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Le recours à l’identité individuelle et la catégorisation

2. L’IDENTITÉ

2.2. L’identité individuelle : entre le personnel et le social

2.2.4. Le recours à l’identité individuelle et la catégorisation

Nous avons montré que l’identité est un processus dynamique, passant par la socialisation et se construisant par l’interaction entre l’individu et son environnement. L’importance de l’environnement ayant été soulevée, sa conséquence pour l’intégration, le bien-être et le passage à différentes stratégies identitaires paraît donc déterminante. Nous nous intéressons par la suite à cette interaction d’un environnement (dans notre cas : l’enseignant d’une classe d’accueil) avec l’identité individuelle d’un acteur (dans notre cas : un élève immigrant). Pour ce faire, nous établissons le phénomène de la catégorisation. Depuis la psychologie sociale de Tajfel (1982),

les individus ordonnent l’environnement physique et social en catégories selon le degré de similitude des éléments […]. Ce processus est un mécanisme mental à travers lequel les éléments singuliers de notre environnement sont classés dans des catégories plus générales. (Storari et Gilles, 2008, p. 1)

Ce phénomène a encore été analysé en sociologie, notamment dans les travaux de Harvey Sacks (1995), montrant que les acteurs font recours à une catégorisation à travers la construction de leur environnement social. Partant des travaux de Sacks (Ibid.), Antaki et Widdicombe (1998, p. 3) admettent cinq caractéristiques pour analyser un recours à l’identité en contexte d’un dialogue où deux ou plusieurs personnes entrent en conversation12 :

-For a person to ‘‘have identity’’ – whether he or she is the person speaking, being spoken to, or being spoken about – is to be cast into a ‘‘category’’ with associated characteristics or features;

-Such casting is indexical and occasioned;

-it makes relevant the identity to the interactional business going on;

-the force of ‘‘having an identity’’ is in its consequentiality in the interaction; and -all this is visible in people’s exploitation of the structures of conversation.

Selon ces auteurs, les identités se construisent et négocient en effet depuis les interactions, comme notamment par la conversation et les interventions qui l’entourent.

L’appareil de conversation maintient continuellement la réalité et simultanément, il la modifie continuellement. Des éléments sont abandonnés et ajoutés, affaiblissant certains secteurs de la réalité toujours considérée comme allant de soi et en renforçant d’autres. Ainsi, la réalité subjective de ce dont on ne parle jamais devient chancelante. (Berger et Luckmann, 1996, p. 256)

Retenons pour l’instant que la catégorisation de l’identité est une fonction pour faire sens d’un monde, utilisée pour construire la réalité (Ibid.). Dans notre contexte, l’enseignant qui intervient en classe en mettant différentes pratiques de socialisation de l’avant à travers différentes formes, différentes activités et actions, pourrait recourir à de telles catégories qui proposent différents rôles et identités aux élèves. Ces catégories, se dégageant de l’interaction ou de formes d’organisation scolaire, ordonnent ainsi des rôles à l’individu. Ils peuvent notamment faire recours à l’identité sociale :

In schools, categories of people often matter more than individual personalities. [...] Through these repeated processes of grouping, schools give students experience in

12 Ces propos ont été développés par les chercheurs en ethnométhodologie, plus particulièrement ceux utilisant l’analyse de conversation dans leurs recherches. Il faut noter que l’ethnométhodologie se définit comme un courant de la sociologie. D’autres explications suivront dans le chapitre présentant la méthodologie.

making social comparisons in categorical rather than particular terms. Pupils learn to distinguish between persons and the social positions they occupy. This orientation is important in bureaucratically organized societies, where people are constantly being asked to view themselves as members of particular categories. (Brint, 2006, p.

163)

Il en est de même pour les élèves qui, dépendamment du type d’intervention, de la perspective de socialisation adoptée, peuvent réagir de différentes façons aux catégories d’identités et potentiellement coconstruire une réalité de leur environnement depuis un positionnement quant à un objet, une norme, une valeur, un rôle, faisant alors recours à son identité personnelle. Afin de mieux illustrer le recours à l’identité individuelle par des catégorisations, le tableau 1 se veut une description des possibles traits attribués (Deschamps et Devos, 19999 ; Honneth, 2010; Kastersztein, 1981 ; Tap, 2005)13 à l’identité sociale, objective ou à l’identité personnelle, subjective.

Tableau 1

Description des catégories faisant recours à l'identité individuelle

Catégories faisant recours à l’identité sociale

Catégories faisant recours à l’identité sociale et

personnelle

Catégories faisant recours à l’identité personnelle

Référence du sujet à un groupe ou à une catégorie sociale :

-L’appartenance du sujet à un groupe est soulevée. La référence du groupe peut être valorisante ou dévalorisante.

Référence à des traits biographiques ou à des caractéristiques distinguant le sujet des autres, tout en reconnaissant sa référence au groupe :

-L’appartenance créatrice ou la contribution du sujet à un groupe est reconnue comme source d’enrichissement ou d’appauvrissement.

Référence à des traits biographiques ou à des caractéristiques distinguant le sujet des autres, faisant allure à son individualité interne. -L’individualité du sujet est soulevée, le sujet pouvant se positionner par rapport à son individualité: cette individualité peut être valorisée ou dévalorisée.

13 Ces traits ont notamment été construits en s’inspirant du travail du philosophe Honneth (2010) et de Ricoeur (2004) sur la reconnaissance. Le concept de reconnaissance demeurant un concept relativement nouveau, peu exploité et opérationnalisable, nous avons fait le choix de ne pas l’inclure en tant que concept principal de référence.

Les recours identitaires observables se dégagent ainsi des actions interactionnelles en classe, que ce soit d’une manière explicite ou par une attribution implicite de traits recourant à l’identité personnelle et/ou sociale, qu’elles soient conversationnelles ou se dégageant par d’autres pratiques de socialisation, explicites ou implicites.

La réalité subjective est donc toujours dépendante de structures spécifiques de plausibilité, c’est-à-dire, de la base sociale spécifique et des processus sociaux que sa maintenance requiert. On ne peut maintenir sa propre identification comme un homme important que dans un milieu qui confirme cette identité; on ne peut conserver sa foi catholique qui si l’on maintient des relations significatives avec la communauté catholique, etc. La rupture de conversation significative avec les médiateurs des structures respectives de plausibilité menace les réalités subjectives en question. (Berger et Luckmann, 1996, p. 259)

Passons maintenant à une synthèse du construit, situant la place de l’identité pour notre recherche.

2.3. Synthèse : De la socialisation et de la construction identitaire vers l’intervention