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Conflits d’appartenance à l’école et discrimination par les camarades de classe

2. LE CONTEXTE SOCIOSCOLAIRE

2.2. Description des difficultés rencontrées à l’école

2.2.1. Conflits d’appartenance à l’école et discrimination par les camarades de classe

Il existe en effet un grand nombre de recherches indiquant des effets discriminatoires auxquels doivent faire face les jeunes immigrés (Steinbach et Grenier, 2013; Steinbach et Lussier, 2013; Xavier de Brito et Vasquez, 1998; Zine, 2001). Pour ce qui est du terrain scientifique au Québec, la recherche qualitative de Lafortune et Kanouté (2007) compare le vécu scolaire et identitaire d’adolescents montréalais d’origine haïtienne de première et de deuxième génération. Suite à dix entretiens semi-dirigés, aucune différence majeure entre la première et la deuxième génération n’a été soulevée. Ceci est expliqué en partie par l’image négative de la communauté haïtienne à Montréal. Les auteures concluent à un besoin de reconnaissance et de respect de ces jeunes, enfermés dans une image collective stigmatisée. Ils peuvent donc conclure qu’ « il y a lieu que l’école est un milieu de vie qui doit promouvoir et pratiquer l’équité et le ‘‘vivre ensemble’’ […] en surveillant le phénomène de clarification pour éviter qu’il ne dérive en repli identitaire » (Ibid., p. 66).

La recherche de Steinbach (2010a), se penchant sur les perceptions d’adolescents québécois à l’aide d’entrevues de groupe, décrit le discours assimilatoire de ces jeunes. Une ségrégation administrative entre les élèves nouvellement arrivés et les élèves québécois de souche semble empêcher le développement d’un meilleur contact interculturel et une ouverture des élèves à la diversité. Le besoin d’un vivre ensemble pour atteindre une meilleure cohésion sociale semble à nouveau mis en lumière par cette étude.

En s’intéressant au vécu de jeunes adolescents immigrants, Steinbach (2010b) tente de mieux connaître les expériences du processus d’intégration dans une école secondaire québécoise à faible densité d’élèves immigrants. Des entrevues ont été menées avec quinze participants. Ces expériences donnent notamment un aperçu d’une isolation, d’une inauthenticité de l’apprentissage du français en classes d’accueil ‘fermées’. Ils confirment la perception d’une ségrégation entre élèves d’origine étrangère et ceux de la société d’accueil. Toutefois, depuis un tel angle d’entrée, le rôle de l’enseignant dans sa pratique effective et par rapport à une intervention prévenant aux difficultés des élèves immigrants n’y est peu documenté.

On constate d’autant plus que la majorité des recherches trouvées se penche sur l’analyse d’une population adolescente. Rares sont ici les recherches qui ciblent le vécu des enfants du primaire. Parmi celles-ci, la recherche quantitative de Kanouté (2002) semble montrer que les élèves immigrants du primaire ne se sentent pas nécessairement exclus par rapport aux autres et ne ressentent pas des effets discriminatoires dirigés envers eux. On peut ainsi se questionner si ces différences entre les perceptions des élèves du secondaire et du primaire étaient influencées par le protocole de recherche ou bien par des caractéristiques liées à l’âge des participants et au type de prise en charge par l’institution scolaire. Selon Xavier de Brito et Vasquez (1998), des actes de violence se passent plutôt au niveau du secondaire. En même temps, les besoins de cohésion et de respect de la différence ont été exploités à travers différentes recherches et textes ministériels présentés auparavant, tant sur le terrain québécois qu’international, aussi bien pour l’école primaire que pour le secondaire. Toutefois, ces besoins de cohésion et de respect de la diversité demeurent souvent des recommandations pour une pratique pédagogique. Selon Lafortune et Kanouté (2007), il s’agit d’amener à la fois une cohésion sociale et un vivre ensemble ouvert à la différence en surpassant les discriminations et en proclamant le respect. La recherche mixte de Dion-Lafrance (2011) indique encore une influence du climat institutionnel, des actions institutionnelles, sur les interactions interculturelles en milieu universitaire.

Ce sont justement les actions amenant à une cohésion et un respect de la différence qui mériteraient d’être davantage examinées. Parlant du vécu en classe au primaire, il semble que de

telles actions passent souvent inaperçues à travers un quotidien de socialisation (Vasquez, 1992 ; Vasquez-Bronfman et Martinez, 1996).

Peu de recherches ont analysé jusqu’à présent de façon plus précise comment une socialisation opère directement en classe. Comment l’école en tant qu’agent socialisateur, s’occupe-t-elle donc à favoriser l’instauration de telles normes et valeurs, liées au besoin d’appartenance et, en même temps, au besoin de reconnaissance de la différence ? Avant d’arriver aux acquis scientifiques de ce phénomène, il s’agit de passer obligatoirement par un deuxième type de recherches, intéressées à la description des effets potentiels de la double socialisation sur le vécu scolaire et les possibilités de s’y affronter.

2.2.2. Difficultés, double socialisation à l’école et la possibilité d’intervenir

Outre les difficultés rencontrées auprès des camarades de classe, plusieurs recherches décrivent des difficultés des élèves immigrants à s’adapter aux nouvelles normes et valeurs scolaires. Pour décrire de tels phénomènes d’inadaptation, de transculturation ou encore de double socialisation, l’interaction entre les différents agents de socialisation des jeunes immigrants avec leurs effets a été assez bien documentée, se penchant encore sur les répercussions sur le parcours scolaire des jeunes et l’estime de soi.

Dans une recherche ethnographique, Xavier de Brito et Vasquez (1998) ont étudié l’interaction entre les univers de socialisation de jeunes adolescents de deux collèges à Paris, avec l’objectif de comprendre comment les normes, les valeurs et les représentations développées se répercutent. On constate un double mouvement de rejet et de rapprochement entre les univers de socialisation famille – école. Une cohérence entre les instances familiales et l’école peut, selon ces résultats, encore avoir des conséquences positives sur les résultats scolaires des jeunes, sans cependant laisser inaperçue l’influence que peut porter la socialisation par les pairs et le quartier.

La recherche qualitative par entrevues individuelles de Verhoeven (2005), à propos des trajectoires scolaires et biographiques d’élèves belges et anglais du secondaire, confirme partiellement un modèle classique, opposant d’une part assimilation culturelle et réussite

scolaire, et d’autre part, des parcours scolaires difficiles et une non-assimilation ou « ethnicisation ». Allant plus loin, des postures identitaires complexes des jeunes immigrés du secondaire belge sont décrites, montrant

la possibilité de développer des stratégies identitaires ‘‘gagnantes’’ dans la sphère scolaire sans perdre le soutien familial […] en appelant aux capacités des sujets à développer des compétences réflexives. (Ibid., p.112-113)

Le rôle de l’école est à nouveau soulevé. Elle peut, selon l’intervention scolaire, amener à un bien-être et une autonomie, contrairement à des difficultés de double socialisation.

La recherche de Qribi, Courtinat et Prêteur (2011) nous semble en effet confirmer davantage les difficultés des élèves par rapport à des conflits d’appartenance et de double socialisation. Elle rajoute du poids par rapport à la responsabilité d’action de l’école, qui, selon ses façons d’agir, influence tendanciellement le bien-être de l’élève. Les chercheurs y ont analysé les différentes orientations identitaires manifestées par des jeunes de 18 à 25 ans issus de l’immigration maghrébine en France. Cette recherche quantitative, dont les données provenant d’un questionnaire (N=120) ont été soumises à des analyses multivariées, amène à une distinction de plusieurs profils d’élèves suite à des formes d’expériences socioéducatives, familiales et scolaires et des modalités d’orientation identitaire différenciées (Ibid.). En effet, cette distinction de quatre profils conduit à proposer un lien entre l’expérience à l’école, les expériences socioéducatives et la famille et l’estime de soi du jeune. Une expérience scolaire difficile et un relâchement des traditions familiales amèneront plutôt à une estime plus ou moins positive. Une expérience scolaire éprouvante, avec une éducation familiale rigide, apparaît significativement plus souvent avec une estime plutôt faible. Pour ce qui est de ce dernier profil, il semble s’agir d’une souffrance face à une « double condition familiale » (Ibid., p. 698). Selon les auteurs, ces premiers profils se font marquer par une assimilation, respectivement une différenciation « conformante ». Le troisième profil se caractérise par une éducation familiale traditionnelle et rigide et une expérience scolaire positive, en combinaison avec une estime positive. Il s’agirait ici d’une différenciation « individuante », majoritairement de jeunes hommes, attachés à leur culture et religion d’origine et qui éprouvent un intérêt pour la politique, souhaitant défendre les intérêts musulmans. Ce groupe reflète en effet une dynamique de

personnalisation, tout comme le dernier profil. Comme « assimilation individuante » (Ibid.) se définirait ici un groupe avec une forte estime de soi, majoritairement des filles à la fois pratiquantes de la religion et modernes, avec une structuration familiale souple et une expérience scolaire très positive.

Ces données amènent par la suite à plusieurs constats. Les différentes recherches, certes menées dans des contextes différents, ont étayé l’hypothèse de l’impact de l’interstructuration de l’éducation familiale et de l’expérience scolaire sur les orientations identitaires de ces jeunes immigrants. D’autant plus, s’agit-il d’un « message aux éducateurs sur l’importance d’une expérience scolaire positive au sein de groupes immigrants » (Ibid.., p. 698). Encore,

inattendue, l’alliance entre traditionalisme, rigidité environnementale et expérience scolaire positive est un fait qui mérite explication. L’enracinement culturel paraît ici compatible avec l’investissement de la société d’accueil et de l’institution scolaire perçue comme outil de promotion sociale. Le jeune […] construit sa propre expérience […] le rapport aux origines ne s’inscrit pas dans une dynamique de contre-acculturation […] les adolescents d’origine maghrébine investissent l’école comme un moyen de reconnaissance sociale. (Ibid., p. 699)

Une expérience scolaire positive, combinée avec une socialisation parentale « traditionnelle » semble donc tout à fait possible. Selon un article Vatz Laaroussi (2007) mettant notamment en lien des résultats de deux recherches préalables sur la transmission culturelle et la réussite scolaire de jeunes immigrés en correspondance avec la famille

ni le pays d’origine, ni le niveau scolaire des parents n’ont à eux seuls une influence déterminante sur les processus de transmission intergénérationnelle et de résilience des jeunes. Par contre, ces éléments orientent parfois les dynamiques en jeu et surtout entraînent des modalités diverses dans les transmissions de l’histoire et de la mémoire familiale ou encore dans l’accompagnement de la réussite scolaire des jeunes. (Ibid., p. 1)

L’effet d’une double socialisation semble pouvoir conduire à dévalorisation implicite de la culture d’origine et de la famille ou encore à une une double marginalisation (Métraux, 2011), à une tension entre valeurs parentales et valeurs scolaires (de la société d’accueil) et à une estime négative dépend largement de l’expérience scolaire. En même temps, une identité ethnique positive peut amener de plus fortes chances de réussite scolaire (Bennett, 2006 ; Hohl et

Normand, 1996; Piquemal et Bolivar, 2009 ; Vatz Laaroussi, 2007; Verhoeven, 2005; Portes, 1999).

Nous pouvons retenir de ces recherches que les élèves nouvellement immigrés risquent de devoir faire face à un conflit de double socialisation, même si un tel constat est à relativiser selon certains (Kanouté, 2002 ; Sabatier, 1999). Un sentiment de devoir choisir entre deux univers distincts semble en être la conséquence et peut influencer l’estime du jeune et sa réussite scolaire. En même temps, ceci n’est pas toujours le cas. Verhoeven (2005) propose le développement de compétences réflexives et la recherche de Qribi, Courtinat et Prêteur (2011) indique encore que des cas où le jeune construit sa propre expérience existent, ne s’inscrivant pas dans une dynamique de contre-acculturation. Il faudrait se pencher à analyser davantage sur l’interrelation et les possibles collaboration école – famille – communauté, afin de s’assurer d’une non-dévalorisation de l’environnement familial et d’une cohérence des valeurs de socialisation de différents agents interagissant pour une socialisation de l’enfant, comme le précisent encore dans une argumentation similaire les écrits recensés précédemment. Pour ce faire, il s’agit de se questionner d’abord sur les pratiques mises en place, les dynamiques de socialisation en classe et auprès d’élèves immigrants.

Comment l’école pourrait-elle aider le jeune immigrant, faisant face à des conflits d’appartenance et des discriminations si elle risque en même temps d’être sur le terrain coupable d’effets de conflits de valeurs, difficiles à surmonter et douloureux ? Les possibilités d’intervention rejoignent notamment des concepts d’identité (sociale et individuelle), que l’on développera plus tard. Peu de recherches ont analysé jusqu’à présent de façon plus précise comment les pratiques de socialisation liées à une telle problématique de possibles conflits de valeurs, avec leurs interventions potentielles, s’opèrent directement en classe. Comment l’école, en tant qu’agent socialisateur, s’occupe-t-elle donc de favoriser l’instauration de telles normes et valeurs, liées au besoin d’appartenance et, en même temps, au besoin de reconnaissance de la différence ? Dans la prochaine section, nous ferons état des connaissances et recherches actuelles sur ce plan.