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4.3.1 Motivation du Toy Model

Suite à la prédiction très générale réalisée par Bouchaud et Biroli [47] en utilisant une analogie avec les verres de spin, Ladieu, Brun et L’Hôte [53] ont souhaité construire un modèle le plus simple possible permettant de reproduire la phénoménologie décrite tout en permettant de calculer de manière exacte les réponses attendues.

Le Toy Model de Ladieu, Brun et L’Hôte [53] doit son nom au fait qu’il n’a pas l’ambition initiale de produire une prédiction réaliste quantitative des réponses non linéaires, mais plu- tôt de permettre d’illustrer qualitativement comment l’existence de domaines amorphes de

4.3. LE TOY MODEL DE LADIEU ET AL. 61 taille croissante lorsque la température diminue, permet de produire le type de réponses non linéaires observées. Cependant, nous verrons que les prédictions de ce Toy Model permettent en fait dans de nombreux cas de reproduire les réponses observées de manière quantitative- ment raisonnable.

4.3.2 Principe et fonctionnement du Toy Model

Le principe du Toy Model est de considérer que le matériau est constitué d’un ensemble de régions compactes de taille Ncorr, ayant chacune un temps de relaxation τ. Chacune

de ces régions évolue entre deux états de polarisation opposée faisant un angle respectif θ1 et θ1 + π avec le champ électrique E cos (ωt) appliqué (ou tout forme appropriée du

champ électrique). Chaque région étant amorphe, on considère que les dipôles sont orientés aléatoirement, résultant en un moment dipolaire total µ = √Ncorrµmolec où µmolec est le

moment dipolaire moléculaire. Chaque région a ainsi une contribution ±niµcos (θ1) à la

polarisation totale avec ni la population de l’état i et le signe opposé entre les deux états.

Enfin, l’évolution entre ces deux états se fait dans un puits de potentiel d’asymétrie ∆ par des sauts thermiquement activés.

On peut alors facilement dérouler le calcul de la réponse en polarisation à différents ordres de la réponse non linéaire. On intègre sur les valeurs possibles de θ1pour obtenir la réponse

non pas seulement d’une région mais de tout le matériau (ce qui permet par exemple aux réponses paires de disparaitre). Étant admis que le matériau relaxe de manière inhomogène, il faut évidemment intégrer sur la distribution des temps de relaxation pour reproduire la bonne phénoménologie (sinon, on trouve un spectre de Debye pour χ(1)

1 ). Cette distribution

peut être obtenue par déconvolution de la réponse linéaire observée expérimentalement, ce qui a alors des conséquences pour toutes les réponses non linéaires. Enfin, on peut introduire des raffinements tels que considérer qu’il y a une distribution des asymétries au sein du matériau, ou même considérer que le nombre de molécules Ncorr impliqué dans les régions

est un nombre moyen et qu’il existe une distribution associée.

A part le fait que µ ∝√Ncorr, le second ingrédient clé de ce toy model est l’implémentation

du phénomène de reshufling. Bien que celui-ci soit mal compris et peu étudié, dans le cadre de l’interprétation du Toy Model, c’est le passage qu’il induit de la réponse triviale d’un gaz de dipôles à la réponse singulière des régions de tailles Ncorr qui génère la présence de

pics dans les réponses non linéaires. On implémente ce phénomène de reshufling au moyen d’une équation phénoménologique disant que la susceptibilité triviale X(k)

n, triv(f )d’un gaz

de dipôles et la susceptibilité singulière X(k)

n, sing(f )se combinent via l’équation X (k)

n, tot(f ) =

p (f ) Xn, sing(k) (f ) + (1 − p (f )) Xn, triv(k) (f ). Ici, p (f) est une fonction de répartition associée au temps de vie des corrélations et indiquant quelle fraction du matériau répond de manière triviale où singulière à l’échelle de fréquence f. Ladieu, Brun et L’Hôte [53] propose d’utiliser comme fonction de répartition p (f) = exp(

−fex

f ) et le reshufling est ainsi associé

à un temps caractéristique τex =f1

ex de vie des corrélations vitreuses. En vertu des travaux

existants sur le reshufling, on choisit fα

fex indépendant de T .

On peut ainsi voir la courbe caractéristique des susceptibilités non linéaires du Toy Model comme composées de deux éléments. L’un correspond à la réponse triviale à basse fréquence pour laquelle l’amplitude de X(k)

n, triv est indépendante de la température tandis que l’autre

est dû à la dynamique des Ncorrmolécules présentes dans le double puits. X (k)

2n+1, sing pour

sa part évolue en température avec Nn

corr. On constate ainsi que le nombre de molécules

dynamiquement corrélées Ncorr augmentant lorsque la température diminue, il existe né-

cessairement une température où X(k)

n, sing > X (k)

reshufling qui fait disparaitre X(k)

n, singà basse fréquence, apparition puis développement d’un

pic de susceptibilité à mesure que la température diminue.

4.3.3 Portée et limitations du Toy Model

De manière très générale, et indépendamment du degré de raffinement choisi pour repré- senter ce modèle, il permet de reproduire les prédictions de Bouchaud et Biroli [47], à savoir l’existence d’un pic de réponse non linéaire à une fréquence de l’ordre de la fréquence caractéristique de relaxation fα qui correspond à l’échelle caractéristique de la distribution

des temps de relaxation dans le matériau (et dépend fortement de la température). Ce pic localisé enf/fαest prédit comme ayant une amplitude proportionnelle à Nk

corrà l’ordre 2k+1

(ou à sa moyenne le cas échéant), en suivant les lois d’échelle présentées sous-section 3.1.4. Enfin, la réponse singulière ainsi obtenue présente naturellement un caractère TTS.

Le fait que ce modèle permette naturellement de reproduire l’ensemble des lois d’échelles attendues et observées pour les réponses non linéaires dans le cas de la transition vitreuse est un premier point extrêmement encourageant le concernant. Non content de permettre de reproduire qualitativement les réponses non linéaires d’ordre 3 observées, ce modèle permet de bien les reproduire quantitativement à condition de faire la concession de changer la valeur de Ncorrà T donnée en fonction de l’harmonique observée (section 4.2 et section 4.3).

Les deux autres paramètres du modèle δ = tanh ∆ 2kBT et

fex

fαne changent en revanche ni en

fonction de l’harmonique ni en fonction de T .

Cependant, Ladieu, Brun et L’Hôte [53] notent que les réponses peuvent changer signifi- cativement si on choisit d’utiliser une distribution des asymétries réduites δ. On peut alors imaginer que le choix d’une distribution appropriée ainsi que de ses différents moments pour- rait permettre d’obtenir de manière cohérente les différentes fonctions de réponse avec un unique jeu de paramètres. Le coût serait alors un nombre accru de paramètres à choisir dans le modèle, et il serait donc souhaitable d’apporter une justification supplémentaire aux choix effectués, sans quoi le nombre de paramètres libres trop important pourrait devenir rédhibitoire.

Une question que nous avons soulevée maintes fois déjà au sein même de ce chapitre et qui reste d’actualité est celle du phénomène de reshufling. En effet, pouvoir prendre en compte ce phénomène est un ingrédient essentiel de ce modèle. La question la plus épineuse reste le choix de pondération. Le choix proposé par Ladieu, Brun et L’Hôte [53] d’utiliser une pondération exponentielle de type p (ω) ∝ exp(

− 1

ωτex) pourrait être remis en question. Il

existe de manière générale peu d’études concernant ce phénomène et tout ce qui l’entoure reste une question largement ouverte.

Albert et al. [24] a mis en avant le fait que les régions au sein desquelles l’ordre se développe à l’approche de la transition thermodynamique supposée exister ne sont pas nécessairement des domaines compacts contrairement à ce qui a été supposé par Ladieu, Brun et L’Hôte [53] au moment de l’élaboration du Toy Model. Cependant, il est assez facile de remplacer Ncorrpar ℓ

df

c et de réaliser les quelques autres ajustements qui permettent très simplement

de fractaliser ce modèle et de rendre compte du cas où les régions ne sont pas compactes. Une question qui reste ouverte est celle du choix de n’utiliser que deux états de polarisation opposée, alors qu’il aurait été possible d’utiliser des états plus nombreux et/ou avec des angles de polarisation différents. Dans le cadre de leur Toy Model, et toujours dans le souci de faire un modèle le plus simple possible, Ladieu, Brun et L’Hôte [53] ont choisi cette configuration car elle est celle qui met en jeu le moins de paramètres libres. La question du comportement de ce modèle si on choisit de varier ces paramètres reste largement ouverte, même si on ne s’attend pas à observer des comportements qualitativement différents [68].

4.3. LE TOY MODEL DE LADIEU ET AL. 63

Figure 4.11 – Résultats obtenus par Ladieu, Brun et L’Hôte [53] (figures du haut et du

milieu) et L’Hôte et al. [55] (figure du bas) sur la comparaison aux résultats expérimentaux des prédictions du Toy Model de Ladieu, Brun et L’Hôte [53]. A gauche et au centre et à droite, les prédictions du Toy Model pour les réponses respectives X(1)

3 , X

(3)

3 et X

(1)

2;1 sont comparées aux résultats expérimentaux sur

le Glycérol (Les inserts représentent les phases mesurées ainsi que celles prédites par le toy model). Il faut comparer aux résultats expérimentaux la courbe continue noire de réponse ”totale” qui est toujours prise avec un paramètre δ =0,6 et des valeurs de Ncorr variables. A titre illustratif, L’Hôte et al. [55]

présentent dans la figure du bas une courbe obtenue en utilisant une distribution gaussienne de δ. Ils remarquent en outre que les paramètres de la distribution gaussienne utilisée sont identiques à l’un des jeux de paramètres optimaux pour une distribution gaussienne de delta obtenus par Ladieu, Brun et L’Hôte [53].

4.3.4 Conclusion sur le Toy Model

Ainsi, le Toy Model de Ladieu, Brun et L’Hôte [53] a le mérite via un modèle extrê- mement simplifié de prévoir qualitativement toutes les réponses non linéaires mesurées à ce jour, qu’il s’agisse de de réponses d’ordre 3, de réponses d’ordre 5, ou même de réponses en présence de champ statique. Il reproduit en particulier l’ensemble des lois d’échelles at- tendues et mentionnées dans le cas à fréquence nulle sous-section 3.1.4. Il ne reproduit en revanche quantitativement les réponses d’ordre 3 qu’à condition de choisir une valeur de Ncorrdifférente pour chaque fonction de réponse d’ordre 3 distincte, mais il laisse une marge

de manœuvre suffisante pour le raffiner en ajoutant des paramètres appropriés qui pourraient permettre de reproduire toutes ces réponses avec un unique jeu de paramètres.

Au final, ce modèle initialement construit uniquement à but illustratif est un modèle qui possède de nombreux mérites pour la modélisation des réponses non linéaires diélectriques des liquides surfondus. Il rend compte au même titre que le Box Model de l’aspect inhomogène de la physique sous-jacente et fournit un cadre simple permettant de manière quantitative d’anticiper la réponse du matériau à partir de paramètres physiques raisonnables et laisse une grande latitude pour pouvoir être raffiné.

Toutes ces caractéristiques permettent d’en faire un très bon successeur au Box Model qui, s’il permet de calculer la réponse d’ordre 3 à la première harmonique du matériau en prenant en compte l’hétérogénéité des temps de relaxation, ne parvient plus à reproduire les observations dès que l’on étudie d’autres réponses non linéaires. Qui plus est, ce Toy Model met en jeu des hypothèses physiquement réalistes, alors que le Box model est contraint de supposer que la chaleur dissipée par le champ reste piégée pour des temps anormalement longs sur des régions microscopiques (< 10 nm).