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ORIGINE, DEVELOPPEMENT ET HOMEOSTASIE DES TREGS 1 Origine thymique

L’origine thymique des lymphocytes T CD4+ CD25+ fut soupçonnée dès les expériences de thymectomie néonatale (243). La découverte de cellules CD4+ CD8- CD25+ dans le thymus, présentant les mêmes caractéristiques phénotypiques et fonctionnelles que leur contrepartie périphérique (278), confirma les premières hypothèses, suggérant même que la population CD4- CD8- formait un précurseur commun aux cellules conventionnelles et régulatrices. Il fut démontré par la suite que les thymocytes régulateurs exprimaient en outre Foxp3 (268).

2. Développement des Tregs

Le thymus contribue donc à l’induction de tolérance du soi en inactivant ou en éliminant les cellules autospécifiques du compartiment T effecteur et en générant, naturellement, les cellules T régulatrices. Pourtant, cette origine thymique des Tregs soulève la question de leur développement. Comment un même organe parvient-il à assurer la génération et la sélection de deux populations de lymphocytes T aux

fonctions totalement opposées ? Existe-t-il des signaux spécifiques, non conventionnels, qui dirigent le comportement de la cellule en cours de maturation ?

5. Les Tregs subissent la sélection thymique

La nécessité d’une interaction entre le TCR exprimé à la surface des Tregs et les complexes CMH/peptide a été mise en évidence à de multiples reprises. En 2001, Bensinger a montré que l’expression des molécules du CMH de classe II uniquement par les cTEC est nécessaire et suffisante au développement de cellules T régulatrices pleinement fonctionnelles (279). Par ailleurs, la mesure en absence de délétion clonale de la proportion de cellules spécifiques pour les superantigènes endogènes exprimés par l’épithélium thymique, fait apparaitre que la sélection positive des Tregs est augmentée (280). En outre, quand un seul couple CHM II/peptide est exprimé uniquement dans le cortex, les Tregs spécifics pour le ligand sont préférentiellement sélectionnés parmi le large répertoire des précurseurs immatures (281). Comme sa contrepartie CD25-, le compartiment CD25+ est donc sélectionné positivement et cette sélection vis-à-vis d’autoantigènes serait accrue par rapport aux cellules conventionnelles.

Après leur sélection positive au niveau du cortex, les Tregs semblent subir également une sélection négative efficace. Ainsi, Paola Romagnoli a analysé et comparé le répertoire Vβ chez des thymocytes CD25+ et CD25- isolés à partir d’animaux exprimant ou non Mtv 1, 6, 7, 8, 11, 13, 14 et 17. Elle a ainsi pu montrer que le compartiment régulateur présente la même sensibilité à la délétion médiée par des superantigènes endogènes à surface des cellules dendritiques (279, 282, 283). L’implication des mTEC dans le développement des Tregs reste plus incertaine. Anderson et al. ont démenti l’hypothèse que l’expression d’AIRE fût la source d’une sélection positive des Tregs, son absence ne modifiant pas leur développement ni leur fonctionnalité (284). Toutefois, l’équipe de Aschenbrenner a montré qu’une absence de molécules du CMH II à la surface des mTECs induit une réduction de Tregs polyclonaux. De plus, l’expression de l’antigène HA uniquement à la surface des mTECs AIRE+, mimant ainsi l’expression ectopique d’antigènes par AIRE, conduit à la génération importante de Tregs spécifiques (285).

6. Le choix de lignage

Au cours des différentes études cherchant à découvrir l’origine des cellules régulatrices, deux modèles se sont peu à peu imposés et s’opposent aujourd’hui : les modèles « instructif » et « sélectif ». Le point de départ des deux repose sur l’interprétation de différents travaux portant sur les interactions de forte affinité du TCR des cellules régulatrices avec un complexe CMH/ligand agoniste.

Ainsi, en 1999, l’équipe de Sakaguchi a montré, dans des souris DO11.10 dont le TCR transgénique est spécifique de l’ovalbumine, qu’en l’absence d’expression du ligand du TCR par le stroma thymique, environ 3% des cellules T CD4+ qui se développent sont CD25+ (278). Contrairement aux cellules CD25-, ces cellules expriment en majorité une chaine TCRα endogène. De plus, lorsque des souris DO11.10 sont générées sur fond génétique RAG2-/-, un développement normal du compartiment effecteur est observé alors qu’aucune cellule CD4 simple positive (SP) CD25+ mature n’est produite. En l’absence d’expression du ligand agoniste dans le thymus, des lymphocytes T régulateurs exprimant le TCR transgénique ne peuvent donc pas se différencier.

En 2001, cette hypothèse était confirmée par Jordan et al. Ces auteurs montraient que, contrairement à la sélection thymique des autres types de cellules T αβ, le développement des lymphocytes T régulateurs CD4+ CD25+, requiert des interactions agonistes de haute avidité avec des complexes CMH/peptide du soi exprimés par les cellules épithéliales (286). Des approches complémentaires sont venues enrichir l’argumentation en faveur de la nécessité d’un signal antigènique fort (287-289). Le renforcement de la signalisation en aval du TCR par l’inhibition de la phosphatase SHP-1 (Src homology region 2 domain-containing phosphatase 1) permet de doubler la taille du compartiment régulateur (290), tandis que l’interruption de la voie aboutissant à l’activation de NF-κB limite dramatiquement le développement des Tregs (291). Il a donc été proposé que l’engagement des précurseurs T vers le lignage régulateurs se fasse lorsque l’intensité d’interaction TCR/ligand dépasse un certain seuil d’avidité.

Les travaux de l’équipe de Diane Mathis ont amené à reconsidérer l’interprétation de ces résultats. Ils ont analysé le développement intrathymique des compartiments effecteurs et régulateurs dans une souris exprimant un TCR transgénique (292). Dans ce modèle, l’expression du ligand du récepteur à l’antigène peut être modulée, de façon dépendante de la dose, par ajout de tétracycline dans l’eau de boisson des animaux. Ils ont ainsi pu mettre en évidence que l’augmentation de l’expression du ligand permet un enrichissement du compartiment CD4 en cellules CD25+ exprimant le TCR transgénique dans le thymus et les organes lymphoïdes secondaires. Surtout, ils ont observé que cet enrichissement, s’il est lié à une baisse significative du nombre de thymocytes CD25-, n’est pas associé à une augmentation du nombre absolu de thymocytes CD25+. Lorsque l’avidité d’interaction augmente, les cellules CD25- ne sont donc pas converties en cellules CD25+ mais elles sont éliminées. Ainsi, dans ce modèle, comme dans celui de Jordan, l’augmentation de la proportion de Tregs parmi les thymocytes dans le cadre d’interactions de haute avidité est le fait d’une résistance à la délétion. Toutefois, les résultats obtenus par notre équipe dans un modèle de superantigènes, permettant de s’affranchir des limites des TCR transgéniques, s’avèrent incompatibles avec un modèle d’instruction.

7. Le rôle des molécules de co-stimulation

En plus d’une interaction TCR/ligand forte, il semble que le développement des Tregs soit dépendant des molécules de co-stimulation exprimée à la surface des cellules de l’environnement thymique. En effet, les souris invalidées pour CD28 ne présentent qu’une population très réduite de Tregs dans le thymus et la périphérie (293, 294). Le groupe de Singer a identifié le domaine de liaison de Lck comme la clef de la fonction de CD28 dans la différenciation qui permet aux thymocytes DP de devenir des lymphocytes T CD4+ Foxp3+ (295). De plus, il a été très récemment montré que l’expression de CD40 par les cellules épithéliales thymiques et les cellules dendritiques influencerait quantitativement la génération des Tregs (296).

3. Homéostasie des Tregs

Une fois en périphérie, les Tregs migrent, via la circulation sanguine, dans les organes lymphoïdes secondaires. A l’équilibre, il a été montré que la taille du compartiment régulateur est stable. Un tel constat pourrait s’expliquer par l’état d’anergie qui caractérise les Tregs. Pourtant, il en est rien. En effet, l’équipe de Salomon a montré que ce même compartiment se divise en deux sous-populations (297). La première, qui exprime de hauts niveaux de CD62L, est dans un état quiescent. La deuxième correspond à des cellules en cycle qui ont diminué l’expression de CD62L et augmenté celle de marqueur de surface, tels CD69 ou CD44, caractéristiques de lymphocytes activés. Une étude plus approfondie a permis à cette équipe de suggérer que ces cellules correspondent à la fraction autospécifique du compartiment T régulateur.

Cette prolifération des Tregs n’est possible qu’en présence d’IL-2 exocrine sécrétée par les populations T effectrices. L’IL-2 est une cytokine produite rapidement après activation des cellules T au niveau des ganglions lymphatiques drainant le site de l’infection ou de l’inflammation. En induisant la prolifération des Tregs dès l’initiation de la réponse immunitaire, l’IL-2 favorise la mise en place d’une réponse suppressive effective dans les plus brefs délais, ayant pour but de contrôler la réponse effectrice et d’éviter l’apparition de lésions immunopathologiques. Il a récemment été montré in vivo que lors de l’immunisation d’une souris par un antigène donné il y a expansion des Tregs (FR4high Foxp3+) de façon antigène spécifique (277). L’expression importante de CD25 donne un avantage prolifératif aux Tregs par rapport aux lymphocytes T effecteurs.

Une approche utilisant des souris Foxp3-GFP possédant une déficience soit en IL-2, soit en CD25 (IL-2Rα-/-) a permis de montrer que l’IL-2 n’est pas impliquée à proprement dit dans le développement intra-thymique des Tregs (298). mais que cette cytokine est cruciale in vivo pour le maintien et l’homéostasie périphérique des Tregs. Une étude complémentaire réalisée chez l’homme a montré que l’IL-2 régule positivement et spécifiquement dans les Tregs l’expression de Foxp3 et que cette régulation implique la liaison des protéines STAT3 et STAT5 sur le premier intron du gène codant pour Foxp3 (299).

L’homéostasie des Tregs n’est pas uniquement dépendante de l’IL-2. D’autres cytokines participent à la modulation du compartiment régulateur. C’est le cas de l’ l’IFN-γ dont l’action sur la réponse immunitaire semble dépendre du contexte. L’IFN-γ a en effet des fonctions paradoxales, en favorisant d’une part le développement d’une réponse pro-inflammatoire de type Th1 et d’autres part en permettant aux Tregs de contrôler le déroulement des réponses immunes (300). L’équipe de Kathryn Wood a proposé en 2005 un modèle où les Tregs produisaient rapidement et seulement de manière transitoire de l’IFN-γ, crucial pour leur fonction in vivo (301). Cette production d’IFN-γ par les Tregs peut de plus créer un microenvironnement suppressif induisant une inhibition de l’activation et de la prolifération des cellules T effectrices et ce, en influençant la fonction des APCs en induisant l’enzyme iNOS (inducible nitric oxide synthase), l’enzyme HO-1 (heme oxygenase-1) ou bien l’enzyme IDO induisant le catabolisme du tryptophane (302).

La cytokine clef impliquée dans le maintien en périphérie et la mise en place des fonctions effectrices des Tregs est le TGF-β. Il existe plusieurs isoformes du TGF-β : le TGF-β1, le TGF-β2 et le TGF-β3. Le TGF-β1 est l’isoforme ayant une activité immunologique, les autres jouant plutôt un rôle au cours de l’embryogenèse ou bien lors des processus de myogenèse. Le TGF-β est une cytokine pléïotropique (la plupart des cellules possèdent un récepteur au TGF-β) très conservée au cours de l’évolution possédant un effet immunosuppresseur prononcé. En effet, une souris exprimant un dominant négatif du récepteur de type II au TGF-β (dnTGF-β RII) exprimé sous le contrôle d’un promoteur T spécifique et donc possédant des cellules T incapables de répondre à cette cytokine va développer des pathologies auto- immunes. Cela démontre, l’importance cruciale du TGF-β dans l’homéostasie du compartiment T (303).

En 2005, Marie et al. ont montré que le TGF-β1 était critique pour l’homéostasie et l’activité régulatrice du pool de Tregs périphérique mais non requis pour le développement intrathymique de ces cellules. En effet, des souris TGF-β1-/- âgées de 8 à 10 jours (phénotype létal à 3 semaines de vie) présentent une réduction significative du nombre de Tregs en périphérie mais un nombre inchangé de thymocytes Foxp3+ au sein du thymus. Ils ont de plus montré en utilisant un modèle murin dnTGF-β RII que l’abrogation de la signalisation TGF-β dépendante dans les Tregs induit une diminution à la fois du niveau d’expression de Foxp3 mais également de l’activité suppressive (304). Ces résultats sont toutefois à modérer. En effet, Liu et al ont récemment montré qu’un retard dans le développement des Tregs était observable chez des souris déficientes pour le recepteur au TGF-b1 au niveau des cellules T, 3 à 5 jours après la naissance (305). Ce retard est ensuite compensé par une expansion accélérée des Tregs thymiques, attribuable à une surproduction d’IL-2.

Durant ces dernières années il a été largement documenté que le TGF-β1 associé à une stimulation du TCR permettait in vitro chez l’homme et la souris la conversion de lymphocytes naïfs T CD4+ CD25- Foxp3- en lymphocytes T CD4+ CD25+ Foxp3+ régulateurs (306). Cette conversion de T effecteurs en Tregs ou Ti- Tregs (TGF- β induced Tregs) permet d’obtenir des cellules présentant une activité

suppressive in vitro mais également in vivo après transferts adoptifs dans des modèles murins (307-310). Ces Ti-Tregs transférés in vivo chez la souris persistent dans l’organisme assurant ainsi une fonction régulatrice à long terme chez l’animal (311). Le groupe de Schevach a récemment montré que la présence d’IL-2 semble être un paramètre important pour réaliser cette conversion en Ti-Tregs induite par le TGF-β (312). Cependant, ces Ti-Tregs, une fois générés, s’avèrent instables (313).

L’absence d’expression de CD127 est une des caractéristiques phénotypiques permettant d’identifier les Tregs. La répression de CD127 serait d’ailleurs subordonnée à l’expression de Foxp3. Le groupe de Bandeira a montré que la génération et l’homéostasie des Tregs sont maintenues en absence de l’IL-7, contrairement à leur contrepartie effectrice (314). Le développement thymique, bloqué à la transition DN2-DN3, est sévèrement réduit pour les deux populations. Cependant, des cellules régulatrices sont toujours présentes et fonctionnelles, même après l’involution du thymus. Les souris déficientes pour l’IL-7, qui développent la colite après déplétion des lymphocytes T CD25+, entrent en rémission spontanément alors que le compartiment régulateur se reforme. La génération périphérique des Tregs expliquerait donc que la lymphopénie des souris invalidées pour cette cytokine ne soit pas corrélée au développement d’une pathologie auto-immune.

Enfin, il a été mis en évidence dès 1999 que les Tregs ont besoin de la présence de leur antigène en périphérie pour se maintenir (315). Dans un modèle de rats thymectomisés et irradiés, une thyroïdite et un diabète auto-immun curables par le transfert de Tregs apparaissent. Lorsque ces cellules proviennent d’animaux dont la thyroïde a été détruite in utero par administration d’iode 131, elles ne parviennent à contrôler que le diabète de type I. Par contre, les thymocytes sont capables de prévenir la survenue des deux pathologies. Garza et al. ont utilisé une approche similaire pour étudier la tolérance à un antigène ovarien, ZP3 (316). Une oophorite auto-immune peut être induite expérimentalement, chez des souris mâles ou femelles simultanément ovariectomisées, par la greffe d’un ovaire accompagnée d’une immunisation contre ZP3. La sévérité de la pathologie était nettement plus marquée chez le mâle que chez la femelle. En revanche, si l’ovariectomie a eu lieu plus d’une semaine avant l’induction de l’oophorite, la protection chez la femelle est perdue, ce qui montre que cette tolérance nécessite la persistance des antigènes ovariens.