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C. LIMITES IMMUNOLOGIQUES

3. LES MECANISMES DE REJET

Trois formes de rejet ont été initialement décrites. Elles se caractérisent par leur cinétique plus ou moins précoce après la greffe, par les mécanismes moléculaires et cellulaires mis en jeu et par les types de lésions constituées au niveau du greffon.

Le rejet hyperaigu

Le rejet hyperaigu survient dans les heures qui suivent la reperfusion de l’organe. Il est l’exemple le plus classique et le plus spectaculaire d’un rejet dépendant des anticorps. Macroscopiquement, l’organe présente des signes évidents de thrombose vasculaire, d’hémorragies et une infiltration légère de cellules mononucléées.

Il est la conséquence de la présence d’alloanticorps préformés dans le sang du patient suite à une transfusion, une greffe ou une grossesse. Ces anticorps sont majoritairement dirigés contre les antigènes ABO ou les molécules du CMH présents à la surface des cellules endothéliales du greffon. Leur fixation va entrainer l’activation intense de la cascade du complément qui aboutit à la destruction des cellules cibles par le complexe d’attaque membranaire ainsi qu’à la libération de médiateurs inflammatoires comme l’IL-8, MCP-1 ou le facteur de Von Willebrand (57). Les cellules de l’endothélium vont alors se rétracter, ce qui va augmenter la perméabilité des vaisseaux et provoquer des hémorragies, et perdre l’expression de molécules anticoagulantes ce qui conduira à une thrombose, à l’ischémie et à la mort rapide de l’organe (58).

De nos jours, la recherche systématique d’alloanticorps présents chez le receveur fait de ce type de rejet un évènement rare en transplantation clinique. Cependant, le rejet hyperaigu constitue encore à l’heure actuelle une barrière majeure en xénotransplantation (59).

Le Rejet Aigu

Le rejet aigu se développe chez l’homme durant le premier trimestre suivant la transplantation. Jusqu’à la découverte des traitements immunosuppresseurs, il était la principale cause du rejet de greffe. L’analyse histologique révèle une infiltration interstitielle diffuse et massive composée de lymphocytes T, de macrophages et de granulocytes (60). L’organisation anatomique de l’organe est perdue. Les tissus nobles détruits sont progressivement remplacés par des tissus « de remplissage ».

Les mécanismes impliqués dans la destruction rapide de l’organe sont nombreux et font intervenir un grand nombre de cellules immunitaires spécialisées. La réponse humorale semble ainsi jouer un rôle non négligeable dans la mise en place du rejet aigu (61, 62). Les lymphocytes T et les différents mécanismes effecteurs qu’ils activent restent toutefois les principaux acteurs de cette forme de rejet, aujourd’hui maitrisée.

Véritables chef d’orchestre du système immunitaire, les lymphocytes T CD4+ vont coordonner toute la réponse immunitaire contre le greffon. Leur rôle majeur a été souligné par de nombreuses études. Lors d’une greffe allogénique de moelle osseuse, leur élimination de la population cellulaire injectée suffit en effet à inhiber le développement de la maladie du greffon contre l’hôte (63). De même, la déplétion de ces cellules par traitement anticorps, ou par l’utilisation de receveurs CMH II-/-, conduit à l’acceptation à long terme d’une allogreffe cardiaque (64). Cependant, il a également été montré dans un modèle murin d’allogreffe de peau, qu’en leur absence, une réponse efficace peut se développer et conduire à la destruction du greffon (65).

Après leur activation, les lymphocytes T auxiliaires alloréactifs vont préférentiellement se différencier en cellule Th1. Ce biais dans la polarisation de l’alloréponse, lors du rejet aigu, a été rapporté à de nombreuses reprises (66, 67). Toutefois, une minorité de travaux a observé une différenciation plutôt en faveur de Th2. Il est à noter qu’à l’heure actuelle, le rôle des cellules Th17 reste obscur : seule l’IL-17 a été reliée à la transplantation (68). Le déséquilibre Th1/Th2 pourrait être lié au fait que l’avidité d’interaction entre les cellules T CD4+ et les cellules dendritiques allogéniques est élevée, puisque le ligand du TCR est exprimé à une forte densité à la surface des CPAs. Il a en effet été montré que des interactions de moyenne et de forte intensité favorisent la différenciation en Th1 (69). De plus, le type de CPA influence aussi fortement la balance Th1/Th2. Or les cellules dendritiques qui migrent

du greffon ont la capacité de produire de l’IL-12 qui est la cytokine clef de la différenciation des lymphocytes T naïfs en cellules effectrices de type 1.

Une fois activé, les lymphocytes T CD4+ vont notamment fournir aux cellules B l’aide nécessaire pour leur division et pour leur production d’anticorps. Chez la souris, les Th1, via la sécrétion d’IFN-γ vont favoriser la production d’IgG2a, immunoglobulines fixatrices du complément. Après fixation à la surface de la cellule cible, notamment les cellules endothéliales du greffon, les anticorps peuvent entraîner directement la mort de la cible par l’activation de la cascade du complément. Parallèlement, après s’être associées à leurs récepteurs Fcγ présents, entre autres, à la surface des cellules NK, les immunoglobulines peuvent tuer indirectement leur cible via l’ADCC (Antibody Dependant Cellular Cytotoxicity) en activant les mécanismes cytolytiques de la cellule NK.

Les mécanismes cytotoxiques des cellules T

Les lymphocytes T CD4+ vont également favoriser la différenciation des lymphocytes T CD8+ en cellules T cytotoxiques. Ces dernières vont s’accumuler, une fois activées, dans le greffon (66) où elles vont pouvoir exercer leur activité cytotoxique à l’encontre de leurs cellules cibles selon deux voies essentielles : la voie perforine/granzyme de façon prédominante et la voie Fas/FasL.

L’utilisation de souris déficientes pour la perforine a permis de mieux définir l’importance de cette voie dans le rejet aigu. Une étude a pu montrer que des souris receveuses sauvages contrôles et des souris déficientes en perforine rejetaient un cœur allogénique avec des cinétiques identiques. Cependant, le rejet de greffe était retardé de façon significative quand la souris receveuse déficiente en perforine était greffée avec un cœur ayant une disparité isolée au niveau des antigènes de CMH de classe I (70). Cette observation peut être expliquée par le fait que les lymphocytes T CD8 jouent un rôle dominant dans le rejet d’organe possédant une disparité isolée au niveau des molécules de CMH de classe I, situation dans laquelle les lymphocytes T CD4 ne peuvent pas être activés par la voie directe, alors que d’autres mécanismes effecteurs sont mis en place dans des combinaisons d’histocompatibilité classe I et classe II (71).

En effet, les lymphocytes T CD4 de type Th1 possèdent aussi une activité cytotoxique et utilisent préférentiellement pour ce faire la voie Fas/FasL. Le rôle de cette voie dans le rejet aigu a été observé dans des modèles où le rejet de greffe solide est uniquement dépendant de l’activation des lymphocytes T CD4. Ceci s’explique par le fait que, dans des combinaisons complètement allogéniques où les cellules T CD4 et CD8 seront activées, l’absence de la voie Fas/FasL attribuable en majorité aux cellules CD4, sera compensée par les mécanismes de lyse perforine/granzymes dépendant des lymphocytes T CD8.

Tout d’abord, il a été montré que dans des modèles de greffe de peau H-2bm12 sur des receveuses H-2b, situation dans laquelle le donneur possède une disparité isolée au niveau des molécules CMH II, le greffon de peau est rejeté par deux mécanismes distincts, le premier impliquant les éosinophiles et le second mettant en jeu des mécanismes dépendant d’interactions Fas/FasL. Chez la souris receveuse déficiente en IL-5, cytokine cruciale au développement et à l’activation des éosinophiles, il est en effet nécessaire et suffisant de neutraliser ces interactions Fas/FasL, en greffant par exemple une peau provenant d’un animal Fas-/- pour que le greffon soit durablement accepté (72).

Réaction d’hypersensibilité retardée

La réaction d’hypersensibilité retardée (Delayed-type hypersensibility ou DTH) ont été associées, dans des modèles d’allogreffes de peau ou de cœur chez les rongeurs, aux épisodes de rejet aigu (73-75). Elle est généralement caractérisée par un œdème consécutif à l’augmentation de la perméabilité vasculaire ainsi qu’à l’infiltration massive du tissu par des cellules T, des macrophages et des neutrophiles (71). Elle est due au recrutement de lymphocytes Th1 et de CTLs au sein du greffon qui, après activation, sécrètent des cytokines telles que l’IFN-γ et le TNF-α qui vont participer à l’activation de macrophages. Ceux-ci vont dès lors libérer des molécules toxiques telles que le TNF-α, des radicaux libres et le monoxyde d’azote. Le monoxyde d’azote est toxique à haute concentration, il est aussi responsable de la vasodilatation et des œdèmes caractéristiques des DTH). Le TNFα en s’associant à son récepteur induit l’apoptose de la cellule cible par l’activation de la voie des caspases.

De plus, la production par les lymphocytes T d’IFN-γ, de RANTES et de MCP- 1 (« Monocyte Chemotactic Protein-1 ») va avoir un effet sur les cellules endothéliales et favoriser la migration de nouvelles cellules infiltrantes qui entretiendront la DTH. Les neutrophiles, notamment, produiront une enzyme, la myéloperoxidase, qui va être à l’origine de la synthèse de métabolites toxiques comme des radicaux libres et du peroxyde d’hydrogène (71).

Rejet Chronique

Dès lors qu’une immunosuppression est mise en œuvre, que ce soit au niveau des systèmes expérimentaux visant à étudier les mécanismes de rejet ou en clinique humaine, le rejet aigu est plus ou moins muselé avec succès. La découverte des drogues immunosuppressives a de ce point de vue, permit des progrès importants en transplantation. La survie à un an des greffons a ainsi considérablement augmenté. Toutefois, malgré ces avancées, 3 à 5% des patients perdent encore leur transplant chaque année. Ce constat est lié au développement inexorable d’un processus

indolent mais progressif : le rejet chronique. Contrairement au rejet aigu qui est la conséquence d’une réponse immunitaire exacerbée à l’encontre de l’organe étranger transplanté, celui-ci est une maladie dominée par le remodelage pathologique du tissu greffé (76). En effet, le rejet chronique ne conduit pas à la destruction de l’organe mais à l’obstruction progressive de la lumière des vaisseaux sanguins, consécutive à la prolifération des cellules musculaires lisses (77). Cette occlusion entraîne une mauvaise perfusion de l’organe, en altère ses fonctions et conduit à l’ischémie et, à terme, à la mort du greffon. Actuellement, cette artériosclérose de transplantation reste l’obstacle majeur à la survie à long terme d’organes vascularisés (78).

Le développement du rejet chronique est un processus comportant plusieurs étapes clefs qui peuvent être distinguées en fonction des types de cellules infiltrantes, de cytokines et de facteurs de croissance impliqués dans les lésions tissulaires.

Les étapes initiales du rejet chronique sont associées à une réponse inflammatoire, proche d’une DTH et dominée par une infiltration massive de monocytes/macrophages dans l’intima. Dans des modèles de greffe chez le rat, il a pu être montré que ces étapes précoces étaient aussi caractérisées par l’attachement de nombreuses cellules T et la production in situ d’IL-1, d’IFN-γ et de TNF-α. Il a de plus été rapporté que la production de la chimiokine MCP-1 par les macrophages résidents amplifiaient le recrutement de cellules inflammatoires (79).

Dans les phases plus tardives, l’infiltration cellulaire est dominée par les macrophages, le nombre de cellules T diminuant peu à peu. Ces étapes sont caractérisées par la prolifération des cellules musculaires lisses, l’épaississement secondaire de l’intima et l’apparition des premières zones infarctiées. Avec le temps, ces phénomènes s’amplifient et des cytokines de type 2, telles que l’IL-4, l’IL-10 et le TGF-β, cytokine impliquée dans le remodelage et la fibrose tissulaire, apparaissent dans le greffon. Ces cytokines vont conduire au dérèglement de la balance synthèse/dégradation de la matrice extracellulaire et ainsi, à l’apparition d’une fibrose concentrique (80, 81). Parallèlement, les cellules musculaires lisses expriment à des niveaux élevés les récepteurs aux facteurs de croissance Platelet-Derived Growth Factor (PDGF-α, -β) et Epidermial Growth Factor (EGF), critiques pour leur prolifération et leur migration vers l’intima. Ces deux évènements aboutissent à la formation d’un épaississement diffus : la néointima. Dans les situations les plus extrêmes, la lumière vasculaire va complètement se boucher ce qui va conduire à l’ischémie de l’organe, à la fibrose de son parenchyme et à sa mort.

L’étiologie du rejet chronique est multiple. L’hypercholestérolémie, l’hypertension, le tabagisme, l’âge, l’alcoolisme sont, comme pour l’athérosclérose, autant de facteurs aggravants. Les évènements consécutifs à la mort cérébrale, l’ischémie froide et à la reperfusion ont également des effets délétères. Cependant, même si des expériences de greffes secondaires ont permis de montrer qu’une fois

initiée, l’artériosclérose de transplantation peut s’autoentretenir en l’absence d’alloréponse, l’implication du système immunitaire dans cette forme de rejet reste indispensable, du moins pour son initiation. En effet, chez le rat, la greffe d’un cœur allogénique est associée au développement de rejet chronique contrairement à la greffe d’un cœur syngénique ayant subit les mêmes procédures chirurgicales (82).

Les CPAs contenues dans le greffon ne s’autorenouvellant pas, l’activation des cellules T de l’hôte va essentiellement être réalisée par la voie indirecte et semi- directe (80). Une fréquence importante de lymphocytes T spécifique de complexes CMH du soi/peptide allogénique a été identifiée chez des patients développant un rejet chronique suite à une greffe de cœur, de rein (49) ou de poumon (83). Ces cellules vont essentiellement se différencier vers un phénotype Th2. Différentes hypothèses ont permis d’expliquer ce « shift » de la réponse immune constaté dans la plupart des modèles expérimentaux et en clinique humaine (77). Ainsi, l’action inhibitrice des traitements immunosuppresseurs sur l’état inflammatoire contribue à la diminution de l’intensité de la réponse Th1. De plus, l’activation des cellules T par la voie d’alloreconnaissance indirecte implique des interactions de plus faibles avidités, favorisant ainsi une différentiation Th2. De même, le changement dans la nature des CPAs impliquées dans l’activation du répertoire T et dans la composition cytokinique du milieu pourrait aussi y participer.

Cette déviation de la réponse immune pourrait ainsi, en grande partie, être responsable du développement du rejet chronique vasculaire. Les cytokines de type 2, qui sont retrouvées en quantité importante dans les lésions d’artériosclérose, jouent en effet un rôle majeur dans la sécrétion d’alloanticorps, capables en l’absence de cellules T d’induire des lésions importantes, dans le contrôle de la balance synthèse/dégradation de matrice extracellulaire et dans la prolifération et la migration des cellules musculaires lisses dans l’intima. Elles participent également, via l’IL-4 et l’IL-5, au recrutement et à l’activation des éosinophiles qui, en sécrétant du TGF-β et des protéines cationiques telles la MBP (Major Basic Protein), favoriserait le développement de la fibrose (84).