, refusent catégoriquement de se faire étudier en tant que « spécimens » marqués par une différence culturelle et une altérité (Ortner 1999 : 8). Ils veulent se faire reconnaître d’abord comme humains appartenant à et partageant l’ère contemporaine, avec leurs spécificités mais aussi leur universalité, et surtout, être libres de se définir et de s’identifier par eux-mêmes. D’autres analyses tentent ainsi de conceptualiser les sujets participant à leur recherche non pas en tant que représentants d’autres cultures, mais en tant qu’humains complices de leur recherche, interconnectés aux mondes globaux contemporains et dont les affinités et appartenances culturelles sont diversifiées (Marcus 1999; Abu-Lughod 1999, 2005; Ortner 1999 : 8).

Certains ne refusent pas le concept de culture et d’identité culturelle collective, par lequel ils veulent tout de même se distinguer, mais sont plus enclins aux nouvelles conceptualisations de la culture, cherchant à se sortir des images stéréotypées et à se faire connaître « tels qu’ils sont » et « tels qu’ils vivent » dans le monde contemporain, souvent à la déception des chercheurs et consommateurs d’exotisme et de passéisme. L’ouvrage Portraits of the Whiteman de Basso (1979) montre comment des Apaches jouent de façon humoristique, critique et satirique sur ces représentations et attentes croisées entre Autochtones et Allochtones. Comme Vine Deloria Jr. le remarquait: « It has always been a great disappointment to Indian people that the humorous side of Indian life has not been emphasized

by professors experts » (1970 dans Basso 1979: 3). Les « Indiens d’Amérique » sont plutôt stéréotypés comme des personnages stoïques et sérieux, résistants aux changements, et leur grande capacité de créativité et d’amusement ont été rendus invisibles par cette représentation dominante (Hymes (préface) dans Basso 1979 : ix; Irving 1965 : 51-52 dans Idem : x). Hymes remarque aussi que « [t]here are many in the United States who still need to be ignorant of the real Indian people living near them, even while admiring Indians remote in place in time. One can understand the need to think this way on the part of people who could not ponder comfortably the fact that their land or livelihood is bound up with what Indians living near them have lost » (Hymes dans Basso 1979: xi).

2.2.4 L'Autochtone invisible et la création de nouvelles relations à travers