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D. PROTOCOLES DE CONTROLE DU REJET

1. Les drogues immunosuppressives

Les traitements anti-rejet utilisés couramment en clinique humaine ont pour objectif d’inhiber de façon plus ou moins directe l’activation et, plus récemment, la migration des lymphocytes T, principaux acteurs du rejet. Ainsi cinq grands types de drogues ou de traitements immunosuppresseurs ont été développés. Ils différent notamment par leurs cibles et leurs modes d’action (85).

•••• Inhibition de la prolifération

Les premières approches utilisées afin de contrôler l’alloréponse reposaient essentiellement sur un effet anti-prolifératif. En 1915, Murphy et Morton montraient ainsi que l’irradiation d’animaux conduisait à l’élimination du compartiment lymphoïde, et de façon concomitante, à la prise durable d’une tumeur allogénique. Cette destruction non sélective des cellules en cycle sera par la suite utilisée en clinique humaine par Jean Hamburger. En 1959, il décrira que le conditionnement de patients par irradiation totale du corps permet la survie à deux ans d’une allogreffe rénale. Malgré ce résultat encourageant, obtenu chez 9 patients transplantés sur 25, et le développement de techniques permettant de restreindre l’irradiation à certaines parties du corps, la toxicité sévère du traitement et le caractère transitoire des effets observés ont conduit à la recherche de nouvelles approches.

C’est dans ce cadre qu’ont été mises en évidence les premières drogues anti- prolifératives. Après différents travaux reposant sur l’utilisation du benzène, les traitements à l’azathioprine, toujours utilisés de nos jours, furent les premiers à donner des résultats probants, en permettant notamment de prolonger de façon significative la survie d’allogreffes rénales chez l’Homme (86). Une fois administrée, cette molécule est rapidement hydrolysée en 6-mercaptopurine, inhibiteur compétitif des bases puriques (adénine et guanine). Cependant, plus de 80% des patients traités par l’azathioprine développent des épisodes de rejet aigu. Cette limite majeure a permis le développement de produits analogues, mais plus efficaces. Le

mycophenolate mofetil (MMF), qui inhibe de manière non compétitive et réversible

la déshydrogénase inosine monophosphate, une enzyme indispensable à la synthèse des nucléosides guanosiques, a alors été mis au point. Néanmoins, des différences pharmacocinétiques interdividuelles importantes au niveau de son absorption intestinale lui confèrent une efficacité aléatoire. Ce frein, associé à la toxicité générale des traitements anti-prolifératifs vis-à-vis des tissus présentant un fort taux de renouvellement (tractus digestif, tissu hématopoïétique…) a aujourd’hui fortement restreint son utilisation.

•••• Les Glucocorticoïdes

La seconde étape majeure dans le développement des drogues immunosuppressives a été la découverte des stéroïdes. Les glucocorticoïdes, stéroïdes dérivés de la synthèse chimique, forment un représentant majeur de cette famille de molécules. Ils possèdent des récepteurs de type nucléaire, qui, une fois associés à leur ligand, se libèrent des protéines chaperonnes de choc thermique hsp90 qui les retiennent dans le cytoplasme et transloquent aussitôt dans le noyau où ils s’associent à leurs éléments de réponse au niveau de l’ADN. Ces récepteurs vont dès lors réguler l’activité transcriptionnelle de nombreux gènes, notamment en inhibant la translocation de NF-κB. Ce facteur de transcription est à l’origine de l’activation et de la maturation de cellules du système immunitaire telles les cellules dendritiques (87). Les stéroïdes vont aussi inhiber, de façon directe ou non, la synthèse de nombreuses enzymes de l’inflammation telles que la cyclo-oxygénase 2, impliquée dans la synthèse de Prostaglandine E2, ou la phospholipase 2.

Les corticostéroïdes sont donc de puissants anti-inflammatoires et immunosuppresseurs dont la première utilisation en tant que traitement anti-rejet date de la fin des années 60 (85). Ainsi de 1964 à 1978, de la prednisone a notamment été administrée, de façon chronique, en combinaison avec l’azathioprine. Ce traitement permettait la survie à un an de 50% des patients ayant reçu une allogreffe de rein. Cependant, leur administration provoqua de nombreuses altérations du compartiment hématopoïétique, des désordres métaboliques (hypertension et ostéoporose), des diabètes ainsi que l’aggravation d’états infectieux (réveil du virus de la varicelle ou du cytomégalovirus) et une sensibilité accrue aux infections. Du fait des nombreux effets indésirables liés à l’administration des stéroïdes, il est envisagé d’interrompre leur administration après les premiers mois suivant la greffe. Toutefois, les premiers résultats suggéraient que l’arrêt des corticostéroïdes trois mois après la greffe augmentait le risque de rejet.

•••• Déplétion/modulation des lymphocytes

Une autre stratégie consiste à détruire sélectivement les lymphocytes, étant donné leur rôle central dans l’alloréponse. La première approche, mise au point par Woodruff en 1963, consistait à placer un cathéter dans le canal thoracique des patients avant greffe, afin de drainer les lymphocytes qui retournent à la circulation sanguine (88). La lymphe récoltée, déplétée en cellules mononuclées par sédimentation ex vivo, était ensuite réinjectée au patient. En dépit de son originalité, cette approche n’a connu que très peu d’applications en clinique humaine, en raison notamment de la difficulté à la mettre en œuvre.

Une autre méthode, plus simple, fut envisagée : l’utilisation d’anticorps. Malheureusement, les premières expériences furent des échecs : les anticorps anti- lymphocytaires utilisés, polyclonaux, reconnaissaient une grande variété de cibles et s’accompagnaient donc d’une forte toxicité pour l’organisme. L’anti-thymocyte globulin a toutefois été utilisé durant de longues années, principalement aux Etats- Unis. Il est aujourd’hui de plus en plus délaissé en faveur des anticorps monoclonaux. Leur mise au point permit rapidement de résoudre ces problèmes. Ainsi, l’un des plus anciens, et cependant toujours utilisé, est l’anticorps OKT3 dont les premiers essais cliniques datent du début des années 1980 (89). Cette immunoglobuline de souris reconnait CD3ε, une molécule clef du complexe TCR qui joue un rôle prépondérant dans les évènements proximaux de la transduction du signal, inactivant ainsi les fonctions des cellules T naïves et activées. Un autre exemple d’anticorps, déplétant celui-ci, est le CAMPATH-1H ou Alemtuzumab. Il a été montré que l’injection de cet anticorps humanisé anti-CD52 à J0 et J1 post-greffe permet, en l’absence de stéroïdes, la survie à moyen terme d’une allogreffe rénale par un traitement léger à la cyclosporine (90). CD52 est une molécule de surface exprimée notamment par les cellules NK, les lymphocytes B et T, la plupart des populations de monocytes/macrophages et les cellules dendritiques. Il est actuellement en cours d’évaluation dans les greffes d’organes mais il est régulièrement utilisé dans les greffes de moelle osseuse pour prévenir le rejet et la GVHD ainsi que dans le traitement de leucémies (91). L’un des effets indésirables majeurs imputables à ces anticorps est l’importante immunosuppression qu’ils engendrent du fait de leur non-spécificité vis-à-vis des cellules T naïves ou activées. Leur utilisation est donc restreinte à de faibles doses et à des périodes de temps relativement courtes afin de réduire au maximum le risque d’infections opportunistes ou le développement de novo de tumeurs malignes. Afin de remédier à cela, deux autres anticorps monoclonaux, le Daclizumab (92) et le Basiliximab (93), visant spécifiquement les lymphocytes T activés, ont été développés. Ces anticorps sont dirigés contre la chaîne α du récepteur à l’IL-2 (CD25), exprimée à la surface des cellules T et NK activées. Cependant, même s’ils permettent de réduire la fréquence des épisodes de rejet aigu lors de greffes rénales, ces anticorps ont une efficacité limitée du fait de leur faible compétition avec l’IL-2 endogène et du fait qu’ils inhibent l’AICD (« Activation Induced Cell Death ») induite par cette cytokine. Ils entrainent de plus le syndrome du relargage de cytokines (Cytokine Storm). Toutefois, étant donnée leur spécificité vis-à-vis des cellules activées, leur administration ne semble pas associées à une susceptibilité accrue aux infections opportunistes.

•••• Inhibition de la synthèse des cytokines

Pour parachever leur activation et leur différenciation Th1/Th2, les lymphocytes T nécessitent un signal dépendant des cytokines. En court-circuitant ce signal, les médecins pensaient ainsi pouvoir réduire la réponse allogénique. La découverte de la cyclosporine en 1970 à l’occasion de recherche sur de nouveaux

antifongiques a ouvert la voie à l’immunosuppression chimique. Ce polypeptide, isolé à partir d’un champignon, fut testé dès 1978 et permis effectivement de fortement réduire la fréquence et l’intensité des épisodes de rejet aigu (94). Depuis le

Tacrolimus (FK506), agent plus puissant, a été isolé à partir d’une bactérie. Ces

deux molécules, en s’associant avec la calcineurine, inhibent son activité, laquelle sert de relais entre le TCR et différents facteurs de transcription, tels que JNK, NFAT ou NFκB. La transcription de certains gènes cibles comme l’IL-2 est alors fortement réduite. Cependant, même si l’effet de ces drogues est relativement restreint aux cellules lymphoïdes, elles ne peuvent pas être administrées seules à des doses suffisament élevées pour inhiber le rejet de greffe. En effet, la calcineurine étant largement distribuée, son inhibition va avoir de nombreux effets indésirables tels que des dommages neurologiques ou rénaux ainsi que l’apparition de diabète.

Le Sirolimus ou Rapamycine, molécule apparentée structuralement au

Tacrolimus, inhibe la kinase mTOR (mammalian Target of Rapamycin) impliquée

dans la transduction des signaux en aval des molécules de co-stimulation ou en réponse à des cytokines telles que l’IL-2 ou l’IL-15 (95). L’activation de mTOR est à l’origine de la progression de la cellule T de la phase G1 à la phase S (96). L’administration de Sirolimus va avoir donc pour effets adverses principaux une hyperlipidémie et une thrombocytopénie.

La stratégie actuelle consiste à combiner ces drogues qui possèdent différents mécanismes d’action pour minimiser les doses utilisées et par là même la toxicité intrinsèque à chacun de ces traitements.

•••• Blocage de la migration des cellules effectrices

En 1992, une nouvelle classe de drogues anti-rejet est découverte, suite à la modification chimique d’une molécule immunosuppressive naturelle retrouvée chez les champignons, la myriocine. Nommé FTY720, cette nouvelle drogue est un agoniste de haute affinité du récepteur 1 à la sphingosine-1 phosphate (S1P1). Contrairement aux drogues classiques, il n’inhibe pas l’activation ou la différenciation des cellules effectrices, mais en induisant l’internalisation de S1P1, il empêche l’émigration des cellules T des organes lymphoïdes vers la périphérie (97, 98). Ainsi, il a été montré, chez le rat, que son administration est associée à une importante diminution des infiltrations des cellules CD3 positives dans le greffon de peau allogénique. Et si son administration seule n’a que peu d’effet sur la survie du greffon, en combinaison avec la cyclosporine, il en permet une augmentation très significative (99).

Un de ses avantages est qu’en ne faisant que séquestrer les lymphocytes T et B, il n’empêche ni leur activation dans les ganglions, ni les réponses humorales périphériques ou la génération de CTLs spécifiques d’un virus (97). Ainsi peut-on supposer que son administration, en comparaison aux drogues bloquant la

prolifération des cellules T ou leur activation, interfère moins avec le développement de réponses immunitaires à la suite d’une infection du patient (la réponse restera toutefois cantonnée aux organes lymphoïdes)

Cette molécule est actuellement testée en essai clinique de phase III chez des patients ayant bénéficiés de greffe de rein. Récemment, les résultats d’une étude, qui comparait l’effet du remplacement du mycophénolate mofétil par le FTY720, tous deux en association avec la cyclosporine, ont été publiés. Ces données montrent que le FTY720 est aussi efficace que le mycophénolate mofétil dans la prévention du rejet de greffe, l’administration de FTY720 étant toutefois associée à une diminution du risque des infections par le CMV (100).