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Le potentiel immunosuppresseur des Tregs joue un rôle majeur dans la régulation des réponses immunes. Toutefois, selon le processus pathologique impliqué, leur rôle pourra être bénéfique, comme lors de la prévention de l’auto- immunité ou la tolérance fœto-maternelle, ou au contraire fortement délétère lors d’une réponse anti-tumorale

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1. Prévention de l’auto-immunité

Depuis les premiers travaux visant à identifier un marqueur fiable, l’implication des Tregs dans la prévention de l’auto-immunité ne fait aucun doute. De façon systématique, il a été montré que l’altération, au profit des mécanismes effecteurs, de l’équilibre établi entre l’activité des cellules autoréactives et celle des régulatrices, aboutit au développement d’une réponse immune dirigée contre les antigènes du soi : la thymectomie néonatale mène à une oophorite (243), la thymectomie et l’irradiation de rats adultes entraînent une thyroïdite et un diabète (245), et le transfert à un animal immunodéficient de lymphocytes T CD4+ CD25- aboutit à une auto-immunité systémique mortelle (254). Moins artificiellement, les conséquences graves d’une absence des Tregs sont illustrées par le syndrome de l’IPEX (260, 262, 263) ou par l’infection néonatale par le MTLV (mouse T lymphotropic virus) qui, en détruisant le compartiment CD4, cause entre autres une gastrite (358).

D’une façon moins drastique, la diminution des fonctions effectrices des Tregs peut être à l’origine de désordres dans la tolérance au soi. Ainsi des cellules régulatrices avec des capacités amoindries ont été isolées du sang de patients souffrant d’une forme relativement peu sévère de l’IPEX (271), de diabète de type I (359), de sclérose en plaque (360), de polyarthrite rhumatoïde (361) ou du syndrome de Wiskott-Aldrich (362). La perturbation de l’homéostasie des Tregs pourrait également conduire à la survenue de pathologies : la déficience en IL-2 ou l’incapacité à y répondre handicapent lourdement les Tregs, ce qui provoque chez les animaux invalidés des atteintes auto-immunes (298). De nouveau, des défauts moins marqués peuvent suffire à déséquilibrer le système immunitaire. Une

insuffisance dans la production d’IL-2 a été ainsi suggérée comme un des facteurs de susceptibilité au diabète de la souris NOD et à l’encéphalite auto-immune expérimentale (363, 364). Par ailleurs, l’accumulation de Tregs dans le système nerveux central a été associée à la rémission observée chez la souris C57BL/6 dans le modèle de l’EAE (341). Chez cette souche, l’induction de la maladie se traduit par l’apparition d’une inflammation aïgue du tissu nerveux qui se résorbe spontanément. Une fois guéris, les animaux deviennent réfractaires à la ré-induction de la pathologie. La déplétion des Tregs avant la première immunisation retarde la rémission spontanée, tandis qu’une élimination postérieure au rétablissement empêche l’acquisition de la résistance. Les Tregs s’avèrent donc capables de contrôler la réponse auto-immune, mais leur enrichissement suite à une première réponse pourrait établir une tolérance durable.

2. Modulation des réponses anti-infectieuses

Lors d’une réponse immunitaire anti-infectieuse, le système immunitaire met en place différents mécanismes effecteurs : la production de cytokines pro- inflammatoires, la production de chimiokines permettant le recrutement de cellules immunitaires sur le lieu de l’infection et finalement l’activation de cellules cytotoxiques comme les CTLs et les NK qui vont pouvoir lyser les cellules infectées. Bien que ces mécanismes soient cruciaux pour limiter la propagation de l’agent pathogène dans l’organisme ainsi que pour éliminer le pathogène de l’organisme, ils doivent être drastiquement contrôlés afin d’éviter tout risque d’hyper-inflammation et de dommages tissulaires collatéraux. En effet, il est possible que lors de la réponse immunitaire adaptative contre les antigènes du pathogène il y ait génération d’une réaction immunitaire dite croisée ou « cross-réactive » contre des antigènes du soi aboutissant alors au développement de pathologies auto-immunes. C’est pour palier à cela que le système immunitaire a développé des mécanismes suppresseurs afin de préserver l’homéostasie de l’organisme.

Il a tout d’abord été décrit des mécanismes de régulation consistant en la production de cytokines anti-inflammatoires par les cellules de l’immunité innée. Plus récemment, l’implication de l’immunité adaptative a été largement documentée dans différents modèles infectieux avec le rôle capital que jouent les Tregs Foxp3+ (365). La plupart des infections où les Tregs ont un rôle protecteur important sont des cas d’infections chroniques (366). L’isolement de Tregs à partir de patients atteints d’une infection chronique par Helicobacter pylori, montre que ces cellules régulatrices sont capables d’inhiber des réponses cellulaires T spécifiques des antigènes bactériens mais pas des réponses cellulaires T spécifiques d’autres antigènes (367). Un exemple bien documenté à ce jour est le cas de l’infection gastro-intestinale bactérienne par Helicobacter hepaticus qui va causer une inflammation intestinale. Le transfert de cellules T CD4+ isolées à partir d’une souris IL-10-/- infectée par

Helicobacter hepaticus dans une souris RAG-/- infectée par cette même bactérie va permettre un excellent contrôle de l’infection, mais cela va également augmenter l’inflammation intestinale et induire l’apparition d’une colite inflammatoire. Le transfert de lymphocytes T CD4+ totaux isolés à partir d’une souris sauvage infectée par

Helicobacter hepaticus dans une souris RAG-/- également infectée par la même bactérie va permettre d’induire une réponse immunitaire contre le pathogène moins importante, mais en évitant le développement de la colite. Les auteurs de ce travail ont donc montré l’importance de la génération d’un pool de Tregs antigène spécifique qui va moduler la réponse immunitaire anti-bactérienne via un mécanisme dépendant de l’IL-10 (368).

Toutefois, le revers de la médaille à cette intervention des Tregs est que certains pathogènes utilisent en leur faveur cette immunorégulation afin de restreindre la réponse immune. C’est le cas des infections par Pneumocystis carinii, par Candida albicans, par Leishmania major, par le virus de l’hépatite C, par le virus de l’herpès (366). Cette persistance à long terme va créer un nouvel état d’homéostasie pour l’organisme, ce qui est illustré par le modèle murin d’infection par

Leishmania major. En 2002, Yasmina Belkaid et al. ont montré que la persistance de Leishmania major au niveau de la peau de souris C57BL/6 après résolution de la

phase « aigüe » de l’infection était due à l’action endogène des lymphocytes T CD4+ CD25+ régulateurs (369). Au cours du processus infectieux, les Tregs s’accumulent au niveau du derme des souris infectées et inhibent via des mécanismes à la fois dépendants et indépendants de l’IL-10 les réponses effectrices des lymphocytes T CD4+ CD25- conventionnels visant à éliminer le parasite.

Cependant, l’activité suppressive des Tregs ne se fait pas que pour assurer la survie du pathogène, cela permet également au système immunitaire (du fait de la persistance des antigènes parasitaires en périphérie) de mettre en place une mémoire immunitaire efficace en cas de réinfection par le même pathogène. En effet, des souris IL-10-/- infectées par Leishmania major développent une réponse immunitaire permettant l’élimination de la totalité de la charge parasitaire mais ne permettant pas la mise en place d’une mémoire immunitaire capable de protéger l’animal en cas de réinfection (369). Le groupe de Yasmina Belkaid a depuis montré en 2006, dans ce modèle d’infection parasitaire que la chimiokine CCR5 était responsable du recrutement des Tregs au niveau du derme infectieux (370). Ils ont de plus montré, après avoir réalisé des tests fonctionnels ex vivo, que la majorité des Tregs recrutés au niveau du derme de souris infectées par Leishmania major étaient spécifiques des antigènes du parasite (371).

3. Inhibition des réponses anti-tumorales

Les pathologies infectieuses et inflammatoires sont induites par des organismes exogènes (virus, bactéries, parasites…). Les cancers au contraire sont des pathologies inflammatoires qui vont être induites suite à des divisions anarchiques et non contrôlées de cellules du soi. Du fait de l’origine endogène des tumeurs, générer une immunité anti-tumorale efficace est un processus délicat car

cela pourrait conduire à la mise en place d’une réponse auto-immune. Heureusement, les antigènes tumoraux ne sont pas tous des antigènes du soi mais possèdent des caractéristiques propres (antigènes EBV dans certains lymphomes, des formes mutées de p53 dans certains carcinomes épithéliaux, etc), le terme de « soi modifié » est alors employé afin de les désigner.

Malgré les efforts du système immunitaire à mettre en place une réponse immunitaire anti-tumorale, la régression spontanée d’une tumeur établie est un évènement très rare. En effet, les tumeurs ont développé de nombreux mécanismes d’évasion au système immunitaire notamment en générant un microenvironnement suppresseur grâce à la production de cytokines aux propriétés immunosuppressives : l’IL-10 (372, 373) et le TGF-β (200, 374). Les tumeurs sont également capables de sécréter des facteurs de croissance endothéliaux comme le VEGF (Vascular

endothelial growth factor) qui permet d’induire des processus de néoangiogenèse

favorisant ainsi la croissance tumorale. D’autre part, le VEGF sécrété localement par les cellules tumorales inhibe la maturation des cellules dendritiques affectant ainsi l’activation des lymphocytes T (375). Toutefois, des travaux récents semblent montrer qu’un obstacle majeur à l’immunosurveillance anti-tumorale et à la mise en place de stratégies d’immunothérapies anti-tumorale efficaces est du à l’immunosuppression réalisée par les Tregs (376).

De nombreux travaux ont à ce jour démontré in vivo dans des modèles murins le rôle délétère des Tregs dans l’immunité anti-tumorale (376). L’élimination sélective des Tregs par l’injection d’anticorps déplétants anti-CD25, anti-FR4 favorise une diminution de la croissance tumorale et le rejet de la tumeur (277, 376). Les Tregs infiltrent massivement les tumeurs solides et leur nombre est considérablement augmenté au niveau des ganglions lymphatiques drainant ces sites tumoraux. L’expansion périphérique du pool de Tregs se fait indépendamment du thymus au niveau des organes lymphoïdes secondaires et ne requiert pas de prolifération cellulaire. Il s’agirait majoritairement d’une conversion de lymphocytes T CD4+ CD25- Foxp3- en Tregs CD4+ CD25- Foxp3+ induite de manière active par la tumeur (377). Toujours chez la souris, en 2007, Liu et al. ont montré que c’était le TGF-β produit par les cellules tumorales qui induisait cette conversion de lymphocytes T CD4+ CD25- Foxp3- effecteurs en Tregs CD4+ CD25+ Foxp3+. Ils ont de plus montré que le traitement des souris avec un anticorps bloquant anti-TGF-β permettait d’inhiber ce processus de conversion et d’induire une immunité anti-tumorale efficace (374). En plus de la fonction jouée par le TGF-β dans l’induction de Tregs, le groupe de Zitvogel a montré que lors d’une réponse immunitaire anti-tumorale (après transferts adoptifs des différents types cellulaires dans une souris nude), le TGF-β produit par les Tregs et fixé à leur surface permettait d’inhiber les fonctions effectrices et cytotoxiques des NK sur la lyse des cellules tumorales (325).

Parallèlement, le groupe de Von Boehmer a montré dans un modèle tumoral murin que les Tregs inhibent in vivo la cytotoxicité des CTLs via la production de TGF-β. En effet, le transfert de CTLs exprimant un dnTGF-βRII et donc étant insensibles à la signalisation induite par le TGF-β résiste à la suppression réalisée par les Tregs. Le rétablissement de la cytotoxicité est associé dans ce modèle à un rejet de la tumeur (351).

Supportant ces travaux réalisés avec des modèles tumoraux murins, l’impact des Tregs sur l’immunité anti-tumorale chez des patients atteints de cancer est maintenant bien documenté (373, 376). En 2001, Woo et al. ont observé pour la première fois que des patients atteints de cancers des poumons et de cancers ovariens présentaient un nombre supérieur de Tregs par rapport à celui observé chez des individus sains (378). Depuis, de nombreux types de cancers où la fréquence des Tregs dans le sang périphérique est supérieure à celle observée chez un donneur sain ont été référencés : cancer du sein, cancer pancréatique, leucémies. Cette liste continue de s’agrandir au fil des différentes investigations cliniques qui semblent toutes indiquer que ces Tregs possédant des propriétés suppressives in vitro sont un obstacle majeur à une réponse immunitaire anti- tumorale efficace chez ces patients (376).

Arriver à mieux comprendre les mécanismes d’actions employés par les Tregs dans l’inhibition des réponses immunitaires anti-tumorales apparaît donc comme un enjeu crucial dans la mise en place de stratégies thérapeutiques anticancéreuses (373). L’IL-2 est une cytokine assurant la prolifération des lymphocytes T, elle est utilisée en thérapeutique humaine notamment chez des patients atteints de tumeurs rénales ou de mélanomes afin de favoriser les réponses immunitaires anti-tumorales. La dose d’IL-2 administrée est un paramètre très important à prendre en compte. A hautes doses, l’IL-2 va favoriser l’expansion des Tregs chez ces patients et de ce fait la progression de la tumeur (379). L’expression constitutive et forte de CD25 à la surface des Tregs par rapport aux lymphocytes T conventionnels va leur donner un avantage prolifératif. L’établissement de stratégies thérapeutiques visant à inhiber de manière sélective les Tregs spécifiques d’antigènes tumoraux permettrait donc d’induire une réponse immunitaire contre les tumeurs efficace sans pour autant risquer le développement de pathologies auto-immunes dues à une rupture de tolérance (373).

4. Tolérance fœto-maternelle

La grossesse pourrait sur un plan immunologique se décrire comme une greffe semi-allogénique naturelle. En effet, durant la phase de gestation du fœtus, le système immunitaire maternel doit s’adapter et relever un challenge important pour pouvoir tolérer la présence de non-soi dans l’organisme, ce non-soi correspondant aux alloantigènes paternels (380). Les agressions du système immunitaire maternel dirigées contre le fœtus sont inhibées par différents mécanismes visant à neutraliser localement les cellules immunitaires réactives contre les alloantigènes du fœtus. Tout d’abord, il y a établissement d’une barrière physique : la barrière placentaire constituant une interface sélective entre la mère et le fœtus. Au niveau de cette interface, il y a expression de la molécule de CMH de classe I non classique HLA-G qui inhibe l’activation des cellules NK et induit l’apoptose des CTLs (381). De plus, les cellules trophoblastiques expriment la molécule FasL ce qui leur confère le potentiel d’induire l’apoptose des lymphocytes T allospécifiques maternels (382). Malgré leur efficacité, tous ces mécanismes ont toutefois une action restreinte à un

niveau local. Leur seule présence n’explique donc pas la capacité à assurer de manière prolongée une tolérance systémique aux alloantigènes paternels.

En 2004, Aluvihare et al. ont montré, dans un modèle murin, que durant la période de gestation, il y avait de manière alloantigène indépendante une expansion systémique du pool périphérique de Tregs maternels. Leur fonction, en plus de supprimer les réponses auto-immunes, consiste à inhiber les réponses allogéniques dirigées contre le fœtus. Leur absence conduit à un avortement chez la souris, avortement correspondant à un rejet immunologique du fœtus (383). Une autre équipe a montré parallèlement chez la souris que lors de l’administration d’un traitement à base d’E2 (17-beta œstradiol) ou bien durant la période physiologique de gestation (période au cours de laquelle le niveau systémique des œstrogènes est élevé), il y a augmentation du niveau d’expression de Foxp3 et expansion du pool périphérique de Tregs. Ces données expliquent donc l’augmentation du nombre de Tregs circulants durant la grossesse et de plus, permettent de mieux comprendre le rôle protecteur de l’E2 sur le développement de pathologies auto-immunes (384).

Enfin, des travaux plus anciens ont montré que le traitement de souris gestantes avec un inhibiteur pharmacologique d’IDO conduit à un avortement dû à un rejet immunologique du fœtus (385). A l’époque, l’action d’IDO n’a pas été reliée à l’activité régulatrice des Tregs, mais il est envisageable que la fonction protectrice des Tregs durant la grossesse soit due au moins en partie à l’induction d’IDO par les Tregs au niveau des cellules trophoblastiques et des CPAs.