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Rééditions, nouvelles traductions, patrimonialisation

Effet secondaire de la surproduction ou véritable phénomène de reconnaissance ? Malgré des chiffres inquiétants, le tournant du siècle s’est accompagné pour l’imaginaire de programmes plus ou moins cohérents de rééditions, retraductions et premières traductions de « classiques ».

Christian Bourgois lance ainsi sa troisième vague de traductions dès 2002, offrant le poste d’éditeur à Vincent Ferré, professeur de littérature comparée spécialisé, entre autres, dans

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le médiévalisme et l’œuvre de Tolkien. Se reposant sur le travail que continue d’effectuer Christopher Tolkien, il édite une version corrigée et augmentée de J.R.R. Tolkien, une

biographie par Humphrey Carpenter621, rapidement suivie d’une traduction inédite des

Lettres622 qui constituent un témoignage inestimable des questionnements, tâtonnements et convictions de l’auteur (certaines sont lues publiquement en 2013, lors de l’émission en cinq parties « Pages arrachées à la correspondance de J.R.R. Tolkien » sur France Culture623). Les

Monstres et les Critiques624 vient renforcer en 2006 cette découverte par la France d’un Tolkien académique mais aussi politique, et rendre plus explicite encore le regard de l’auteur sur sa propre création (on s’éloigne ainsi de l’image pittoresque du petit professeur bourgeois se coupant du monde pour exercer ses lubies). Si Les Enfants de Húrin, Beren et

Lúthien et La Chute de Gondolin625 viennent compléter l’univers de la Terre du milieu sous une forme accessible (qui vaudra d’ailleurs au premier un certain succès public), La Légende

de Sigurd et Gudrún, La Chute d’Arthur et Beowulf : traduction et commentaire626 permettent le dévoilement d’une nouvelle facette de l’auteur, celle du traducteur spécialiste du vieil anglais. De nombreuses révisions sont également lancées, dans le but de gommer des différences issues de traductions trop disparates, tandis que la publication de L’Histoire

de la Terre du Milieu reprend avec le tome 3 (la France devenant avec l’Espagne le seul pays

à oser porter l’aventure aussi loin627). Le projet le plus ambitieux, lancé dès les années 2000, reste cependant la révision du Seigneur des anneaux, une tâche qui va se transformer peu à peu en une véritable retraduction de la trilogie, la première en France depuis 1972. La sortie des films offrant une opportunité à ne pas manquer, celle-ci sera néanmoins précédée en

621 Humphrey CARPENTER, J.R.R. Tolkien, une biographie, traduit par Pierre ALIEN, Paris, Christian Bourgois, 2002. 622 John Ronald Reuel TOLKIEN, Lettres, traduit par Delphine MARTIN et traduit par Vincent FERRE, Paris, Pocket,

2013.

623 Jacques TARONI (réal.) et al., Pages arrachées à la correspondance de Tolkien,Émission de radio, Diffusée en

juillet 2013, France Culture.

624 John Ronald Reuel TOLKIEN, Les Monstres et les critiques et autres essais, traduit par Christine LAFERRIERE,

Paris, Christian Bourgois, 2006.

625 John Ronald Reuel TOLKIEN, Les Enfants de Húrin, traduit par Delphine MARTIN, Paris, Christian Bourgois,

2008 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, Beren et Lúthien, traduit par Adam TOLKIEN, traduit par Elen RIOT et traduit par Daniel LAUZON, Paris, Christian Bourgois, 2017 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, La Chute de Gondolin, traduit par Daniel LAUZON, traduit par Adam TOLKIEN et traduit par Tina JOLAS, Paris, Christian Bourgois, 2019.

626 John Ronald Reuel TOLKIEN, La Légende de Sigurd et Gudrún, traduit par Christine LAFERRIERE, Paris, Christian

Bourgois, 2010 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, La Chute d’Arthur, traduit par Christine LAFERRIERE, Paris, Christian Bourgois, 2013 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, Beowulf : Traduction et commentaire, traduit par Christine LAFERRIERE, Paris, Christian Bourgois, 2015.

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2012 par celle, plus modeste, du Hobbit, qui paraît initialement sous sa forme annotée par Douglas A. Anderson628.

Pour mener à bien ces différents projets, Ferré s’entoure d’une équipe resserrée, avec pour but de mettre l’accent sur la cohérence et éviter ainsi les erreurs du passé. S’ils ont aussi d’autres centres d’intérêts, tous se décrivent comme de grands amoureux de Tolkien parfaitement conscients des défis que pose son œuvre. Ce sont néanmoins de jeunes traducteurs encore peu expérimentés : Delphine Martin, professeur d’anglais, a été imposée par Christian Bourgois ; sa toute première traduction littéraire semble avoir été le Cahier de

croquis du Seigneur des anneaux de l’illustrateur Alan Lee629. Christine Laferrière, elle, a enseigné la version, et c’est sa connaissance du vieil anglais qui lui vaut d’être engagée pour traduire les poèmes allitératifs de La Légende de Sigurd et Gudrún, de La Chute d’Arthur et de Beowulf : traduction et commentaire630. Au centre du groupe, enfin, se trouve Daniel Lauzon : véritable admirateur de Tolkien, celui-ci s’est fait remarquer en tant qu’administrateur du site elostirion, consacré à l’adaptation cinématographique du Seigneur

des anneaux, et en participant aux échanges sur les différents forums consacrés à la Terre du

Milieu631. Ses études en traduction lui permettent dans un premier temps de faire partie de l’équipe cherchant à poser les bases d’une future révision de la trilogie632, avant de se voir confier les volumes 3 à 5 de L’Histoire de la Terre du Milieu633. Il sera finalement choisi pour la nouvelle traduction inattendue du Hobbit634 puis, naturellement, pour celle du Seigneur

des anneaux. Sa présence marque en un sens la prise en considération symbolique par la

nouvelle équipe de la communauté des fans, qui se voit fréquemment consultée et mise à profit lors des nombreux événements organisés par Bourgois. Les nouvelles traductions

628 John Ronald Reuel TOLKIEN, Le Hobbit annoté, traduit par Daniel LAUZON, Paris, Christian Bourgois, 2012. 629 Alan LEE, Cahier de croquis du Seigneur des anneaux, traduit par Vincent FERRE et traduit par Delphine

MARTIN, Paris, Christian Bourgois, 2006.

630 John Ronald Reuel TOLKIEN, La Légende de Sigurd et Gudrún, op. cit. ; John Ronald Reuel TOLKIEN, La Chute

d’Arthur, op. cit. ; John Ronald Reuel TOLKIEN, Beowulf : Traduction et commentaire, op. cit.

631 TOLKIENDIL, Daniel Lauzon, http://www.tolkiendil.com/tolkien/portraits/daniel_lauzon, consulté le 4 février

2018.

632 Vincent FERRE, Nouvelle traduction du « Seigneur des Anneaux », tome 1 (2014), 8 août 2015,

http://www.pourtolkien.fr/spip.php?article41, consulté le 4 février 2018.

633 John Ronald Reuel TOLKIEN, Les Lais du Beleriand, traduit par Daniel LAUZON et traduit par Elen RIOT, Paris,

Christian Bourgois, 2006 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, La Formation de la Terre du Milieu, traduit par Daniel LAUZON, Paris, Christian Bourgois, 2007 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, La Route perdue, traduit par Daniel LAUZON, Paris, Christian Bourgois, 2007.

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verront finalement le jour en 2014, 2015 et 2016635, dans une édition luxueuse affichant de superbes illustrations d’Alan Lee636 en couverture mais aussi dans plusieurs cahiers en couleur (voir Annexe XIII), et dont la quatrième de couverture annonce un récit ayant « enchanté des millions de lecteurs, de tous les âges », une œuvre « sans équivalent par sa puissance d’évocation, son souffle et son ampleur », et une édition prenant en compte « la dernière version du texte anglais, les indications laissées par Tolkien à l’intention des traducteurs et les découvertes permises par les publications posthumes proposées par Christopher Tolkien637 ». Notons au passage que si les délais demeurent assez courts, Lauzon est pour l’intégralité du projet payé au tarif suggéré par le CNL, à savoir 21 euros par feuillet. S’il est encore trop tôt pour juger du succès de l’initiative, il semblerait que l’accueil fait par la communauté ait été globalement enthousiaste, bien que teinté de gêne vis-à-vis de certains choix traductifs.

Toutes les entreprises de patrimonialisation de la fantasy n’ont cependant pas été initiées depuis la France : la « restauration » de l’œuvre d’Howard démarre en effet aux États-Unis. Après la mort de Sprague de Camp en novembre 2000, un mouvement initié dans les années 1970 (que certains n’hésitent pas à qualifier de « puriste638 ») reprend la main sur l’œuvre du Texan à travers l’éditeur anglais Wandering Star, qui rachète les droits du catalogue. La personne chargée de cette démarche de réhabilitation est, paradoxalement, française : Patrice Louinet a auparavant effectué ses mémoires de Master d’anglais 1 et 2 sur Howard, rédigé nombre d’articles pour des fanzines et des publications semi-professionnelles et même rencontré au cours de ses recherches l’agent chargé de gérer les droits de l’auteur639. Il lance en 2003 la première édition complète des écrits mettant en scène Conan, expurgée des modifications effectuées sans l'aval de l'auteur, dans une édition cartonnée640 qui sera

635 John Ronald Reuel TOLKIEN, La Fraternité de l’anneau, traduit par Daniel LAUZON, Paris, Christian Bourgois,

2014 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, Les Deux tours, traduit par Daniel LAUZON, Paris, Christian Bourgois, 2015 ; John Ronald Reuel TOLKIEN, Le Retour du roi, traduit par Daniel LAUZON, Paris, Christian Bourgois, 2016.

636 Avec d’autres artistes comme John Howe, Alan Lee fait partie des illustrateurs dont le travail a

véritablement façonné la Terre du Milieu. Son aura au sein des communautés de fans n’est pas à sous-estimer.

637 John Ronald Reuel TOLKIEN, La Fraternité de l’anneau, op. cit., 4e de couverture.

638 Patrice LOUINET, « Robert E. Howard, Founding Father of Modern Fantasy For The First Time Again », op. cit.,

p. 166.

639 FLAVIUS, Interview de Patrice Louinet, traducteur officiel de Conan !, 2016, http://www.cridutroll.fr/semaine-

barbare-interview-de-patrice-louinet-traducteur-officiel-de-conan/, consulté le 3 février 2018.

640 Robert Ervin HOWARD, Conan of Cimmeria: Volume One (1932-1933), Londres, Wandering Star, 2003 ; Robert

Ervin HOWARD, Conan of Cimmeria: Volume Two (1934), Londres, Wandering Star, 2004 ; Robert Ervin HOWARD,

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suivie de plusieurs versions paperbacks ; un travail important, qui a demandé de revenir aux manuscrits originaux pour traquer les modifications imposées au fil des ans, replacer les nouvelles dans l’ordre chronologique de leur écriture (au lieu de suivre le pseudo ordre chronologique « fictionnel » imposé par de Camp) et fournir un appareil critique conséquent afin de mieux mettre en avant l’opération de restauration elle-même et surtout égratigner la vision populaire d’un plumitif écrivant toutes ses nouvelles d’un seul trait (le tout effectué à grands renforts de versions de travail, synopsis, cartes et essais de la main d’Howard lui- même). Cette première opération de réédition sera rapidement suivie de celle de tous les autres textes de l’auteur.

C’est assez naturellement que Bragelonne propose à Louinet de se charger en 2007 de l’édition française des intégrales Wandering Star. Au début du vingtième siècle, la plupart des ouvrages d’Howard sont en rupture de stock et Conan reste inconnu du grand public, quand il n’est pas assimilé directement à l'acteur Schwarzenegger vêtu d’un simple slip en fourrure. Comme c’est souvent le cas, la communauté du jeu de rôle est plus avertie, mais même les amateurs de l’imaginaire continuent de voir les aventures du barbare comme ce que la fantasy a produit de pire : en 2006, pour le centième anniversaire de la naissance d’Howard, le festival des Imaginales organise ainsi un débat qui marquera durablement les quelques amateurs du Texan, au titre évocateur de « Conan, le prince des machos, a 100 ans ». S’il n’existe pas, à notre connaissance, d’enregistrement de l’événement, deux témoins (Patrice Louinet et le blogueur Chrysagon641) affirment y avoir vu un invité admettant n'avoir jamais lu l'auteur comparer le racisme latent de ses textes à celui de Louis Ferdinand Céline, quand un autre n’ayant lu qu'un seul de ses livres moquait la bêtise du héros et des intrigues.Voir des auteurs œuvrant pourtant dans le domaine de l'imaginaire parler ainsi lors d’un tel événement montre bien les abysses où se trouvait alors Howard au sein même du genre. L'année suivante a lieu la parution des éditions intégrales en France642 ; les sites majeurs de l’imaginaire relaient alors la sortie avec enthousiasme, et les 8 000

641 Patrice LOUINET, « Robert E. Howard, Founding Father of Modern Fantasy For The First Time Again », op. cit.,

p. 167 ; CHRYSAGON, Civilized Men, 18 mai 2006, http://nemedie.free.fr/site/spip.php?article48, consulté le 26 août 2017.

642 Robert Ervin HOWARD, Conan - Le Cimmérien. Premier volume : 1932-1933, traduit par Patrice LOUINET et

traduit par François TRUCHAUD, Paris, Bragelonne, coll. « Les intégrales », n˚ 10, 2007 ; Robert Ervin HOWARD,

Conan - L’Heure du dragon. Deuxième volume : 1934, traduit par Patrice LOUINET, Paris, Bragelonne, coll. « Les intégrales », n˚ 14, 2008 ; Robert Ervin HOWARD, Les Clous rouges. Troisième volume : 1934-1935, traduit par Patrice LOUINET, Paris, Bragelonne, coll. « Les intégrales », n˚ 17, 2008.

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copies de la version à couverture rigide se vendent en moins de 6 mois643 (voir Annexe XIII). En octobre 2008, Les Moutons Électriques sortent à leur tour Les Nombreuses vies de

Conan644, série d'articles portant sur la chronologie et les thèmes des aventures du barbare ; le livre est suivi de Conan le Texan645 la même année, un récit de voyage littéraire, puis des

Échos de Cimmérie, Hommage à Robert Ervin Howard646, qui présente une biographie étendue, des nouvelles inédites et des travaux critiques de haute volée. Tous deux sont nommés au Grand Prix de l'Imaginaire lors des Utopiales de Nantes en 2009, et c’est le second ouvrage qui remporte finalement les honneurs. Cette année-là, l'émission de radio de France Culture « Mauvais Genres » consacre à son tour une émission entière à Howard647.

Aussi, quand les Imaginales lancent un nouveau débat sur l’auteur en 2009, c'est en quelque sorte pour « réparer » l’initiative malheureuse précédemment citée : la table ronde, appelée « De Conan à Frodon… Howard & Tolkien, les pères fondateurs en question(s) », est modérée par Jacques Baudou et comprend entre autres invités Edouard Kloczko (spécialiste de Tolkien), Simon Sanahujas (auteur de deux des livres cités dans ce paragraphe) et Patrice Louinet. Auréolé de la nouvelle aura du gracié, le Texan semble soudain presque devenu l'égal littéraire d'un auteur qui, au sein de la fantasy, semblait auparavant ne connaître aucun rival648. Le traducteur finalement choisi pour la version française des intégrales n’est nul autre que Louinet, l’éditeur de l’ouvrage en personne, lequel se voit ainsi adouber par Bragelonne alors qu’il n’a à ce moment, aucune expérience professionnelle véritable de la traduction (il possède tout de même une expérience approfondie de l’anglais et de l’œuvre de l’auteur). Dix ans plus tard, en 2019, les textes ressortent chez le Livre de poche, dans une version sobre visant à séduire un public dépassant largement les seuls fans de fantasy et peut-être même à installer l’œuvre comme un classique de la littérature :

« Avoir la possibilité de sortir un grand classique comme celui-ci en poche ne se refuse pas », confie l'éditrice Laetitia Rondeau. « Nous

643 Patrice LOUINET, « Robert E. Howard, Founding Father of Modern Fantasy For The First Time Again », op. cit.,

p. 167.

644 Simon SANAHUJAS, Les Nombreuses vies de Conan, Paris, Les Moutons électriques, 2008.

645 Simon SANAHUJAS, Conan le Texan, Paris, Les Moutons électriques, coll. « La Bibliothèque rouge », 2008. 646 Fabrice TORTEY (dir.), Echos de Cimmérie : Hommage à Robert Ervin Howard (1906-1936), Paris, Œil du

sphinx, coll. « La Bibliothèque d’Abdul Alhazred », n˚ 10, 2009.

647 François ANGELIER, « Mauvais Genre ».

648 Patrice LOUINET, « Robert E. Howard, Founding Father of Modern Fantasy For The First Time Again », op. cit.,

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souhaitons faire découvrir Conan à un public plus jeune et démocratiser ce roman. Nous allons proposer aux enseignants du lycée une séquence pédagogique d'une dizaine de pages conçue par l'auteur Fabien Clavel sur la nouvelle La Tour de l'éléphant qui sera disponible sur notre site internet. » Un parallèle sera fait avec les inspirations historiques de Robert E. Howard dans la construction de son Âge hyborien649.

La sortie permet également à Louinet de corriger son travail mais aussi de remplacer les révisions effectuées sur les textes de Truchaud par des retraductions.

Si les révisions et les nouvelles traductions de Tolkien et Howard demeurent les événements les plus marquants de cette patrimonialisation, ils n’en constituent pas pour autant les uniques manifestations. Avant même la sortie des Conan en 2007, l’éditeur Bragelonne republie déjà d’autres titres américains, présentés par l’éditeur comme des « classiques » parfois injustement oubliés à cause de traductions très imparfaites. Le cycle de Shannara de Terry Brooks est ainsi le tout premier à bénéficier d’un tel traitement dès 2002, avec un premier tome dont la quatrième de couverture invoque côte-à-côte Tolkien et Alexandre Dumas tout en rappelant le statut de bestseller de l’œuvre (une pratique courante dans la communication de l’éditeur650). En 2006, l’éditeur entreprend également ses premières retraductions de classiques de la fantasy pulp avec le premier tome (sur les cinq que comptera finalement la série) du Cycle des épées de Leiber651. Jean-Claude Mallé, chargé de la traduction, est un habitué du genre : fondateur des éditions Arena (1989-1991), qui publièrent quelques Star Trek, il avait rejoint Pocket jeunesse en tant que traducteur de romans de science-fiction et d’épouvante pour la jeunesse avant de devenir directeur de collection chez Fleuve ; depuis 2003, il est le traducteur officiel de L’Épée de vérité de Goodkind652, l’un des cycles les plus rentables pour Bragelonne. En 2012, Mallé se voit également confier l’un des plus gros projets de retraduction de l’éditeur : La Roue du temps de Jordan, une saga démesurée qui comprend quatorze tomes d’une moyenne de mille pages (voir Annexe XIV). Le cycle est dépeint par Stéphane Marsan comme l’une de ces

649 LE POINT.FR, Conan, un classique enfin réédité en poche, 9 janvier 2019, https://www.lepoint.fr/pop-

culture/conan-un-classique-enfin-reedite-en-poche-09-01-2019-2284508_2920.php, consulté le 1 février 2019.

650 Terry BROOKS, L’Épée de Shannara, traduit par Rosalie GUILLAUME, Paris, Bragelonne, 2002. 651 Fritz LEIBER, Épées et démons, traduit par Jean Claude MALLE, Paris, Bragelonne, 2005.

652 Voir par exemple Terry GOODKIND, La Première leçon du sorcier, traduit par Jean Claude MALLE, Paris,

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immenses séries que les éditeurs de fantasy rêvent de publier, une illustre héritière du

Seigneur des Anneaux, une œuvre inconnue du grand public malgré ses 80 millions

d’adeptes dans le monde et sa capacité à toucher des lecteurs ne s’intéressant habituellement pas à l’imaginaire653. La publication démarre en force avec pas moins de cinq livres en une seule année654 (cinq tomes de mille pages donc, pour un traducteur qui la même année voit plusieurs autres ouvrages inédits sortir sous son nom), avant d’atteindre un rythme plus « posé » d’une sortie par an. Dès 2008, Bragelonne décide également, via sa filiale Milady, de retraduire certains volumes de ludic fantasy, se servant des coupes effectuées autrefois par Fleuve noir comme d’un argument pour vendre de nouvelles traductions « intégrales » ; le cycle des Chroniques de Dragonlance et ses 22 tomes se retrouvent ainsi bientôt à côtoyer celui des Royaumes oubliés et ses 48 tomes (voir Annexe XIV). Derrière les trois premiers tomes des Chroniques, on trouve trois traducteurs présentant des parcours bien différents : Laurent Queyssi, un écrivain de science-fiction ; Aude Carlier, une traductrice encore débutante (elle se consacrera par la suite à la littérature pour la jeunesse) ; et enfin Sébastien Baert, dont c’est a priori la première traduction.

Dans un tout autre registre, les éditions Callidor, lancées en 2011 par le seul Thierry Fraisse, se concentrent rapidement sur une collection intitulée « L’Âge d’or de la fantasy », qui vise à lancer des premières traductions de titres considérés comme des « classiques » du genre malencontreusement oubliés par le marché français. Si la demande reste faible, cette initiative permet à des œuvres d’auteurs fermement ancrés dans le canon de la BAFS (comme Mirlees ou Eddison) de paraître pour la première fois en France655 (voir Annexe XV). En dépit des difficultés présentées par les textes et des ambitions littéraires de l’éditeur, les moyens très réduits dont celui-ci se dote le contraignent à recruter des traducteurs essentiellement débutants (à l’exception remarquable de Patrick Marcel, traducteur de nombreux ouvrages de genre dont les derniers tomes du Trône de fer, qui accepte par

653 StéphaneMARSAN, La Roue du Temps : Entretien avec l’éditeur, Stéphane Marsan, Paris, Bragelonne, 2012,

https://www.youtube.com/watch?v=8j3EzlmtrU8, consulté le 8 février 2018, 00’15-02’05.

654 Robert JORDAN, Nouveau printemps, traduit par Jean Claude MALLE, Paris, Bragelonne, 2012 ; Robert JORDAN,

L’Œil du Monde, traduit par Jean Claude MALLE, Paris, Bragelonne, 2012 ; Robert JORDAN, La Grande quête,