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Théories de la socialisation : une construction sociale de la réalité

1. LA SOCIALISATION

1.2. Théories de la socialisation : une construction sociale de la réalité

Si les théories de socialisation prises en compte préalablement mettent surtout l’accent sur l’apprentissage de normes et valeurs prédéfinies, d’autres auteurs permettent une définition davantage plus large de la socialisation (Van Haecht, 2005), plaçant encore l’interaction et l’incertitude au centre de la réalité sociale. Il s’agit notamment de logiques d’action hétérogènes, comme un postulat « selon lequel chaque individu cherche […] à se conformer à la culture du groupe et à reproduire ses ‘‘traditions’’ […] à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances » (Dubar, 2000, p. 84).

Les difficultés potentielles, reliées à un double système de valeurs et au processus d’acculturation ont été relevées comme problématiques auparavant. Après un bref retour, le recours aux conceptualisations de Habermas (1987a ; 1987b), Mead (1934) et Berger et Luckmann (1996) pourrait amener un contexte davantage en lien avec notre objet, qui s’intéresse à la socialisation à l’école en présence d’une hétérogénéité suite à l’immigration récente.

C’est sans doute George Mead (1934) qui paraît comme fondateur d’une socialisation de soi et construction d’une réalité sociale, ayant décrit la socialisation comme construction d’une identité sociale par l’interaction et la communication. Mead parle d’une mise en place d’une reconnaissance de soi, impliquant que les membres prennent une part active, un rôle utile et reconnu dans une telle construction. De ce processus surgirait un dédoublement entre le «moi», construit à l’aide d’autrui et qui a intériorisé l’esprit du groupe, et un «je», permettant une affirmation positive dans le groupe. Si le «moi» représente chez Mead l’ensemble des attitudes d’autrui auxquelles l’humain s’identifie, le «je» devient la partie du soi, à laquelle il construit sa propre place et qui lui donne un rôle spécifique et distingué au sein du groupe. La personne se développe ainsi dans le social, au sein de son milieu socioculturel, à partir de l’interaction sociale entre l’individu et son environnement (Ibid.).

Le recours à Mead, liant la socialisation à des concepts comme celle de l’identité, nous amène à concevoir la socialisation encore comme un processus de personnalisation (Malrieu, 1970; Tap, 1991) que certains appellent encore une socialisation de soi (Dubar, 2000; Gayet, 1998; Malewska-Peyre et Tap, 1991; Vanandruel, 1991), un processus de différenciation critique, reflétant l’individualité et la lutte contre les aliénations et les impuissances:

L’acteur social ne cherche véritablement à s’adapter à son milieu social, à s’y intégrer, que dans la mesure où il a le sentiment de pouvoir s’y réaliser, non pas seulement à travers la satisfaction de ses désirs, mais grâce à la possibilité d’y faire oeuvre […] L’individu, tout en se socialisant, cherche à se réaliser en tant que personne. La personne n’est pas une structure conditionnée, soumise, passive et immobile. (Tap, 1991, p. 53-54)

Une telle socialisation de soi ou personnalisation se relève encore des théories de Berger et Luckmann (1996), amenant encore à une formation d’identité qui sera conceptualisée dans la

deuxième partie de ce chapitre. Selon ces auteurs, la socialisation doit être comprise comme un processus d’interaction dialectique de l’individu et de la société :

La connaissance [...] est acquise au cours de la socialisation et [...] médiatise l’intériorisation, au sein de la conscience individuelle, des structures objectivées du monde social. La connaissance [...] objective ce monde au travers du langage et de l’appareil cognitif basé sur le langage, c’est-à-dire [...] l’ordonne en objets qui sont appréhendés en tant que réalité. Ce monde est de nouveau intériorisé en tant que vérité objectivement valide au cours de la socialisation. La connaissance sur la société est donc une réalisation dans les deux sens du terme, au sens d’une appréhension de la réalité sociale objectivée, et ensuite d’une production continuelle de cette réalité. (Berger et Luckmann, 1996, p. 135)

Depuis une telle conception, la « réalité construite » suite à des processus de socialisation réfère donc à une pluralité de mondes (Habermas, 1987a) : la socialisation ne peut pas être conçue comme simple processus de transmission. Elle réfère plutôt à la fois à une extériorisation et une intériorisation réflexive de représentations avec leurs normes, valeurs et rôles émergents.

Cette « réalité » dont parlent Berger et Luckmann (1996) réfère en effet d’abord à une réalité objective, c’est-à-dire de « connaissances socialement objectivées » (Ibid., p. 134) suite à des processus sociaux d’extériorisation, tel qu’une mise-en-commun de connaissances internes :

l’existence humaine est, ab initio, une extériorisation continuelle. Au fur et à mesure que l’homme s’extériorise, il construit le monde dans lequel il s’extériorise [...] il projette ses propres significations dans la réalité [...] signifiante humainement et en appelant au cosmos entier pour signifier la validité de l’existence humaine. (Ibid., p. 187)

La réalité devient ainsi objective, construit par les individus, suite à une extériorisation réflexive de connaissances avec leurs normes, valeurs et rôles significatifs. Dialectiquement, la réalité est par la suite aussi subjective, suite à un processus d’intériorisation réflexive d’objets sociaux : l’individu contribue à construire une réalité externalisée et objectiviste, tout en construisant, en réfléchissant sur sa propre réalité interne.

Ce qui distingue ainsi ces théories pour une socialisation des autres, c’est avant tout la conception du rôle de l’individu en tant qu’être responsable pour sa propre construction et

participation à la socialisation externe et interne : « être en société veut dire participer à sa dialectique ». (Ibid., p. 223)

Avant de mettre ces théories pour une socialisation en perspective, une analyse des termes de primaire, de secondaire et de double socialisation paraît nécessaire afin de mieux définir le concept de socialisation.

1.2.1. Socialisation primaire, socialisation secondaire et double socialisation

En abordant la socialisation en tant que processus de construction sociale de la réalité, Berger et Luckmann (Ibid.) distinguent entre une socialisation primaire et –secondaire, termes qui se doivent brièvement défini suite à leur pertinence quant à notre objet de recherche, du constat que « l’individu appartenant à la société [...] simultanément extériorise son propre être dans le monde social et l’intériorise en tant que réalité objective. [...] L’individu, cependant, n’est pas né membre d’une société » (p. 223).

Dans ce sens, l’individu passe d’abord une première socialisation, « socialisation primaire » où il intériorise des représentations d’un environnement en adoptant des « rôles et attitudes des autres spécifiques vers des les rôles et attitudes en général » (p. 228). En ce sens, la famille est avant tout conçue comme agent de socialisation primaire. C’est ainsi depuis le processus de socialisation primaire que l’enfant arrive à considérer que « le réel ‘’à l’extérieur’’ correspond au réel ‘’à l’intérieur’’ » (Ibid., p. 229-230).

Par la suite, la socialisation secondaire caractérise les intériorisations ultérieures prenant place dans la biographie de l’individu, conçu comme membre d’un environnement préalable et ayant intériorisé des normes, valeurs et rôles précédents. Dans ce sens, la socialisation secondaire constitue selon Berger et Luckmann (1996, p. 236) « l’institutionnalisation de ‘’sous- mondes’’ institutionnels ou basés sur des institutions. Son étendue et ses caractéristiques sont dès lors déterminées par la complexité de la division du travail et de la distribution sociale ». Dans ce sens, nous considérons l’école comme étant un agent de socialisation secondaire.

La socialisation n’étant jamais totalement réussie ou terminée, il est possible que des conflits surgissent entre le primaire agent de socialisation et la socialisation secondaire, définie comme « intériorisation de sous-mondes institutionnels ou basés sur des institutions » (Ibid., p. 189). Berger et Luckmann parlent alors de chocs biographiques qui surgissent et amènent à des questionnements quant à la personnalisation. Un tel conflit accompagne un double processus de « maintenance et de transformation de la réalité subjective » (Ibid., p. 248), une « déstructuration/restructuration d’identité » :

When the social context is stable […] this would strongly fashion the individuals, fixing their identity with so much stability […] in this limited case, socialization and identity are one and the same thing. But when the social context breaks into diversity of different segments, identity will set itself in motion. (Camilleri et Malewska-Peyre,

1997, p.64)

C’est dans ce sens que nous aimerions discuter de double socialisation (Gayet, 1998), comme un processus non uniforme entre différents environnements de socialisation et où des conflits d’appartenance et différenciation propre à l’individu et son positionnement en tant que membre de groupes peuvent surgir, comme nous l’avons pu documenter dans la problématique.

La prochaine section permettra de mettre en perspective ces différentes conceptions de la socialisation par une analyse critique et synthétique de leurs conséquences pour une considération de la réalité scolaire.