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Relations de pouvoir entre minoritaires et majoritaires

2.2 Manifestation et représentation à travers l'expression artistique contemporaine

2.2.5 Relations de pouvoir entre minoritaires et majoritaires

La visibilité et l’engagement des « minorités » dans les domaines artistiques peuvent aussi être utilisés au profit « politique » des « dominants ». Par exemple, Fabian s’interroge sur l’acceptabilité, par la bourgeoisie étatique au pouvoir, des protestations et conscientisations politiques exprimées dans les productions culturelles populaires.

Is one projecting into mass consciousness a kind of escapism which the ruling ‘state bourgeoisie’ would support because it provides ‘the masses with a convenient from the reality of their powerlessness and exploitation’ (Nzongola 1976: 5)? (Fabian 1978: 329-330)

Selon cette conception, les critiques, protestations et prises de conscience populaires ne seraient que virtuelles, illusoires et libératrices de tensions qui pourraient autrement éclater plus concrètement et menacer davantage le pouvoir en place.

Meintjes (2004 [1990]), avec l’exemple de l’album Graceland de Paul Simon en Afrique du Sud, et Morrison (1996), avec l’exemple de Kashtin au Québec, discutent des relations entre les nationalismes des colonisateurs et des colonisés mises en jeu par les musiques du monde et de l’appropriation des symboles autochtones par les colonisateurs afin d’affirmer leur appartenance et leur légitimité à leur nouveau territoire et y prolonger leurs racines et leur héritage. Les cas de l’Afrique du Sud et du Québec y apparaissent comme très similaires, étant des sociétés issues de la colonisation, où les colonisateurs sont demeurés après les mouvements de décolonisation et d’indépendance des années 1960, dont les descendants forment une grande partie de la population et sont au pouvoir. L’album Graceland a été créé et produit par Paul Simon, en collaboration avec des musiciens noirs sud-africains, et a notamment contribué à faire apprécier, connaître et reconnaître mondialement ces musiques et ces musiciens, de même que nationalement auprès des Sud-Africains « blancs ».

All positive White South African commentary on Graceland indicates that White South Africans share one reason for their favoring of Graceland. Irrespective of their political persuasions, they have embraced Graceland because of the link it offers them to indigenous Black traditions. By

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expressing a claim on these traditions, they are able to legitimate their own identity as local and to construct a history for this local identity. The cementing of a local identity is a politically important move for Whites. By incorporating traditions and other signs of indigenous, subordinated groups into their own identity, they not only establish a place for themselves in South Africa, but they also diffuse the potency of those traditions and signs for the subordinated groups. As these signs become emblems representing the nation as a whole, their value in marking distinct identities within the nation weakens. In this way the dominant faction reduces the potential of using these signs in the process of resistance. (Meintjes 2004: 139)

Hall also articulates this dialectic: to regulate and incorporate subordinate groups, the dominant class is forced to reformulate itself constantly so that its core values are not threatened. In reformulating itself it necessarily takes on some features of the subordinate groups that it suppresses. While the ruling faction reduces the oppositional potential of a sign, in this case the sign Graceland, by attempting to construct a national consensus of meaning and feeling about it, subordinate factions arrest it to mark their identity as separate from that of the ruling faction. Subordinate factions claim or reclaim the sign as their own and as a sign of resistance to domination. This dialectic manifests itself as a struggle over the meaning of the sign (Hall 1979: 337). (Idem: 156)

De même, Morrison (1996) discute du succès et de la reconnaissance de Kashtin dans le cadre du nationalisme québécois et de la crise d’Oka34 au début des années 1990. Le premier album commercial de Kashtin (1989), dont les paroles sont entièrement en langue innu-aimun et issues d’expériences innues de ses auteurs, a été reçu avec un engouement extrême par les Québécois francophones. Claude Mckenzie et Florent Vollant, en tant qu’Autochtones francophones, ont été intégrés à la communauté québécoise et acceptés en tant que membres entiers et reconnus de l’industrie musicale québécoise (discriminant habituellement les non francophones), y remportant notamment plusieurs prix Félix à l’ADISQ (voir chapitre 6). Ils représentaient le Québec à l’étranger, lui conférant cette saveur autochtone exotique. Une publicité touristique vidéo de la Côte-Nord présentait des paysages saisissants ainsi que Florent Vollant et Claude Mckenzie, sur une trame sonore de leur groupe Kashtin.

Not only could they provide Québec with an indigenous world music, something that had become a precious commodity on the international music scene, but they could, because of a variety of historical, cultural, and social circumstances, be authentic members of a Québec in the process of redefining what it means to be Québécois. (Morrison 1996: 126)

34 Pour plus d’informations sur la crise d’Oka, voir notamment l’ouvrage des Mohawk Gabriel et Van den Hende (2010) et le documentaire d’Obomsawin (1993) qui a documenté et filmé cette crise politique de l’intérieur et en en expliquant les causes historiques ainsi que celui de Fichman (1991).

Cependant, lorsque la crise d’Oka éclata à l’été 1990, la situation a changé. Ils devinrent alors identifiés uniquement selon leur identité autochtone et non plus comme des Québécois… Leurs chansons, qui étaient alors les succès de l’époque, furent boycottées par plusieurs stations de radios commerciales de Montréal, et on demanda à Kashtin de s’exprimer publiquement et politiquement en tant que porte-parole des Autochtones, bien qu’ils se soient identifiés en tant qu’Innus, distincts des Mohawk qui étaient impliqués dans la crise d’Oka (Idem : 128-132). Bien qu’ils voulaient se dissocier de l’image de guerriers armés (« sauvages iroquois ») que les médias faisaient des Mohawk protestants et des Autochtones en général, qui en fait protégeaient leur territoire ancestral de la destruction, et qu’ils plaidaient plutôt la compréhension et la paix entre les nations, ils exprimaient aussi, le plus délicatement possible, leur solidarité envers ce mouvement autochtone d’affirmation de souveraineté historique sur leurs terres.

2.2.6 Productions culturelles populaires, culture et manifestation artistique