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Théories de la socialisation : un processus d’inculcation ou d’intégration

1. LA SOCIALISATION

1.1. Théories de la socialisation : un processus d’inculcation ou d’intégration

Une tentative de caractérisation du concept nous amène donc à une conceptualisation théorique. Plusieurs auteurs que nous documenterons ont en effet expliqué ce concept comme processus d’inculcation6 ou d’intégration de valeurs et normes d’une société.

1.1.1. La socialisation comme processus d‘inculcation

La socialisation est d’abord conçue comme processus d’inculcation, processus d’intériorisation de normes et de valeurs transmises par l’environnement, produisant un habitus7

6 Par inculcation, en consultant le Petit Robert (Rey-Debove et Rey, 2013, n. p.), nous comprenons l’action de « faire entrer (qqch) dans l’esprit d’une façon durable, profonde ». Après une consultation d’écrits, nous pouvons associer une socialisation-inculcation à un phénomène de transmission de valeurs, rejoignant ainsi la conception de Durkheim (1922) de l’éducation.

et contribuant à la reproduction d’une manière de fonctionner de la société (Bourdieu, 1980). Pour Durkheim, socialisation et éducation sont reliées par l’apprentissage de normes et règles8, forgeant à la fois des individus autonomes et sociaux: « l’éducation consiste en une socialisation méthodique de la jeune génération » (1922, p. 102). L‘autonomie individuelle n’est possible qu’à partir d’une cohésion dans un groupe, une transmission de valeurs anciennes, par l’éducation et la fonction de l’école. Ainsi, les normes et valeurs seraient transmises par une forme d’inculcation (Dubar, 2000).

L’éducation jouerait chez Durkheim davantage le rôle d’unificateur, favorisant la cohésion vers une société idéale, unique, en éduquant aux valeurs adéquates. Pourtant, suite au contexte d’immigration actuel, une telle vision d’une société homogène nous semble particulièrement délicate, s’accompagnant de véritables déchirements affectifs et crises identitaires et définissant la problématique établie préalablement. Lenoir (2009 ; 2010), se penchant sur le vocabulaire de Van Haecht (2005), parle d’une vision minimaliste qui semble s’imposer à l’école primaire du Québec. Une telle pratique d’inculcation pourrait amener selon l’auteur une éducation thérapeutique, axée sur l’individu en tant que malade, voir déficitaire et qui doit être médicalisé (Lenoir et Froelich, 2012).

La socialisation demeurerait donc un processus de reproduction et de transformation de la société, d’introduction et de prolongement de règles de la société, du fonctionnement de celle-ci, voire des rôles et tâches auxquels les individus doivent faire face (Gayet, 1998).

Afin de retenir une définition de la socialisation, nous ne voudrions pourtant pas nous arrêter en optant pour une posture durkheimienne. Celle-ci paraît bien contestable : elle a

7 Ainsi, selon Bourdieu (1980, p. 88), « les conditionnements associés à une classe particulière de

conditions d'existence produisent des ‘‘habitus’’, systèmes de ‘‘dispositions’’ durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre, objectivement ‘‘réglées’’ et ‘‘régulières’’ sans être en rien le produit de l'obéissance à des règles, et, étant tout cela, collectivement orchestrées sans être le produit de l'action organisatrice d'un chef d'orchestre ». Ainsi, différentes conduites peuvent orienter vers des fins sans que la personne qui dirige ou qui est dirigée s’en rende nécessairement compte (Ibid.).

8 Pour une distinction entre valeurs, normes et règles, voir la note de bas de page 4 de la partie 2.1. de la problématique.

notamment été critiquée par son caractère d’une « uniformation dépersonnalisante » (Tap, 1991, p. 50). La problématique a introduit la nécessité de l’éducation d’approcher un respect de la différence et de l’individu.

Les psychologues de l’éducation […] considèrent en effet que la socialisation n’est véritablement réussie que dans la mesure où elle s’accompagne d’un épanouissement de la personnalité, d’un accomplissement de la personne. (Malewska-Peyre et Tap, 1991, p. 9)

Le concept de construction identitaire, indissociable au processus de socialisation, permettra de mieux illustrer cette nécessité. Passons maintenant à une conceptualisation de la socialisation en tant que processus d’intégration.

1.1.2. La socialisation comme processus d‘intégration

Dans le contexte d’une socialisation perçue comme processus d’intégration ou d’autoconstruction, il faudrait nécessairement référer à la théorie piagétienne, amenant un débat constructif de l’approche durkheimienne. Pour Piaget, la socialisation se caractérise de même comme éducation morale, mais encore, construite activement et interactivement suite à la substitution de « règles de coopération aux règles de contrainte » (Piaget, 1932, p. 419). Selon l’auteur, il serait crucial de reconnaître les règles et lois responsables d’une socialisation comme produit de la volonté, issu d’une socialisation basée sur un rapport de coopération et non comme un rapport de contrainte chez Durkheim. Ainsi la socialisation devient-elle un processus discontinu de construction individuelle et collective de conduites sociales, incluant les trois aspects de règles (aspect cognitif), de valeurs (aspect affectif) et de signes (aspect expressif) (Ibid.). L’individu prend ici une part active dans son adaptation à des formes mentales et sociales, passant d’une contrainte exercée par l’adulte à une coopération avec autrui.

Qu’il s’agisse d’une socialisation-transmission ou d’une socialisation-autoconstruction, ces conceptions mettent l’accent sur une formation des individus, en admettant ou non une part active de l’individu à ce processus :

qu’il s’agisse de son groupe d’origine au sein duquel s’est déroulée sa petite enfance et auquel il appartient objectivement ou d’un groupe extérieur dans lequel il veut

s’intégrer et auquel il se réfère subjectivement, l’individu se socialise en intériorisant des valeurs, des normes, des dispositions qui en font un être socialement identifiable. (Dubar, 2000, p. 84)

La socialisation semble encore bien plus qu’une simple inculcation et intégration de normes. Elle est liée à des processus de construction identitaire, il s’agit encore d’une gestion d’appartenances multiples (Abdallah-Pretceille, 1997) et d’une construction sociale de la réalité (Berger et Luckmann, 1996). Cette reconnaissance du rôle actif du jeune dans sa socialisation semble néanmoins à l’origine de bien d’autres théories élargissant davantage le concept, comme montrera la prochaine partie. On parle encore d’un processus de « personnalisation » qui se développe synchroniquement avec la socialisation (Tap, 1991). Si bien d’autres auteurs ont fait remarquer le rôle actif du sujet dans son processus de socialisation, aucun d’entre eux n’oublie néanmoins de considérer l’importance d’un minimum de soumission aux normes imposées. Ainsi, si une conception durkheimienne semble sur bien des aspects s’opposer aux postures piagétiennes, nous avons néanmoins fait le choix de préciser ces deux courants comme se rapprochant d’une pratique d’inculcation ou d’intégration de normes et de valeurs dominantes préétablies. Ainsi ne faudrait-il pas nier l’importance des conditions économiques, sociales et culturelles sur l’influence de l’activité ou la passivité respective du jeune dans un processus de socialisation (Malewska-Peyre et Tap, 1991, p. 11). Une définition de la socialisation dépend bien des conceptions et du recours à la pratique par l’enseignant en classe.