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L’interaction : dilogue, trilogue et polylogue

4. L’interaction : essaie d’une définition

4.2. L’interaction : dilogue, trilogue et polylogue

On entend par discours à la fois une production écrite ou orale prononcée par un énonciateur et ayant une cohérence sémantique et pragmatique. Cette conception permet à l’analyste de découvrir les procédures de production et d’interprétation des activités communicatives des acteurs sociaux. Bakhtine définit le discours dans les

90 interactions verbales comme « le produit de deux individus socialement organisés » (1977 : 123). Ainsi, Roulet et alii admettent que tout discours est fondamentalement dialogal et/ou dialogique :

L'orientation dialogique du discours, écrit Bakhtine, est,

naturellement, un phénomène propre à tout discours. C'est la fixation naturelle de toute parole vivante. [...] Pour le linguiste soviétique, ce caractère interactionnel, dialogique du discours se manifeste à tous les niveaux. [...]. (1985 : 10)

En effet, le principe dialogique implique l’idée selon laquelle toute production discursive émanant d’une conversation est le résultat d’une coproduction. À ce propos, Traverso (1999 : 6) précise que : « tout message, au moins dans une situation en face à face, est co-construit ». Dans le même sillage, Cosnier affirme que « C’est la dyade (ou le groupe) qui constitue l’entité à étudier; les actions et réactions de chacun n’étant qu’une contribution à un énoncé coopératif » (1987 : 292). Dans ce contexte, la notion d'interaction obtient une double signification. Elle implique d'une part la prise en compte des éléments constitutifs du cadre énonciatif dont :

- « les protagonistes du discours (émetteur et destinataire(s)) ; - la situation de communication ;

- les circonstances spatio-temporelles ;

- les « conditions générales de la production/ réception du message: nature du canal, contexte socio-historique, contraintes de l'univers du discours, etc.» (Kerbrat-Orecchioni, 1980 : 30-31).

D’autre part, la réflexivité et la symétrie de l'acte communicatif sont associées au phénomène d'ajustement réciproque des locuteurs.

(...) il y a modification réciproque des protagonistes du discours au fur et à mesure que se déroule ce que certains théoriciens comme Watzlawick dénomment justement une "interaction". D'autre part, même si leurs compétences ne sont pas aussi parfaitement identiques que le suppose Jakobson, c'est tomber dans l'excès inverse que de les présenter comme totalement disjointes : Elles s'intersectionnent d'autant plus qu'elles ont tendance à s'adapter l'une à l'autre au cours de l'échange verbal chacun modelant, son propre code à celui qu'il présume chez l'autre.

(Kerbrat-Orecchioni, 1980 : 26).

Il apparaît donc qu’une interaction correspond à tout type d'échange communicatif composé d'une suite limitée d'énoncés organisés selon le principe dialogique et doté d'une orientation thématique.

91 Il est par ailleurs important de préciser que l’interaction se compose sur le plan monologal de l’intervention et l’acte du langage et sur le plan dialogal de l’échange et de la séquence. Alors qu’une intervention peut être constituée d’un ou de plusieurs actes1 entretenant des rapports hiérarchiques entre eux, l’échange quant à lui constitue 1'« unité fondamentale en analyse de conversations » selon Kerbrat-Orecchioni (2001 : 61). En y ajoutant les unités supérieures de la séquence et de la conversation, Kerbrat-Orecchioni (2001 : 61) présente le caractère « emboîté» de ces unités de la façon suivante : « [...] les actes de langage se combinent pour former des interventions, lesquelles se combinent pour former des échanges, lesquels se combinent pour former des séquences et en dernière instance, les conversations ».

Nous observons par conséquent que la conversation est une association d’unités qui la constituent : de la plus petite unité monologale pour former tout un discours dialogal (l’interaction). Nous allons, en guise de conclusion, proposer un schéma pour illustrer les unités dilogales et les unités monologales de tout acte interactionnel :

Schéma représentant les unités hiérarchiques de l’interaction verbale2

4.2.1. Les émissions radiophoniques à antenne ouverte : des interactions trilogues ou polylogues ?

Notre corpus d’interactions radiophoniques présente une variation sur tous les plans discursif et interactionnel. Dans ce cas, nous avons choisi de travailler sur un corpus se composant de trois émissions : Ness-Ness, De fil en aiguille et Carnet

d’Algérie. Ces trois émissions constituent des objets d’analyse à explorer afin de

1

: Cf. Roulet et ali. (1985 27-29) pour les notions d'acte directeur versus acte subordonné.

2

: Présentation personnelle. L’intervention L’acte de langage

Unité monologale Unité dialogale

L’interaction

La séquence L’échange

92 vérifier quelques aspects de la problématique de notre travail. Après avoir recueilli ces données et les avoir transcrites, nous avons rencontré un problème de typologie qui se pose de la manière suivante : les interactions radiophoniques sont-elles des trilogues ou des polylogues ?

Une seule émission est exclue de cette problématique et avait une typologie claire : l’émission de divertissement Ness-Ness. Cette émission comporte un seul animateur qui la présente et participe à l’interaction avec les auditeurs intervenants. Cette émission est du type phone-in où les auditeurs appellent soit pour participer à ces émissions ludiques soit d’émettre leur opinion à propos d’une thématique qui les concerne. Nous proposons une interaction dont le modèle est presque identique à toutes les autres éléments de corpus voire d’autres interactions ayant le même principe, c’est-à-dire des interactions radiophoniques de type « phone-in ». Cependant, ce qui est variable ce sont les auditeurs qui interviennent :

Séquence: Ness -Ness 1

An: bonjour Nassira Ad: bonjour Mehdi

An: comment allez-vous Nassiraˊ= Ad: =très bien, je vous remercie

An: que faites-vous dans la vie Nassira= Ad: = mèreˊ au foyerˊ

An: mère au foyer vous avez combien d’enfants = Ad: =trois

An : [allah ybarek1] (/) alors Nassiraˊ la question qui vous intéresse madame Ad: j’ai pensé auˊ pompier

An: oh au pompier (/) alorsˊ Le pompier la seringue un indice rapprochez-vous d’un instrument de Music, et rajoutez le suffixe et vous dites.

Ad: je pensais au [trambaji2]

An: [trambaji] vous pensez QUE le métier du : : pompier s’appelait à l’époque [ trambadji] puisque la seringue

Ad: oui ˊla seringue s’appelait [ + tranbadj]ˊ

An: [tramba] très bien et bien : écoutez on va garder vos coordonnés :: ne coupez pas  Merci beaucoup madame coupez SURTOUT pas

Tout au long de cette interaction deux partenaires sont en présence et en situation d’échange. Nous remarquons d’une part, l’organisation structurée de cette

1

: La bénédiction de Dieu

2

93 interaction avec la réalisation de séquences qui encadrent l’interaction (l’ouverture, corps et clôture). D’autre part la distribution égalitaire des tours de parole entre l’animateur et l’auditeur intervenant. Dans cette optique les deux partenaires : un animateur et un auditeur au bout du fil vont interagir en réalisant les actes rituels et en négociant les tours de parole tout au long de l’interaction. De cette pratique, résulte une interaction de deux partenaires formant ainsi un dilogue radiophonique.

La première partie notre corpus est constitué d’interactions dilogues. Contrairement à la structuration en dilogues, la deuxième et troisième partie de notre corpus constitué des émissions De fil en aiguille et Carnet d’Algérie sont à antenne ouverte. L’émission Carnet d’Algérie est une émission de plateau regroupant plus de trois participants : l’animatrice, le consultant et un ou deux autres invités selon la thématique du jour y compris les interventions des auditeurs. Cette émission est du type antenne ouverte laissant une part de parole aux intervenants par téléphone.

L’émission Ness-Ness se base exceptionnellement sur les interventions des auditeurs pour son déroulement, le public des auditeurs constitue un partenaire obligatoire. L’émission de Carnet d’Algérie, quant à elle, a un cadre participatif bien déterminé auquel s’ajoute un autre participant dont le rôle est fixe dans cette émission. Il s’agit d’interagir avec le large public et lui donner la parole. Ainsi, « le public des auditeurs », qui se considère comme un autre partenaire à l’échange, peut prendre la parole à n’importe quel moment de l’émission suivant le même rituel interactionnel que les autres partenaires.

De ce fait, l’émission De fil en aiguille fonctionne sur le même principe : trois animatrices sont présentes sur le plateau avec des invités (des médecins, des psychologues, etc.) et les interventions des auditeurs. Dans le cas où les trois animatrices co-animent l’émission sans la présence des invitées, cette interaction est « un trilogue ». Cependant le public, qui est un participant à cette émission de type « antenne ouverte », peut prendre la parole à n’importe quel moment de l’émission. Cette prise de parole des auditeurs et leur prise en charge dans le cadre participatif transforme le trilogue en polylogue. En outre, ces émissions dites « à antenne ouverte » sont considérées, dans le cas de notre étude, comme des polylogues. Les auditeurs peuvent intervenir et même à distance, ils font partie du cadre participatif. Ainsi, la progression thématique de cette interaction est influencée par ces interventions et, sur le plan pragmatique, sa structure est modifiée par un autre partenaire qui va changer l’ordre des tours de parole, l’organisation des échange et la réalisation d’une autre séquence d’ouverture et de clôture dont voici un exemple :

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Séquence : De fil en aiguilles 6

C: bonjour :: à nos amis auditeurs s’ils sont sur [ l’écoute ce matinˊ B: [ouiˊ

C: voilàˊ une l’influence des visiteurs euh:: au Salon du livreˊ:: on se dit comme même:: aujourd’hui (ASP) on va dire aux organisateurs, de faire un petit peu plus d’effort::

B: [hmmˊ

C: [quand à la circulationˊ quand [à là quand à là :: A: [oh Là Là :: c’est <infernal>

C: [quant au stationnement: quant à la circulation des visiteurs:: c’est comme même lE 12ème SALON heinˊ[ c’est plus le premierˊ

A: [<+ Voilàˊ

C: [on euh:: il faut:: faut:: profiter des expériences précédentes et se rendre compte c’est un salon qui:: MARCHE (/) et C’EST TRES BIEN (/) voilà (///) euh:: ce qui dise que les Algériens ne lisent pas c’est pas vrai c’est pas tout Mais y en a [ qui lisent

B: [y en a eu:: euh: un démenti euh:: vraiment euh: catégorique heinˊ surtout le week-end c’est plus [ vraiment xx

C: [d’ailleurs même :: même s’ils achètent pasˊ c’est le plaisir d’aller se balader dans ces rayons des livres heinˊ

B: c’est impressionnantˊ difficile de se frayer un chemin heinˊ

(Problème de réception)

AD: bonjour, = B: = bonjour,

AD: c’est un pur bonheur votre émission (/) je m'instruis beaucoup […] euh: madame au sujet de la lecture c’est un sujet TRES intéressant (//) Lorsque j’ouvRe les les:: bouquins des mes enfants, je vous assure que si j’avais leur âge je ne lirais JAMAIS

B: Oui d’accord

AD: c’est ce que je voulais dire, voila (/) ils sont TRES TRES MAL CONFECTIONNEˊ

B: c’est-à-dire <sur le plan>

AD: i i il m’incite pas euh : l’enfant à euh::: comment +> euh:euh::: à à voire la vie d’une façon agréable poétique et et n::: rapporte pas certains textes qui les aident à mieux gérer la vie:: euh: à mieux +> se bien conduire à à s’aimer (///)

B: oui jE comprends

AD: euh: je peux vous::: [citer un exemple (/)[qui m'est arrivée à moi B: [Oui bien sûr [bien sûr oui,

AD: (ASP) Je me rappelle (/) lorsquE j’étais en sixième nous avons fait un texte c’était un enfant dans +> jE vais rapidement un enfant dans les champs poursuivis par un serpent, (ASP) […] un jour m: +> j’avais 12 ans je m E rappel, j’étais poursuivie par un: malade mental et adopté cette euh:: et il avait personne j’ai adopté +> Je me suis rappelé ce texte ˊqui m’a de s’en sortirˊ

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B: C’EST FORMIDABLE C’est FORMIDABLE oui (/) vous avez [12 ans  AD: [12 ans ouiˊ

B: Donc vous êtes inspirée du texte que vous avez luˊ [x x

AD: [c’est cE que C’est cE que jE ne trouve Pas dans les livres de mes enfants madame

B: oui, ouiˊ je comprends

AD: madame [s’il vous plait (/) s’il vous plait madame  je:: euh:: B: [oui, jE vous écoute

AD: S’IL VOUS PLAIT j’ai euh : raté votre émission c'est sur la thérapie familialeˊ vous pouvez pas nous organiser une autreˊ

B: oui, on aura d’autre très prés [ inchallah AD : [Merci BEAUCOUP  madameˊ au revoir B: au revoirˊ et merci de votre intervention

Dans cet extrait de notre corpus, l’ouverture de l’émission se fait avec les trois animatrices (A, B, C), aussitôt après une auditrice appelle pour intervenir ; elle instaure ainsi d’autres ouvertures en parlant à l’animatrice. Pendant ce temps, l’interaction se déroule entre l’animatrice (B) et l’intervenante, ce qui nous amène à penser que dans ce cas, nous avons plutôt un dilogue qu’un trilogue. Cependant, au regard de l’interaction les deux autres animatrices présentes laissent la parole à une seule d’entre elles pour interagir avec cette participante. Ce cas est semblable dans les polylogues, dans les conversations quotidiennes, lorsqu’une nouvelle personne intègre un groupe et qu’un locuteur lui parle pendant que les autres assistent à l’interaction en attendant leur tour de parole. Ainsi, c’est pratiquement ce modèle qui s’applique dans le cas de notre corpus : une animatrice parle avec l’intervenante et les deux autres attendent leur tour1. Ce point du dilogue qui existe dans le polylogue nous mène à déduire que les polylogues ne sont qu’un ensemble de dilogues.

Dans l’interaction polylogue, Carnet d’Algérie, l’animatrice parle à un invité ou plus de deux en plus des auditeurs qui appellent pour participer à l’émission dont voici un extrait :

Séquence : Carnet d’Algérie / la Casbah

An : c’estˊ:: un peu plus [HAUTˊ

Ad2: [Hamid c’est oui:: oui:: An : et:: bein:: bein:: je vous remercie::

Ad2: c’était un APPELLE voilàˊ

IN1: il y avait un:: autre:: toute à fait en HAUT de :: la porte heu :: neuve(/) Ad2: Bab-djididˊ

1

: Les deux animatrices se retirent de l’interaction (tout en restant dans le groupe) et laissent la parole à leurs deux partenaires.

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IN1:[ Bab-djididˊ [fūq1]=

Ad2: =oui:: moi je:: suis pas un enfant de la Casbahˊ ma grand mère ouiˊ:: ma grand-mèreˊ Mais JEˊ suis un enfant de Belkourt mon grand PEREˊétait né en 1898 à Belkourtˊ

IN1: voilàˊ

An: okˊ :: d’accord Ad2: voilàˊ

An: et:: bein et:: donc c’est les FEMMES heinˊ qui TOUS font aiment ce genreˊ dˊ :: d’endroitˊ heinˊ monsieur Mhamsadjiˊ::

Ad2:oui :: oui ::

IN1: C’EST:: les FEMMES et:: je dirais:: nos grandes n+> nos grandes mères =

An: =les :: vos grands-mères ˊ et les grandes tantesˊ :: IN1: et:: les grandes tantes ouiˊ::

Ad2: et puis j’allais partout avec elle avec ma grand mère aussiˊ:: IN1: ouiˊ::

Ce passage est relatif à l’émission consacrée à la Casbah d’Alger. Le plateau réunit, en plus de l’animatrice, deux invités auxquels s’ajoutent des interventions des auditeurs à l’instar de cet exemple. Au début de l’interaction, trois participants sont présents, mais ce cadre participatif se modifie avec l’intervention du second auditeur. Donc, les émissions Carnet d’Algérie et De fil en aiguille, comme bien d’autres diffusées sur les ondes radiophoniques, relèvent des polylogues et non des trilogues puisque le cadre participatif se modifie avec l’ajout d’un nouveau participant à l’interaction. Ces émissions dites à « antenne ouverte », nous les considérons comme des polylogues et non comme des trilogues. Ainsi, le trilogue reste absent des pratiques radiophoniques.

On peut conclure que les auditeurs intervenant aux émissions interactives de plateau à « antenne ouverte » sont considérés comme des participants de cette interaction. De ce fait, tout trilogue dans ce genre d’émission est étudié comme un polylogue où les intervenants deviennent des partenaires occasionnels qui empruntent plusieurs voix d’expression à la radio.