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Le développement thymique des lymphocytes T passe par différentes étapes clefs, le passage à l’étape suivante étant tributaire de la réussite de la précédente. Tout au long de cette maturation, le thymocyte sera identifié par l’expression, temporellement et spatialement ordonnée, de différentes molécules de surface incluant les co-récepteurs CD4 et CD8. Ainsi, c’est au stade « double négatif » (DN), alors qu’il n’exprime aucun de ces deux marqueurs, que le thymocyte va exprimer la machinerie moléculaire nécessaire au réarrangement somatique des segments V, D et J codant pour la chaine β du TCR. Il s’agit notamment des enzymes de recombinaison RAG1 (145) et RAG2 (146, 147). Si un réarrangement fonctionnel a lieu, la chaine β va s’apparier à une pré-chaine α (pTα) pour former un complexe exprimé à la surface : le pré-TCR (148, 149). Pour passer à l’étape suivante, le thymocyte a dès lors besoin d’un signal de survie via son pré-TCR : c’est la sélection β. Cependant, les chaines β, dont la région intracellulaire est réduite, et pTα, en dépit d’une queue intracytoplasmique longue, ne peuvent initier la transduction du signal (150). Le pré-TCR va donc être exprimé à la membrane, associé à des molécules, telles CD3, impliquées dans les évènements de signalisation proximale (150, 151). Les voies de signalisation activées vont conduire à la répression de l’expression des enzymes RAG1 et RAG2 afin d’empêcher l’expression d’un second TCR : c’est l’exclusion allélique. Après une étape d’intense prolifération, les thymocytes acquièrent les co-récepteurs CD4 et CD8, devenant ainsi des cellules double positives (DP). La recombinaison somatiques des segments V, D et J codant pour la chaine α va alors débuter. Si un réarrangement fonctionnel a lieu et si les chaines α et β s’apparient correctement, le récepteur à l’antigène est exprimé.

Les prochaines étapes de maturation consisteront à s’assurer que ce nouveau TCR correspond bien à un cahier des charges très strict : il doit être capable de reconnaître les molécules de CMH du soi, puisque ce sont elles qui présenteront les antigènes exogènes, sans pour autant présenter une affinité trop forte pour les complexes CMH-peptide du soi. C’est le rôle des sélections positive et négative.

1. Sélection positive

Pour permettre au lymphocyte T d’assurer sa fonction, le TCR ainsi généré doit être capable de reconnaître le CMH du soi. Malheureusement, en raison du caractère stochastique du réarrangement somatique, seuls 5% des TCR générés vont être réellement capables d’interagir avec les complexes peptide-CMH du soi. Une sélection des lymphocytes T dits « utiles » est donc indispensable. Cette étape de « sélection positive » s’effectue par défaut. Près de 90% des thymocytes meurent donc par négligence, car ils ne peuvent intégrer les signaux, dépendants de l’engagement du TCR, nécessaires à leur survie.

Cette étape a été mise en évidence dès les années 70 : Bevan et al. montraient, à l’aide de chimères, que la spécificité des lymphocytes T d’un animal était restreinte aux molécules de CMH exprimées par ses cellules non hématopoïétiques (152). Peu après, l’équipe de Zinkernagel observait que la transplantation d’un thymus allogénique chez des chimères thymectomisées induit chez les cellules T du receveur une spécificité vis-à-vis des molécules de CMH allogénique (153). Elle montrait ainsi l’importance du thymus, et notamment de l’épithélium thymique, dans ce phénomène.

Toutefois, il restait encore à déterminer qui du cortex et de la medulla était responsable de la sélection positive. La présence exclusive des DP (154) et l’expression des molécules de CMH de classe I et II au niveau du cortex apportèrent un début de réponse. La confirmation vint avec l’utilisation de souris transgéniques n’exprimant les molécules de CMH que sur les cellules épithéliales thymiques corticales (cTEC) ou, à l’inverse, uniquement sur les cellules épithéliales thymiques médullaires (mTEC) (155). En effet, chez ces souris, seule une expression dans le cortex permet la sélection positive des lymphocytes T.

2. Sélection négative

L’interaction du TCR avec un complexe CMH/peptide du soi, exprimé à la surface des cTEC permet d’induire la survie du thymocyte DP. Cependant, le compartiment lymphocytaire T ainsi sélectionné est fortement enrichi en cellules ayant une forte affinité pour les antigènes du soi et donc dangereuses pour l’organisme. Dans des modèles expérimentaux dans lesquels l’expression des

molécules du CMH sont restreintes aux cellules épithéliales du cortex, il a en effet été montré que le répertoire de lymphocytes T qui se développe est en partie autospécifique (155, 156). Ces cellules sont fonctionnelles et potentiellement auto réactives puisque, ex vivo, elles sont capables de répondre à une stimulation délivrée par des CPAs syngéniques. Une étape de sélection, visant à éliminer ses cellules dangereuses, est donc nécessaire : c’est la sélection négative.

En 1984, l’existence d’une tolérance restreinte par le CMH a été décelée par Polly Matzinger (157). Ainsi, si les lymphocytes T sont capables de s’activer au contact d’un antigène du non-soi présenté par le CMH du soi ou d’un antigène du soi complexé à un CMH allogénique, leur interaction avec un complexe CMH du soi/peptide du soi reste non immunogène. Depuis, deux mécanismes de sélection ont été décrits. Le premier aboutit à la délétion clonale des précurseurs autoréactifs (158, 159). Une étude quantitative et cinétique du développement des thymocytes a permis de montrer que la moitié à deux tiers des cellules sélectionnées positivement sont ainsi éliminées (160). Le second ne conduit pas à l’élimination physique des thymocytes dangereux, mais à leur inactivation fonctionnelle (161).

Grâce à des expériences de chimères hématopoïétiques et à la différence de sensibilité aux radiations des différentes composantes cellulaires du stroma thymique, des auteurs ont suggéré que ces deux mécanismes de sélection soient induits par des populations cellulaires distinctes. La délétion serait essentiellement dirigée par les cellules dendritiques médullaires alors que l’induction d’anergie serait sous la dépendance d’une population radiorésistante : les cellules épithéliales de la medulla (162). Ce dogme a cependant été remis en cause par différentes publications. Il a notamment été montré que l’épithélium médullaire est susceptible d’induire la délétion partielle de thymocytes spécifiques de superantigènes (163) ou d’antigènes tissulaires (164).

L’implication des cellules épithéliales thymiques de la medulla a été renforcé avec l’identification de AIRE (Autoimmune regulator) (165), une protéine présentant des similitudes importantes avec des facteurs de transcription, et dont l’expression, restreinte aux tissus lymphoïdes, est particulièrement élevée dans les mTEC. Le groupe de Christophe Benoist et Diane Mathis a ainsi montré que AIRE régule l’expression de 200 à 1200 gènes chez la souris (166). De plus, la greffe chez une souris nude, d’un thymus déplété de ses cellules hématopoïétiques et provenant d’une souris AIRE-/-, entraine, tout comme chez les souris AIRE-/-, le développement d’un syndrome auto-immun polyendocrinien. Chez l’Homme également, sa déficience provoque une pathologie semblable, autosomique récessive monogénique (167), baptisée APECED (« Autoimmune PolyEndocrinopathy Candidiasis Ectodermal Dystrophy »). L’activité de la protéine AIRE permettrait donc, via l’induction ectopique d’antigènes présentant une spécificité tissulaire, de prévenir l’auto-immunité.

Un lien direct entre AIRE et la sélection négative a depuis été établi. Des auteurs ont généré des souris sauvages ou AIRE-/-, doubles transgéniques pour les

chaînes α et β d’un TCR spécifique d’un peptide dérivé du HEL (Hen Egg Lysozyme) et pour la protéine HEL sous le contrôle du promoteur à l’insuline (168). Dans les souris « sauvages », les thymocytes exprimant le TCR transgénique sont éliminés par des mécanismes de sélection négative nécessitant l’expression d’AIRE par le compartiment thymique non hématopoïétique. Dans les souris déficientes pour le facteur de transcription, des cellules T matures exprimant le TCR transgénique, sortent du thymus. Les mTEC, en présentant à leur surface les antigènes spécifiques d’organes, sous forme de peptides associés aux molécules du CMH, permettraient donc l’élimination des cellules autospécifiques.

Il est à noter que AIRE semble ne pas être le seul mécanisme permettant l’expression d’antigènes ectopique (166, 169). En effet, il a été montré que l’expression par les mTEC de Chrna1 était régulé, en plus de l’action d’AIRE, par IRF8 (interferon regulatory factor 8) (170).