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Notre tout premier extrait provient de l’un des auteurs dont Le Guin se sert pour mettre en exergue ce qui peut constituer un véritable accent elfique. Dans le chapitre 6 du livre 3 de

The Two Towers, intitulé « The King of the Golden Hall » (« Le Roi du château d’or » dans la

traduction de Ledoux et « Le roi de la Salle Dorée » dans celle de Lauzon672), le sorcier Gandalf arrive enfin à Meduseld673, demeure de Theoden, roi des Rohirrim. Il y découvre que le souverain n’est plus que l’ombre de lui-même, victime des conseils perfides de Grima Wormtongue, serviteur insoupçonné du maléfique sorcier Saruman.

670 Ibid.

671 Ibid., p. 87‑88.

672 John Ronald Reuel TOLKIEN, The Two Towers, London, HarperCollins, coll. « The Lord of the Rings », n˚ 2,

2007, p. 660‑685 ; John Ronald ReuelTOLKIEN, Les Deux tours, traduit par Francis LEDOUX, Paris, Pocket, 2002, p. 173‑205 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, Les Deux tours, op. cit., 2015, p. 129‑152.

673 Pour des raisons d’ordre pratique, nous utiliserons les noms utilisés dans l’original en langue anglaise

chaque fois qu’il s’agira d’évoquer les événements, lieux et personnages dans leur « réalité diégétique » (comme s’ils avaient réellement existé dans quelque monde parallèle au nôtre).

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Le choix de ce chapitre s’imposait. Celui-ci fait en effet son apparition dans les Lettres de Tolkien, dans une réponse adressée à l’historien Hugh Brogan, pour qui le style affecté des dialogues du Seigneur des anneaux relevait visiblement de l’artificialité la plus grossière (« tushery », le terme désignant un texte de moindre qualité et rempli d’effets surannés674). Tolkien y rejette un pareil qualificatif, pour le réserver aux textes qui se servent d’un mince vernis médiévalisant et abusent notamment d’explétives telles que « tush », « pish » et bien d’autres encore ; à son sens, un véritable anglais archaïque doit se montrer plus laconique que surchargé, et plutôt du genre à éviter tous ces éléments superficiels dont la langue moderne se gargarise. Ainsi, si l’auteur prône l’archaïsme dans la parole, c’est d’abord au nom de l’expression sincère d’une pensée elle-même archaïque, étrangère aux modernes que nous sommes et donc à la langue dont nous faisons usage : moderniser les mots, ce serait séparer l’expression de la pensée qui lui a donné naissance, les arracher à la vision qu’un personnage authentique aurait des événements et du monde. Un mensonge, une mutilation.

Pareil passage a donc d’abord pour fonction de mettre en avant un parler ancien, digne, empreint de noblesse – de dépeindre l’état d’une société en quelque sorte –, avant de remplir les fonctions qu’on attend généralement de pareils passages, à savoir la caractérisation des personnages et la progression de l’intrigue675 (l’abattement sombre de Theoden, le paternalisme revigorant de Gandalf, la perfidie de Grima qui interagissent ici pour mener in fine à la victoire oratoire du sorcier et à la libération du roi des poisons de son conseiller).

[2.1]

At length Gandalf spoke. ‘Hail, Théoden son of Thengel! I have returned. For behold! the storm comes, and now all friends should gather together, lest each singly be destroyed.’

(Tolkien, 669)

Enfin, Gandalf prit la parole : « Salut ! Théoden fils de Thengel ! Je suis revenu. Car voilà que la tempête vient, et tous nos amis devraient se rassembler, de crainte que chacun ne soit détruit séparément. »

(Ledoux, 184)

Enfin, Gandalf parla. « Salut, Théoden fils de Thengel ! Je suis de retour. Car voici ! la tempête approche, et tous ceux qui sont amis doivent

maintenant s’unir, ou périr chacun de son côté. »

(Lauzon, 137)

674 John Ronald Reuel TOLKIEN, Lettres, op. cit., p. 432‑436.

675 David HERMAN, Manfred JAHN et Marie-Laure RYAN, Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, Hoboken,

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Le dialogue commence par les salutations d’usage, souvent ignorées dans les romans mais qui prennent ici une importance particulière puisqu’elles soulignent la froideur de l’accueil qui est fait à Gandalf par Theoden, qui oppose le silence à la venue. Les deux traducteurs s’accordent d’abord pour rendre le « Hail » archaïsant par un « Salut » plus ambigu, que Ledoux isole néanmoins d’un point d’exclamation ; le second traducteur diminue là les risques d’une potentielle lecture moderne de la formule de politesse, au prix d’un surdécoupage émotif de la phrase – la pause que suggère le point d’exclamation peut aussi bien donner le sentiment d’un Gandalf un peu trop enjoué (cela sera néanmoins compensé par la disparition d’un autre point d’exclamation un peu plus loin), ou celui d’un premier silence contraignant le sorcier à ajouter quelques mots embarrassés pour garder contenance. Lauzon se montre quoi qu’il en soit plus audacieux dans sa traduction de l’interjection archaïque « For behold! » : il isole son « Car voici » en suivant la typographie particulière employée par Tolkien (l’interjection se terminant sur un point d’exclamation non suivi d’une majuscule, indiquant là que la phrase continue, et que la pause sous-entendue par la marque de ponctuation ne doit qu’être à moitié appliquée).

En traduisant « all friends » par « tous ceux qui sont amis », le traducteur prend une nouvelle fois le risque de s’éloigner du français standard avec une formule quelque peu ampoulée, qui lui permet cependant de conserver la volonté de neutralité voire d’universalité du discours de Gandalf (ce, au prix de la naturalité du rythme). Ledoux, de son côté, opte pour « tous nos amis », ancrant personnellement l’énonciateur dans son propre discours et atténuant cette vision d’un Gandalf quelque peu détaché des affaires des mortels (le sorcier peut en effet être considéré comme l’équivalent d’un ange envoyé auprès des hommes ; s’il les aime et les admire, il ne peut cependant s’empêcher de maintenir une relative distance vis-à-vis d’eux, distance renforcée depuis sa mort et sa résurrection dans le tome précédent). Son recours à une structure à présentatif, reposant sur une subordonnée complétive introduite par « Car voilà que », l’éloigne aussi davantage de la structure de l’original, lui faisant perdre un rythme quasi-oral que Lauzon conserve, grâce à la demi-pause dramatique qu’appellent l’interjection et le point d’exclamation.

C’est cette force locutoire que Lauzon renforce encore davantage en traduisant le modal « should » (qui en anglais se situe parfois entre le simple conseil et l’ordre) en obligation sans ambiguïté, grâce à l’usage du verbe au présent de l’indicatif « doivent », associé à un

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choix désormais binaire : s’unir ou périr. Ledoux, de son côté, retranscrit le modal par un conditionnel (« devraient »). Sa traduction de « lest » par « de crainte que », et le subjonctif que cette construction demande, achèvent de faire perdre son inéluctabilité au sort funeste qui attend ceux refusant de s’allier contre le mal.

Theoden prend ensuite la parole :

[2.2]

‘I greet you,’ he said, ‘and maybe you look for welcome. But truth to tell your welcome is doubtful here, Master Gandalf. You have ever been a herald of woe. Troubles follow you like crows, and ever the oftener the worse. I will not deceive you: when I heard that Shadowfax had come back riderless, I rejoiced at the return of the horse, but still more at the lack of the rider; and when Éomer brought the tidings that you had gone at last to your long home, I did not mourn. But news from afar is seldom sooth. Here you come again! And with you come evils worse than before, as might be expected. Why should I welcome you, Gandalf Stormcrow? Tell me that.’

(Tolkien, 669)

« Je vous salue, dit-il, et peut-être vous attendez-vous à un bon accueil. Mais je dois à la vérité de dire que votre accueil est ici douteux, Maître Gandalf. Vous avez toujours été un

annonciateur de malheur. Les ennuis vous suivent comme des corbeaux, et le plus souvent les pires. Je ne vous le cacherai pas : en apprenant que Gripoil était revenu sans cavalier, je me suis réjoui du retour du cheval, mais encore davantage de l’absence du cavalier, et quand Eomer m’a apporté la nouvelle que vous étiez enfin parti pour votre dernière demeure, je ne me suis pas affligé. Mais les nouvelles de loin sont rarement vraies. Vous voici revenu ! Et avec vous arrivent des maux pires encore que par le passé, comme on pourrait s’y attendre. Pourquoi vous ferais-je bon accueil, Gandalf, Corbeau de Tempête ? Dites-le-moi. »

(Ledoux, 184-185)

« Je vous salue, dit-il, et peut-être espérez-vous des mots de bienvenue. Mais à la vérité, je doute que votre venue soit heureuse, maître Gandalf. Vous avez toujours été un oiseau d’infortune. Les malheurs vous suivent comme autant de corbeaux, et de plus en plus, ne font qu’empirer. Je ne vous mentirai pas : quand j’ai ouï dire que Scadufax était revenu sans cavalier, je me suis réjoui du retour du coursier, mais encore plus de l’absence du cavalier ; et quand Éomer est rentré avec des nouvelles, disant que vous aviez enfin rejoint le long séjour des morts, je ne vous ai pas pleuré. Mais qui vient de loin apporte rarement la vérité. Vous voilà revenu ! Porteur de maux encore plus graves qu’avant, comme on pouvait s’y attendre. Pourquoi vous souhaiterais-je la bienvenue, Gandalf, Corbeau de Tourmente ? Je vous prie de me le dire. »

(Lauzon, 137)

Ledoux lance dès la seconde phrase un « votre accueil est ici douteux » ; étrange formulation, en raison notamment de la polysémie du substantif et de l’adjectif, lesquels laissent à la fois planer le doute sur l’origine de l’accueil ainsi que sur la cible du doute (Theoden affirme-t-il douter des salutations de Gandalf ? Ou veut-il l’informer de la piètre qualité de l’accueil qui lui est réservé ?). L’original a beau se montrer légèrement ambiguë lui

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aussi, Lauzon préfère de son côté expliciter la situation par un chassé-croisé676 accompagné d’une modulation677 (« Je doute que votre venue soit heureuse »).

Le second traducteur rend ensuite « a herald of woe » par « un oiseau d’infortune » ; l’écart est notable, et l’expression susceptible de faire écho aux autres accusations formulées par le roi Theoden – dans la version originale, celui-ci faisait déjà des corbeaux charognards les compagnons du magicien (« Troubles follow you like crows » ; « Gandalf Stormcrow »). La formulation rappelle bien évidemment l’expression « oiseau de malheur », encore en usage, dont la modification a quelque chose de vieilli (si le littéraire « infortune » a été préféré, le mot « malheur » se retrouve quoi qu’il en soit pratiquement accolé à l’expression, en position de sujet de la phrase suivante). Ledoux préfère quant à lui une traduction plus littérale, mais aussi moins idiomatique : « un annonciateur de malheur ».

Ce n’est pas la seule fois où Lauzon privilégie une langue plus imagée à la traduction littérale, lui qui oppose un « à la vérité » au « je dois à la vérité de dire que » de son prédécesseur, ou traduit un simple « I heard » en « j’ai ouï dire ». Continuant sur cette voie, le traducteur donne davantage les accents de l’authenticité au proverbe avancé par Theoden : son « qui vient de loin apporte la vérité » a en effet des airs de « qui veut voyager loin ménage sa monture » (quand Ledoux avance un « les nouvelles de loin sont rarement vraies », plus embarrassé). Gandalf est également surnommé « Corbeau de Tourmente », le troisième mot évoquant clairement aussi bien les tempêtes naturelles que les troubles agitant le pays (ce que « tempête » parvient moindrement à suggérer).

Avec « your long home », c’est cette fois au tour du premier traducteur d’user d’une expression idiomatique assez courante, « votre dernière demeure », quand Lauzon se tourne cette fois vers la Bible pour en tirer un plus rare « séjour des morts », auquel il ajoute l’adjectif « long », au risque de faire dans la surenchère poétique. Si l’on met de côté l’aspect imagé pour s’intéresser au registre, il devient possible de remarquer que Ledoux use parfois d’expressions plus soutenues que Lauzon (« faire bon accueil » contre « souhaiter la bienvenue », « s’affliger » contre « pleurer »). Il serait cependant exagéré d’en faire une

676 « Double transposition où l’on a à la fois changement de catégorie grammaticale et permutation syntaxique

des éléments sur lesquels est réparti le sémantisme » in Hélène CHUQUET et Michel PAILLARD, Approche

linguistique des problèmes de traduction anglais-français, Gap, Ophrys, 1987, p. 26.

677 La modulation correspond à « un changement de point de vue […] au niveau du mot, de l’expression ou de

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stratégie cohérente, le second prenant lui aussi l’avantage à plusieurs reprises (« Corbeau de Tourmente », « oiseau d’infortune », « coursier »). Cela se montre particulièrement notable dans les derniers mots de Theoden, au « dites-le moi » de Ledoux correspondant un « je vous prie de me le dire » qui atténue la violence simple de l’original, dans lequel quelques mots froids venaient achever un long discours vénéneux.

Nous ne nous aventurerons pas trop profondément, au cours de cette recherche, dans les méandres de l’onomastique chez Tolkien et des problèmes très spécifiques qu’elle pose au traducteur, d’autres l’ont fait avant nous678 ; notons tout de même la traduction par Ledoux du nom du fier destrier des Rohirrim, seigneur des Mearas, en « Gripoil ». Si la sémantique est grossièrement respectée (le nom proviendrait de « Sceadu-faex », que l’on pourrait traduire par « crinière d’ombre679 »), le registre, quant à lui ne l’est pas, et le noble compagnon prend des allures de cheval de trait (une double domestication s’opère en quelque sorte, traductologique autant que sémantique). Lauzon suit, de son côté, les consignes officielles données par Tolkien en personne dans son « Guide to the Names in the

Lord of the Rings » : le « Shadowfax » du texte original y est considéré comme l’anglicisation

d’une forme rohirrique fictionnelle (ou plutôt faussement fictionnelle, celle-ci étant en réalité très proche d’une variante de vieil anglais). Pour l’auteur, si la traduction s’effectue vers une langue sans lien profond avec les langues germaniques et que cette stratégie de naturalisation se révèle impossible, le traducteur doit éviter de traduire les constituants comme le fait Ledoux et rendre aux termes leur forme pseudo imaginaire originelle (« Scadufax » dans le cas présent680). Fidèle aux consignes théoriques, Lauzon pratique dans les faits un emprunt à une langue (pseudo) fictive et maintient l’étranger à distance dans le texte traduit, là où l’original posait des ponts discrets entre la langue-culture du lecteur et celle de ses personnages.

678 Voir entre autres John Ronald Reuel TOLKIEN, Guide to the Names in The Lord of the Rings [monographie

électronique], http://tolkien.ro/text/JRR%20Tolkien%20-

%20Guide%20to%20the%20Names%20in%20The%20Lord%20of%20the%20Rings.pdf, consulté le 8 avril 2015 ; T. A. SHIPPEY, The Road to Middle-earth, op. cit. ; Vincent FERRE, Daniel LAUZON et David RIGGS, « Traduire Tolkien en français: On the Translation of J.R.R. Tolkien’s Works into French and their Reception in France », in Thomas HONEGGER (dir.), Tolkien in Translation, Zurich, Walking Tree Publishers, coll. « Cormarë series », n˚ 4, 2003, p. 45‑68.

679 John Ronald Reuel TOLKIEN, Guide to the Names in The Lord of the Rings, op. cit., p. 9‑10. 680 Ibid.

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[2.3]

‘You speak justly, lord,’ said the pale man sitting upon the steps of the dais. ‘It is not yet five days since the bitter tidings came that Théodred your son was slain upon the West Marches: your right-hand, Second Marshal of the Mark. In Éomer there is little trust. Few men would be left to guard your walls, if he had been allowed to rule. And even now we learn from Gondor that the Dark Lord is stirring in the East. Such is the hour in which this wanderer chooses to return. Why indeed should we welcome you, Master Stormcrow? Láthspell I name you, Ill-news; and ill news is an ill guest they say.’

(Tolkien, 669)

« Vous parlez justement, Seigneur, dit l’homme pâle qui était assis sur les marches de l’estrade. Il n’y a que cinq jours qu’est venue l’amère nouvelle de la mort de votre fils Théodred aux Marches de l’Ouest : votre bras droit, le Second Maréchal de la Marche. Il y a peu de confiance à faire à Eomer. Il resterait peu d’hommes pour garder vos murs s’il lui avait été permis de gouverner. Et à présent même, nous apprenons de Gondor que le Seigneur des Ténèbres bouge à l’Est. Telle est l’heure où cet errant choisit de revenir. Pourquoi, en vérité, vous ferions-nous bon accueil, Maître Corbeau de Tempête ? Je vous nomme Lathspell, Mauvaises Nouvelles, et mauvaises nouvelles font mauvais hôte, dit-on. » (Ledoux, 185)

« Vos paroles sont justes, sire, dit l’homme au teint livide assis sur les marches de l’estrade. Il ne s’est pas passé cinq jours depuis la terrible nouvelle de la mort de votre fils Théodred, tué sur les Marches Occidentales : votre bras droit, Deuxième Maréchal de la Marche. En Éomer, on ne peut avoir foi. Il resterait peu d’hommes pour garder vos murs si la direction du pays lui avait été confiée. Et du Gondor, nous apprenons à l’instant que le Seigneur Sombre se meut dans l’Est. C’est en pareille heure que ce vagabond choisit de se représenter à nous. Pourquoi devrions- nous en effet vous souhaiter la bienvenue, maître Corbeau de Tourmente ? Je vous nomme Láthspell, Mauvaises Nouvelles ; et les mauvaises nouvelles font les mauvais hôtes, dit- on. »

(Lauzon, 137)

Ce nouveau passage présente plusieurs exemples de ces inversions dont Tolkien se sert fréquemment pour donner un tour archaïque au discours de ses personnages les plus princiers : les inversions locatives reposant sur l’antéposition d’un complément circonstanciel et les structures présentatives permettant la thématisation d’éléments contextuels donnent le sentiment de personnages mus par le souci d’ancrer solidement chaque phrase dans son contexte avant d’oser opérer le moindre développement prédicatif (« And even now we learn » ; « Such is the hour in which »). C’est également le cas de « In Éomer there is little trust. » : Tolkien utilise ici une forme impersonnelle, assertive, factuelle. Ledoux opte pour une solution à mi-chemin entre l’impersonnel et le personnel, très éloignée du français idiomatique tout en n’évoquant que difficilement un état antérieur de la langue, et ce malgré la suppression de l’inversion (« Il y a peu de confiance à faire à Eomer. »). Lauzon maintient l’antéposition, qu’il sépare du reste par une virgule, et esquive la locution verbale impersonnelle « il y a », souvent tentante quand il s’agit de traduire le « there is » si courant en anglais, au profit de son concurrent direct, le pronom personnel indéfini « on » ; ce faisant, il tire très légèrement la réplique de Grima, pourtant lâche parmi les lâches, vers une forme de semi-engagement subjectif. « En Éomer, on ne peut avoir foi » : la langue de serpent s’implique, bien qu’à demi-mots.

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« Láthspell I name you, Ill-news; and ill news is an ill guest they say. » Les deux traducteurs échouent à conserver la thématisation opérée sur le mot emprunté au vieil anglais, et ce faisant amenuisent la mise en valeur de l’insulte (« Láthspell, tel est le nom que je vous donne » aurait par exemple permis de transposer la stratégie initiale). La répétition est en revanche maintenue dans les deux textes, Lauzon choisissant d’ajouter un article défini à la deuxième occurrence (« et les mauvaises nouvelles font les mauvais hôtes, dit-on. »), une volonté idiomatique qui tend à éloigner le dicton d’une forme plus recherchée au profit d’une autre, bien plus courante (on opposera ainsi une expression comme le « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » de la Fontaine aux populaires « les bons comptes font les bons amis » ou bien encore « les petits ruisseaux font les grandes rivières »).

Pour ce qui est du registre, les traductions demeurent ici comparables, Ledoux affectionnant généralement des locutions et lexies plus soutenues que Lauzon (« en vérité » contre « en effet », « l’amère nouvelle » contre « la terrible nouvelle », « errant » contre « vagabond »), ce qui n’empêche pas la situation de s’inverser çà et là (« bouge » contre « se meut »,