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Tour de parole et règle de dépendance séquentielle

6. Le tour de parole et le principe d’alternance : essaie d’une définition

6.1. Tour de parole et règle de dépendance séquentielle

L’approche des interactions verbales a pour objectif d’analyser des situations concrètes de communication de deux ou de plusieurs participants disposés à avoir un échangé et « qu’ils produisent de signes de cet engagement mutuel », le site Kerbrat-Orecchioni (1990 : 17). Au cours de l’échange, la position du locuteur doit être occupée successivement par les différents partenaires. En effet, les tours sont régis par un certain nombre de règles implicites (par exemple, un seul locuteur parle à la fois; les tours s'enchaînent de façon continue, sans chevauchements ni brèches, etc.), règles que respectent (plus ou moins) les interlocuteurs tour à tour. L’un des principes fondamentaux relatifs à l’organisation des tours : la règle de dépendance séquentielle soit « étant donné un premier item d'un certain type, un second item doit être accompli pour former une action conforme » (Conein, 1989 : 202).

Vincent (2000) précise que toute interaction repose sur le respect de la contrainte de dépendance de parole, qui veut que tout acte de langage reçoive en réaction un type particulier d’acte spécifique (salutation reçoit une salutation, une question reçoit une réponse, etc.). L'analyse de la conversation repose sur ce principe fondamental d'interprétation: c’est la teneur sémantique et pragmatique du deuxième tour qui permet d'interpréter le sens et la valeur que le locuteur du tour 2 a accordée au tour 1.

Dans l’ensemble des interactions radiophoniques qui constituent notre corpus, nous avons constaté que cette règle est largement respectée en raison, d’une part de la communication différée dans certaines interactions (phone in) et d’autre part, du temps limité de ces émissions et où les partenaires font tout pour comprendre et se faire comprendre évitant par cela les malentendus que pourra créer une situation de non- compréhension en diffusion directe. De ce fait, toute situation reçoit une

174 réponse adéquate : une salutation implique une autre, une question implique une réponse claire et limpide, une formule de politesse implique une autre, allant jusqu’au rire qui devient collectif et réciproque.

Dans les interactions de l’émission Ness-Ness, nous avons observé un respect absolu de cette règle qui donne une organisation très structurée à cette interaction dont voici un extrait que nous allons schématiser pour démonter l’apport du respect de la règle de dépendance sur la structure de l’interaction :

Séquence: Ness-Ness 6

(T1)An: bonjour:: HouRia (T2)Ad: bonjour:: Mehdi (T3)An: comment allez- vous:: (T4)Ad: [ waš rak60 ]

(T5)An : [La-bas] (T6)Ad: ça va

(T7)An: que faites-vous dans la vie Houriaˊ= (T8)Ad: =et bienˊ mère au foyer

(T9)Ad: oh mère au foyer vous avez combien d’enfants madame (T10)Ad: oh deux

(T11)An : [ALLAH YBAREK] (/) le dernier a quel âge (T12)Ad: il:: a deux ans et demi

(T13)An: oh euh :: v vous pas une :: (/) personne qui est mariée depuis TRES longtempsˊ alorsˊ

(T14)Ad: non nonˊ pas- < si si> comme mêmeˊ (rire) (T15)An : (rire) d’accord [euh:

(T16)Ad: [Mehdi j’appelle pour la personne maigre (T17)An: et alorsˊ qu’a ce que vous [euh::-

La séquence précédente peut représenter l’ensemble des interactions de ce corpus avec un léger changement des intervenants ainsi que les questions posées, mais le principe reste le même. En shmétisant cette interaction, nous allons obtenir la formule suivante :

An: salutation+ identification

Ad: réponse de salutation+ identification

(T3)An: salutation complémentaire en langue française Ad: salutation complémentaire en dialecte algérien

An : réponse en dialecte algérien aux salutations complémentaires Ad: reprise et réponse de salutation en langue française (T3)

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175 An: question 1 Ad: réponse Ad: question 2 Ad: réponse An : question3 Ad: réponse An: question 4 Ad: réponse+ (rire) An : (rire)

Ad: question 5 An: réponse

Sans doute faut-il faire remarquer que le respect de cette règle a des répercussions positives à la fois d’un point de vue sémantique (répondre aux attentes de son partenaire) et que sur le plan structural (une interaction exemplaire). Notons toutefois que l’organisation paraît toujours plus claire dans les interactions dilogues que les interactions polylogues en dépit de leurs thématiques. Par exemple certaines questions n’ont pas de réponse en retour. Parfois la réponse peut être tout simplement tardive en raison du nombre de participants et aux différentes négociations quant à la prise de tour. Nous avons relevé un exemple assez fréquent dans ce type d’interaction. Il arrive parfois que l’acte de langage d’un locuteur soit totalement ignoré par le reste du groupe qui est en pleine négociation. En voulant tout simplement continuer un discours inachevé au lieu de répondre à cet acte, le locuteur en cours passe à autre chose comme l’atteste l’extrait suivant :

Séquence : carnet d’Algérie / Mascara

(T1) AN2 : [Amrani ::: oui :: (T2) IN : [Allah yarahmo61] (T3) AN2: [Allah yarahmo] (T4) AN1: [Allah yarahmo]

(T5) AN2 : ilfaudrait que je l’aie entre [les mainsˊ moi je l’ai pas vu (T6) IN : [Et c’est lui qui a fait la préface

(T7) AN2 : [Humˊ humˊ

(T8) AN1: C’est lui qui a préfacé le livre on va vous le passer après= (T9) AN2 :=oui voilàˊ ça sera une curiosité

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176 Dans cet extrait d’interaction, en parlant d’un ouvrage, l’animatrice 2 au (T5) demande d’avoir le livre de l’invité alors qu’il est déjà en interaction avec sa collègue (l’animatrice 1). La demande de l’animatrice ne visait pas une personne particulière, elle a été destinée aux deux partenaires qui ne répondent pas immédiatement et qui préfèrent parler de la personne ayant préfacé l’ouvrage. C’est en (T8) que l’animatrice revient et répond à la question de sa collègue qui réagit en (T9). Ainsi, la structure de cette interaction peut se représenter selon le schéma suivant :

(T5)AN2 : question

(T6)IN : interaction avec AN1

(T7)AN2 : régulation du discours de l’invité

(T8)AN1: répétition+ Réponse à la question de (T5) (T9)AN2 : satisfaction

Cette schématisation est plus compliquée dans la mesure où certains tours comportent deux actes de langage : la question en (T5) reçoit une réponse en (T8) dans sa deuxième moitié, tandis que le premier acte est une répétition avec un statut de régulation du discours de l’invité en (T6) par l’animatrice 2 en (T7). Le (T9) est une réaction de satisfaction de l’animatrice qui a posé la question avec une réponse un peu tardive. Les partenaires à une interaction cherchent plus à avoir une réponse aux attentes et aux différents actes de langage qu’ils accomplissent lors de l’échange. Ainsi, on se voit mal saluer ou remercier quelqu’un alors qu’on ne reçoit aucune réaction de sa part.

6.1.1. Quelle unité retenir pour découper une séquence minimale en unités de rang inférieur ?

A cette question, nous pouvons, soit nous en tenir à une unité située à un niveau d’analyse formelle (« l’ensemble de la production d’un participant bornée par la parole d’autrui »62

), soit chercher, comme Goffman, à définir une véritable« unité de séquentialisation de l’interaction ». Le terme le plus fréquent pour désigner les unités monologales de rang supérieur est le « tour de parole » que Kerbrat-Orecchioni (1990 : 159) définit de la manière suivante : « à un niveau d'analyse, que l'on peut dire « formel », toute interaction verbale se présente comme une succession de « tours de parole ».

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177 Cependant, Goffman qui rejette cette métonymie, propose de réserver le terme de tour de parole « à l'occasion qui permet de tenir la scène » ainsi propose-t-il l’expression « parole pendant un tour » lorsqu’on voudra désigner « ce que dit un individu tandis qu’il exerce son tour de parole » (Goffman, 1987 : 29). Il ajoute qu’il ne peut ni ne veut fixer la définition de cette notion, d’autant plus que :

Tout laps complet de paroles ou de substituts de paroles portant de manière unique et distincte sur telle ou telle portion des circonstances dans lesquelles se trouvent les participants (un « jeu » au sens particulier de Wittgenstein), qui peut être un système de communication, une préoccupation rituelle, une négociation économique, une lutte de caractères, un « cycle pédagogique »

(Goffman, 1987: 30).

Goffman fait référence aux travaux de Sinclair & Coulthard (1970) pour qualifier de « mouvement », les unités de séquentialisations interactionnelles qui constituent l’échange. Il est à noter que [move] ou mouvement de Sinclair & Coulthard (que Kerbrat-Orecchioni a choisi de traduire par « intervention ») « ne se définit que par rapport à l’échange, mais plus précisément, comme la contribution d’un locuteur particulier à un échange particulier » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 225).

Nous prenons l’exemple suivant pour bien expliquer ce cas : le tour de parole de B dans l’échange

A : est-ce que tu as fini ta soupe ?

B : oui. Tu veux prendre un dessert ?

Ainsi le tour de parole de B dans l’échange est constitué de deux mouvements : le premier, réactif, termine le premier échange et le second, initiative, ouvre un deuxième échange. Parmi les raisons qui expliquent le rejet de la notion de « mouvement » dans notre analyse, se trouve en bonne place celle avancée par Bange (1992) qui considère que ce concept, d’origine psychologique, paraît proche de celui « d’acte de langage ». En somme, les controverses autour de ce que l’on peut ou doit qualifées de tour de parole nous semble très difficiles à trancher. Comme Kerbrat-Orecchioni (1999), Vion (2000) et bien d'autres, nous utiliserons la notion de « tour de parole » dans son sens premier aussi bien que dans son sens métonymique. Ce que nous voulons définir ici, ce sont des outils facilitant l’analyse de notre corpus.

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6.2.

Le tour de parole : de la difficulté à s’en tenir à une