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L’APPROCHE, LE TYPE ET LE COURANT DANS LEQUEL S’INSÈRE LA

Afin de répondre à la question de recherche formulée, nous avons choisi une approche qualitative :

en centrant l’interrogation sur le sujet comme acteur, en étant attentive au contexte de la situation, la recherche qualitative fait émerger de nouveaux objets comme le local, le réseau, et renouvelle la problématique du travail social tant au chapitre de l’intervention qu’au chapitre de l’analyse des problèmes sociaux. La recherche qualitative remplace le contrôle des variables par la réflexion dans l’action, le déterminisme social par la logique de l’action. Elle introduit une nouvelle rationalité, plus intersubjective. (Groulx, 1998, p. 43)

Du fait que la classification des recherches peut se faire sous différents types, différemment établis selon une variété de critères, notre recherche peut d’abord, selon les critères de De Ketele et Roegiers (1996) être qualifiée d’exploratoire : les interventions éducatives pour ce qui est de la socialisation en classe constituant des phénomènes moins étudiés, le cadre conceptuel établi préalablement n’a pas pu recourir à des exigences de mesure strictes. Si la distinction entre les différentes approches, perspectives et formes de socialisation ainsi que le recours à l’identité et à l’intervention éducative a permis de caractériser de manière opérationnelle les aspects à observer, il ne s’agit pourtant que de balises d’une description et de

discussions de la pratique observée. L’objet étudié échappe donc au moins en partie au contrôle rigoureux de la mise en œuvre par le chercheur, qui a besoin d’une bonne part de créativité et de flexibilité à travers sa collecte de données, sans perdre le critère de rigueur scientifique. Dans cette logique, notre question de recherche a été posée de manière ouverte et globale, le chercheur essayant de se

familiariser avec le sujet à étudier et avec les situations dans lesquelles le phénomène se produit […] faire l’inventaire des variables susceptibles de jouer (et pas seulement des variables déductives a priori)… et donc de bien cerner la problématique de l’objet d’étude. (Ibid., p. 102)

Or, notre recours à une recherche exploratoire se justifie encore par le besoin d’ « approfondir la complexité d’une situation […] [de] découvrir l’émergence d’une réalité sociale ». (Groulx, 1998, p. 33)

La présente recherche, par sa forme exploratoire du fait qu’elle étudie un objet peu connu, permet « la description en profondeur et l’enclenchement d’un processus inductif » (Gauthier, 2009, p. 171) en privilégiant l’étude de cas comme stratégie d’accès aux données (Ibid.). Il s’agit de rendre compte de l’intervention éducative de la socialisation, dans un environnement particulier avec des traits culturels spécifiques, la classe d’accueil au primaire. Notre recherche adopte par la suite certains traits de la méthodologie des recherches ethnométhodologiques. Le contexte de ce courant se doit par la suite expliqué, et mis en perspective avec notre objet précis.

1.1. De la recherche ethnographique, phénoménologique vers le courant de l‘ethnométhodologie

Les objectifs de recherche nécessitant une présence sur le terrain, un regard en profondeur et objectivé d’interventions parfois inconscients et implicites de la pratique quotidienne en classe, une période prolongée de collecte de données semble nécessaire.

Du fait que l’état de la connaissance semble peu avancé à propos de la socialisation en classe d’accueil, la recherche ethnographique17 a attiré notre attention. Celle-ci fait recours aux possibilités d‘une culture invisible, contenu dans les pratiques des personnes et qui peuvent la modifier par leurs actions (Devereux, 1970).

Par la suite, une recherche ethnographique paraît en effet permettre l’accès à l’objet de socialisation se dégageant de l’intervention éducative en classe.

L’ethnographie a été définie comme la science de la ‘description culturelle’ parce qu’elle s’est développée sur le modèle des recherches anthropologiques où le chercheur observait régulièrement et pendant des laps de temps prolongés un groupe humain. (Ibid., p. 22)

Nous considérons que « l’institution scolaire constitue une culture dans le sens où elle est structurée autour d’un ensemble de valeurs qui lui sont propres et qui agissent globalement sur ses membres […] contribuant à leur socialisation » (Ibid., p. 37). L’ethnographie est l’étude descriptive et analytique des cultures ou sous-cultures du terrain. Elle repose d’abord à des origines anthropologiques de la pratique. L’ethnographie a par la suite été utilisée comme un terme englobant une panoplie de méthodes qualitatives de terrain, reposant notamment sur l’observation.

En sociologie, empruntant notamment aux instruments de collecte de données ethnographiques, s’est développée dans les années 60 une nouvelle approche appelée l’ethnométhodologie, s’accompagnant d’une exigence de description pure, montrant les moyens que les membres18 utilisent pour organiser leur vie sociale en commun. L’ethnométhodologie s’intéresse de base à la « la recherche empirique des méthodes que les individus utilisent pour donner un sens et en même temps accomplir leurs actions de tous les jours : communiquer, prendre des décisions, raisonner». (Coulon, 2007, p. 23)

17 Le préfixe « ethno » provient du grec ancien ‘éthos’ (famille, tribu, nation, pays), mettant les mots en relation avec le peuple ou l’ethnie. Le mot gráphô, signifiant « écrire » correspond à la notion d’écriture.

18 « Dans le vocabulaire ethnométhodologique, la notion de membre réfère non pas à l'appartenance sociale, mais à la maîtrise du langage naturel : […] Nous n'utilisons pas le terme en référence à une personne. Cela se rapporte plutôt à la maîtrise du langage commun […] les gens, à cause du fait qu'ils parlent un langage naturel, sont en quelque sorte engagés dans la production et la présentation objectives du savoir de sens commun de leurs affaires quotidiennes en tant que des phénomènes observables et racontables... » (Coulon, 2007, p. 23). Cet aspect sera explicité davantage dans la partie de l’instrument et de l’analyse de conversation.

L’approche exclut le procédé de l’analyse réflexive (Garfinkel, 2001, p. 36), étant initialement guidé par la phénoménologie19, comportant un retour

‘‘aux choses mêmes’’ – le monde avant sa connaissance – doit être conquis contre des habitudes de pensée et contre des manières de procéder qui tendent à substituer à la réalité concrète des faits des objets bien proportionnés aux exigences du discours scientifique […] nos idées et nos théories sur la société, sur l’action, sur la signification, etc., ne nous sont d’aucune utilité si elles ne nous permettent pas de rendre notre manière propre de traiter le monde. (De Fornel, 2001, p. 10)

Selon le fondateur de l’ethnométhodologie Garfinkel, toutes les idées et théories scientifiques sur l’action et la société ne seraient ainsi d’aucune utilité si elles ne permettent pas d’inclure les « choses mêmes », rendant compte d’un rapport aux interactions pratiques de la vie courante, ou comme l’affirme De Fornel, faisant allure à Garfinkel, « d’ordonner nos activités de l’intérieur même des structures de notre expérience […] de les mettre à l’épreuve de l’observation et de la description de situations réelles » (Ibid.). Ainsi, l’ethnométhodologie serait une sociologie « radicale », consistant à partir et à retrouver des travaux d’organisation de la réalité que la sociologie traditionnelle a interprétés suite à un travail réflexif de signes. Il s’agit ainsi de rendre compte d’une construction de sens, se concentrant par là sur l’intercompréhension phénoménologique d’objets de connaissances et leur processus interrelationnel pour une intercompréhension dans l’action (Habermas, 1987a; Schütz, 1998).

Garfinkel traite comme des purs phénomènes les prétentions à la validité sur lesquelles s’appuie la reconnaissance intersubjective de tout accord obtenu communicationnellement quand bien même la formation de consensus resterait occasionnelle, fragile et fragmentaire. Il ne fait pas de distinction entre un consensus valide pour lequel les participants pourraient fournir des raisons [...] et un assentiment obtenu sans référence à la validité, i.e. de facto, qu’il repose sur la peur des sanctions, la supercherie rhétorique, le calcul, le désespoir ou la résignation. Garfinkel traite les standards de rationalité [...] comme les résultats d’une pratique

contingente d’interprétation [...], c’est-à-dire à l’aune des critères qui sont

intuitivement employés par les participants eux-mêmes. Les prétentions à la validité

19 La phénoménologie se caractérise par une écoute du monde. Fondé sur ancrage empirique stricte, l’ « examen phénoménologique des données n’est pas réservé à la recherche phénoménologique, mais cadre […] également […] avec la recherche ethnographique, l’enquête sociologique » (Paillé et Mucchielli, 2010, p. 86). La phénoménologie se construit sur une description pure de l’action, retournant aux choses ‘elles-mêmes’, en y libérant l’essence. Garfinkel s’est inspiré de la phénoménologie de Husserl, élaborant de même un mode de schématisation à partir de l’expérience même par une reconstitution de celle-ci (Cefaï et Depraz, 2001).

qui franchissent les frontières de lieu, d’époque et de culture, le sociologue éclairé par l’ethnométhodologie les considère comme quelque chose que les participants

tiennent seulement pour universel. (Habermas, 1987a, p. 145)

Notre recherche s’intéresse à décrire, à partir des interventions éducatives en classe d’accueil, les approches s’y dégageant et le recours à l’identité sociale et personnelle retiré. Il s’agit d’un défi de taille, notre concept-clé, la socialisation ayant été caractérisés comme forme inconsciente et passant souvent inaperçu. Or, l’utilisation de la méthode ethnométhodologique répond à nos besoins et postures épistémologiques méthodologiques. Car, « le phénomène fondamental sur lequel se construit l’ethnométhodologie est la production, locale et endogène, des choses les plus ordinaires de la vie sociale » (Garfinkel, 2001, p. 34) en analysant l’organisation des activités dans leurs détails, sans exclure une généralité (Ibid., p. 35).

Si nous aimions comprendre et analyser des pratiques de socialisation en classes d’accueil, celles-ci ne pourraient se manifester que dans la complexité de l’actualisation pratique (Watson, 2001, p. 21). L’intérêt est porté au point de vue des membres, le savoir étant ancré depuis la pratique, celui-ci ne peut par la suite qu’être appréhendé de l’intérieur.

On ne peut bien décrire l’action sociale que si l’on comprend, de l’intérieur, les motivations des acteurs […] pénétrer dans la subjectivité des observés, et le meilleur moyen d’y parvenir est de s’impliquer dans la situation étudiée, de la vivre en même temps que les observés […] la neutralité de l’observatrice est un mythe. (Laperrière, 2009, p. 315)

En même temps, du fait que ce mémoire s’intéresse aux pratiques et interactions de la vie quotidienne, un équilibre de proximité avec le membre et une distance serviraient à objectiver la pratique telle qu’elle existe en ‘elle-même’, comme les praticiens peuvent faire recours à une action découlant d’un savoir social rendu souvent inconscient par l’usage (Ibid., p. 317 ; Argyris et Schön, 2002). De ces constats, notre recherche adopte un regard ethnométhodologique, qui

prend intérêt à la compétence d’interprétation [...][,] veut examiner la façon dont les actions peuvent être coordonnées au cours et au moyen du procès coopératif d’interprétation. Elle s’occupe de l’interprétation en tant que réalisation permanente des parties prenantes [...] autrement dit, des micro-procès d’interprétation de

situations et de consolidation de consensus, des procès qui sont hautement complexes, même si les participants peuvent, dans des contextes d’action stables, se rattacher à une compréhension de la situation qu’ils possèdent par habitude. (Habermas, 1987a, p. 146-147)

Connaissant maintenant mieux les balises de l’ethnométhodologie qui nous semble appropriées comme courant épistémologique et méthodologique pour l’analyse de l’action, un court passage à la conception du langage en interaction depuis l’ethnométhodologie sera abordé dans la partie présentant la collecte des données. Mais d’abord, l’échantillon choisi sera présenté.