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2.2 Les théories à contraintes cinétiques (KCMs)

3.1.2 Théorie générale sur la transition de phase

Un peu de thermodynamique

Un système de physique statistique est caractérisé par son paysage de potentiel thermodyna- mique. Le potentiel thermodynamique qu’il est approprié de considérer dépend des grandeurs fixées. La situation la plus fréquemment rencontrée est la situation canonique (T , V et N fixés), pour laquelle le potentiel thermodynamique approprié est l’énergie libre F.

Au cours du temps, le système relaxe peu à peu vers les régions de son espace des phases dans lesquelles le potentiel thermodynamique est le plus bas. Le temps de relaxation étant néanmoins d’autant plus important que la barrière d’énergie potentielle qui sépare l’état du système de son état cible est grande, il se peut qu’il se trouve piégé dans une région de l’espace des phases. Il ne relaxe alors pas vers un minimum global du paysage d’énergie potentielle, mais vers le minimum local ou l’un des minimas locaux du méta-bassin dans lequel il se trouve.

Dans le cadre de la transition vitreuse, on identifie plusieurs échelles dans le paysage d’énergie libre des liquides surfondus (voir Figure 3.1).

Aux temps courts, apparait une première échelle de temps dite microscopique, durant laquelle le système relaxe comme un liquide, c’est à dire sans piégeage particulier. Les molécules se comportent de manière indépendante, sans être entravées dans leur mouvement par leurs voisines.

Pour des temps plus longs, apparait ce qui est appelé le régime de relaxation β. Dans ce régime de temps, les molécules sont temporairement piégées en raison d’un effet de cage produit par leurs plus proches voisins, et relaxent donc au sein du méta-bassin associé à cette cage.

3.1. INTÉRÊT DE LA RÉPONSE NON LINÉAIRE 29 les cages se brisent et le matériau se met à couler. Les molécules redeviennent peu à peu indépendantes à cette échelle de temps, où elles passent ”de cage en cage”.

Enfin, pour des temps très longs, le liquide surfondu peut explorer très largement les méta- bassins de son paysage d’énergie libre et finit par trouver le minimum global : l’état cristallin.

Les transitions de phases usuelles

Une transition de phase thermodynamique se caractérise comme l’apparition d’une brisure spontanée de symétrie lors de la variation d’une des variables d’état externes du système, appelée paramètre de contrôle de la transition. A cette brisure spontanée de symétrie est associée un paramètre d’ordre, par définition nul à l’équilibre d’un côté de la transition, et qui devient non nul une fois la transition franchie. Son apparition est accompagnée par la divergence d’une longueur de corrélation dans le système.

En terme de paysage d’énergie libre, cette brisure spontanée de symétrie peut se traduire de diverses manières.

Dans le cas des transitions du premier ordre, un point d’équilibre à paramètre d’ordre nul est supplanté par un point d’équilibre différent, à paramètre d’ordre non nul. Autour de la transition, il existe une région dans laquelle ces deux points d’équilibre coexistent, l’une étant stable, l’autre méta-stable. À la transition, tous deux sont stables. Ceci conduit à une coexistence de phases dans un certain régime paramétrique.

Dans le cas des transitions du second ordre, le point d’équilibre à paramètre d’ordre nul devient instable à la transition, et est supplanté par plusieurs points d’équilibre à paramètre d’ordre non nul. Il n’y a donc pas de coexistence de phases à la transition, mais plutôt une transition continue d’un état à l’autre. À la transition, le puits de potentiel thermodyna- mique est toujours unique, mais adopte une forme quadrique si on considère son évolution en fonction du paramètre d’ordre, conduisant à la divergence du temps de relaxation, et accompagnant la divergence de la longueur de corrélation. Ceci conduit à des fluctuations géantes du paramètre d’ordre au sein du système, comme dans le phénomène d’opalescence critique.

Dans tous les cas, la transition se caractérise par l’apparition et/ou la divergence d’une longueur de corrélation et par le passage plus ou moins brutal d’une valeur de paramètre d’ordre nul à une valeur de paramètre d’ordre non nul, en raison de la brisure spontanée d’une symétrie. Celle-ci a pour conséquence la divergence (bien que avortée dans le cas des transitions du premier ordre usuelles) de certaines fonctions de réponse du matériau lorsque le paramètre de contrôle atteint sa valeur critique, au point où la symétrie est brisée [43]. Cette divergence entraine à son tour une divergence de toutes les fonctions de réponses d’ordres supérieurs, selon une relation en loi de puissance [24, 44, 45].

Mesurer l’existence d’une transition

Ainsi, lorsqu’il s’agit de détecter qu’une transition existe ainsi qu’on souhaite le faire, plu- sieurs solutions s’offrent à l’expérimentateur.

Observer directement la divergence : Lorsque le paramètre de contrôle s’approche de

sa valeur critique, la fonction de réponse associée au paramètre d’ordre se met à diverger. L’option la plus souvent retenue dans l’étude des phénomènes critiques est de l’observer directement.

L’exemple le plus couramment cité est celui de la transition d’Ising paramagnétique/fer- romagnétique, qui a pour température critique la température de Curie Tc. Lorsque l’on

refroidit le matériau tout en restant au dessus de Tc et en conservant un champ magnétique

H constant, l’aimantation M augmente en raison de la divergence de la susceptibilité ma- gnétique linéaire χ1 = lim

H→0

M/H 1/(T −T

c)γ. À la limite T = Tc, il y a divergence de la

susceptibilité, à cause de la présence de cet exposant critique γ qui est caractéristique de la classe d’universalité dont fait partie le hamiltonien d’Ising.

Dans le cas des verres, cependant, cette divergence ne nous est pas accessible car le temps de relaxation diverge de manière super-arrhénienne, ce qui nous interdit expérimentalement la réalisation de mesures à l’équilibre suffisamment proches du point critique supposé. Plus précisément, dans une transition usuelle du second ordre, le temps de relaxation évo- lue selon une loi critique τα ∼ 1/(T −Tc)z. Or, pour une transition vitreuse, on observe au

contraire une évolution du temps de relaxation structurale ταqui suit la loi VFT ln (τα/τ0) =

T0D/(T −T0), où T0 est une température proche de TK, la température de Kauzmann. τ0 ∼

10−14s est un temps microscopique et D est un coefficient valant de 10 à 30.

Lors de la descente en température, τα augmente ainsi extrêmement rapidement et est déjà

grand même quelques dizaines de pourcents au dessus de TK. Ainsi, la température conven-

tionnelle de transition vitreuse Tg, définie comme la température pour laquelle τα(Tg) =100 s

prend des valeurs de l’ordre de 1,3 à 1,6 fois TK dans la majorité des systèmes vitreux.

Ainsi, réaliser des expériences sur des systèmes vitreux à l’équilibre suffisamment proche de TK pour observer une divergence de la susceptibilité nécessiterait des temps de relaxation

bien plus longs que la durée d’une vie humaine, ce qui rend ce genre d’expériences irréalisable.

Voir l’apparition des domaines de corrélation : L’application de cette idée à la tran-

sition ferromagnétique consiste en l’imagerie des parois de domaine ferromagnétiques pour constater la nature fractale de leur structure.

Ceci suppose de comprendre en premier lieu la nature de la fonction de corrélation dont l’étendue spatiale diverge avant d’être capable d’imager cette fonction de corrélation. Aucun de ces deux prérequis n’est rempli dans le cas de la transition vitreuse. Si le fait qu’il y a croissance d’une longueur dans les verres est relativement consensuel (bien que pas univer- sellement accepté), sa nature en revanche fait l’objet de nombreuses spéculations, en partie nourries par le fait qu’aucune des théories proposées n’a pu jusqu’à présent être directement confrontée aux mesures réalisées dans les verres moléculaires.

En particulier, bien que des techniques d’imagerie de la réponse diélectrique à l’échelle nano- métrique aient été développées [46], il ne s’agit pas là d’une mesure directe des fluctuations du paramètre d’ordre, puisque la susceptibilité linéaire diélectrique ne diverge pas dans les matériaux vitreux. Ceci laisse ouverte la question de savoir imager la bonne grandeur. Toutefois, Bouchaud et Biroli [47] sont parvenus à exhiber un lien à l’approche du point critique entre les fonctions de réponse non linéaires diélectriques du matériau et une longueur de corrélation.

Plus précisément, ils ont montré que la susceptibilité linéaire diélectrique d’ordre 3, χ3,

pouvait être reliée à la fonction de corrélation à 4 points χ4 du matériau. Ce lien général

indépendant de la théorie thermodynamique particulière (RFOT, frustration, …) permet pour la première fois d’avoir accès expérimentalement à la longueur de corrélation dans le matériau. En effet, il avait été montré précédemment [48, 49, 50, 51] que les fonctions de corrélation à 4 points se comportent en loi de puissance de la longueur de corrélation soit χ4∼ ℓαc.

Malgré ces avancées théoriques très importantes qui pourraient laisser envisager le recours à cette méthode, il reste plusieurs obstacles fondamentaux à sa mise en œuvre. En particulier, la

3.1. INTÉRÊT DE LA RÉPONSE NON LINÉAIRE 31 longueur d’imagerie que l’on peut atteindre à l’heure actuelle n’est pas suffisante pour envisa- ger l’application de cette technique (il faudrait atteindre des résolutions inférieures à 10 nm). D’autre part, étant donné que la longueur de corrélation évolue commeℓc/a ∼ [ln (τα/τ0)]

m

(τ0 est un temps microscopique, a une longueur moléculaire caractéristique et m un expo-

sant critique valant m =2/3 dans RFOT), il faut des temps d’équilibrage prohibitivement

longs pour permettre d’observer des longueurs de corrélation ℓc raisonnablement grandes

(& 10 nm).

Comparer les fonctions de réponse non linéaires : En faisant ceci, on peut étudier

la relation géométrique qui les relie, laquelle est un signe de la nature critique du phénomène à l’œuvre [24, 44, 45].

On peut aisément s’en convaincre à l’aide d’un argument que nous détaillerons sous-section 3.1.4 pour la transition vitreuse et dont nous évoquons ici les résultats dans le cadre d’une tran- sition paramagnétique/ferromagnétique standard. Notons µdip le moment dipolaire d’une

molécule et df la dimension fractale des domaines qui s’ordonnent. Le moment dipolaire

d’un domaine s’exprime dans ce cas comme µdip(ℓc/a)df et la composante singulière de la

polarisation s’exprime comme Psing = µdip(ℓc/a)df ad(ℓc/a)d F ( µdip(ℓc/a)dfE kT )