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Théories ordinaires de la sanction éducative

Dans le document Cités cosmopolites (Page 102-107)

On vient de le voir, la question ouverte sur les sanctions est peu discriminante Mais son analyse donne un accès nuancé à la façon dont les élèves perçoivent collectivement l‟ordre

3. Théories ordinaires de la sanction éducative

Les élèves ont produit de nombreux énoncés avec expansions, qui ont ramenés pour le codage à l‟un ou l‟autre des prédicats de base, et 300 énoncés complexes justifiant un double codage (voir Annexe 12).

Les cooccurrences observées dans les énoncés logiquement complexes sont les suivantes.

Tableau 96. Jugements portés sur les sanctions : Matrice des cooccurrences

justifiée utile injustifiée inutile Trop sévère Pas assez sévère Mal appliquée justifiée utile 13 injustifiée 12 20 inutile 7 8 8 Trop sévère 10 11 7 14

Pas assez sévère 3 2 1 2 21

Mal appliquée 2 7 1 1

autres

Total 47 61 48 40 64 29 11

% 15,7 20,3 16,0 13,3 21,3 9,7 3,7

Ces cooccurrences organisent des énoncés de type :

- « x et y » (deux prédicats de même orientation évaluative) : utile et justifiée ; inutile et trop sévère,

sévère

- « x et non x » (contradiction logique) : trop sévère et pas assez sévère, justifiée et injustifiée.

A travers ces énoncés se lisent ce que nous nommons des théories ordinaires de la sanction éducative, – c‟est-à-dire les savoirs réflexifs que les élèves, considérés en tant qu‟acteurs sociaux, mettent en œuvre lorsqu‟ils conduisent leurs actions dans le cadre scolaire45

.

► De rares réponses font de la sanction une affaire d‟éducation personnelle et de morale privée, notamment en LP :

Ca peut faire changer l'élève s'il en a envie mais c'est surtout aux parents d'effectuer des sanctions à leurs enfants.

Elles peuvent être nécessaires selon les élèves, et peuvent donner une leçon à l'élève. C'est le seul moyen de corriger un élève.

Au lycée, c'est ridicule. Ce ne sont pas mon père

Cela fortifie et assagit le caractère et nous permet de réfléchir aux erreurs commises.

Elles sont utiles car elles obligent l'élève à se remettre dans le droit chemin: celui du respect des autres.

Je pense que les sanctions sont toujours bonnes pour prendre conscience de ce qu'on a fait pour se remettre en question.

Elles servent à quelque chose si les parents s'occupent de leurs enfants, leur faisant comprendre que ce n'est pas le bon chemin

► Dans cet esprit, ceux et celles qui font la comparaison soulignent la différence entre le collège et le lycée : il faut tenir compte de la maturité du jeune :

Au collège oui, au lycée non car donne le sentiment d'emprisonnement à un âge où on est apte à prendre des décisions.

Au collège peut-être qu'elles peuvent être utiles ; au lycée, on doit laisser une certaine indépendance et différencier les sanctions entre collège et lycée une heure de colle ne semble pas appropriée au lycée.

► On trouve parfois aussi un point de vue de justice distributive :

Je pense, des sanctions au collège et au lycée, qu'elles sont correctes, mais des fois, elles sont très sévères par rapport à des élèves qui ne font pas de grosses bêtises

C'est un moyen de montrer à l'élève qu'il a fait une faute, une erreur, en espérant qu'il ne récidivera pas.

Les sanctions au collège et au lycée sont nécessaires. C'est un avant-goût des sanctions "civiles" mais seule l'exclusion me semble véritablement sensibiliser les élèves. (Foch)

En règle générale je pense que les sanctions sont plutôt bénéfiques, elles peuvent remettre les choses à leur place et faire comprendre aux élèves que lorsqu'on vit en société on n'est pas libre de tout (Foch)

► Mais la très grande majorité des énoncés posent ou présupposent que la sanction sert ou doit servir au sanctionné pour qu‟il apprenne et profite mieux du cadre scolaire. A fortiori elle ne doit pas le desservir. La fonction, voire la responsabilité du service public très particulier qu‟est l‟école est ainsi affirmée.

Quelques uns rappellent l‟importance du lycée dans leur carrière de vie et demandent que la sanction soit pensée à cette aune :

Les sanctions du lycée sont plus sévères que celles du collège, et plus importantes, car elles sont notées dans notre dossier que l'on présente pour le Bac

Je pense que c'est nul parce qu'en blâmant l'élève, sa carrière d'étudiant est terminée, il a 90% de chances de ne plus avoir un autre établissement

Parfois, même souvent, de manière habituelle les LEP excluent les élèves qui à leux yeux ne font rien en classe, c'est faux chaque élève a son caractère, sa personnalité, le LEP c'est notre chance et certains profs ne le comprennent pas

► D‟autres mettent en avant les incidences de la sanction dans leur vie prise dans sa globalité :

45 Cette approche des compétences des acteurs sociaux „ordinaires‟ a été argumentée par l‟ethnométhodologie.

Elle est largement reprise par la sociologie contemporaine. V. GIDDENS Anthony (1987, éd. or. 1984), La Constitution de la société, Paris, PUF.

Je pense que les sanctions au collège et au lycée ne servent à rien, car quelquefois ça cause des problèmes dans la famille, il faudrait trouver un autre truc

► Une très large majorité se placent simplement au point de vue du cadre scolaire : la sanction, disent-ils, doit viser le bien de l‟élève, et non sa punition, elle doit le « faire réagir », lui permettre d‟adapter son activité et sa conduite. Les exigences du cadre scolaire sont acceptées si elles correspondent à des besoins éducatifs. La sanction doit « avoir une utilité éducative » :

Je trouve que les sanctions comme par exemple les avertissements servent seulement à enfoncer l'élève plutôt qu'à l'encourager à travailler. Il est rabaissé avec la pancarte "mauvais élève". (L. Dumas)

Je pense qu'elles sont nécessaires à condition qu'elles soient constructives pour l'élève. Ex : lui donner à faire un devoir plutôt que de lui faire faire bêtement recopier des pages de "je ne redessinerai plus sur les tables". Je pense que les sanctions ne sont pas nécessaires car cela énerve le plus souvent les élèves, et ne les empêchera pas de recommencer leur faute, je parle ici des heures de colle, mais par contre les avertissements et les exclusions peuvent être un bon moyen de faire réagir les élèves.

Aucun intérêt surtout que je les ai eues à l'âge de 22 ans et cela n'a aucune incidence sur mon amélioration. Ils ont fait ça surtout pour me faire partir car je suis trop vieux à leurs yeux.

Elles devraient améliorer le niveau éducatif de l'élève. Je ne sais pas du quelle mesure cela se passe vraiment Tout dépend de la sanction, certaines peuvent démoraliser l'élève tel que les avertissements ou blâmes, et d'autres peuvent contribuer à nourrir la haine de l'élève tel que l'exclusion temporaire et la convocation des parents (Foch)

Elles n'ont aucune utilité éducative. (Foch)

► La sanction juste est une sanction ajustée, elle n‟est pas à appliquer mécaniquement. Certes, il n‟est pas toujours facile de trouver une bonne solution, certains élèves ironisent :

Au contraire, ça ne change rien de sanctionner un élève. Parce que plus vous le sanctionnez, plus il fera le bordel.

Elles sont malheureusement inefficaces car prises à la légère part la plupart des élèves. Elles sont quelquefois inadaptées

Elles servent à énerver encore plus les élèves bien qu'elles aient pour fonction d'essayer de les calmer Elles ne servent strictement à rien du tout. Ils disent nous aider mais nous mettent à la porte. C'est idiot. Je pense qu'au plus on pénalise un élève, au moins il a envie de travailler.

Elles ne servent à rien. Il faut revenir aux anciennes méthodes, le placard, le fouet, le bâton... (Foch)

Pour un élève normal, une bonne sanction, c'est toujours bon pour lui mais pour certains, ils n'en ont rien à faire. Ca leur plait de quitter le lycée ou collège pendant un bon moment sans qu'il y ait absence (LP).

C'est du n'importe quoi, et c'est pas ça qui va calmer les rappeurs foireux et agressifs qui ont envahi le lycée et qui prennent les profs pour des cons.

Les sanctions ne sont pas toujours la meilleure des choses pour communiquer, certains élèves penseront que c'est un jour de vacances.

Cela fait réfléchir celui qui a un peu de jugeote dans le cerveau et pour celui qui est beaucoup plus difficile, il prendra cela comme une rancoeur et voudra se venger sur le prof qui l'a sanctionné ou a demandé sa sanction. Ce n'est pas comme ça que les profs arriveront à les faire travailler. Si les élèves se foutent de l'école, ils se foutent aussi des sanctions.

► Mais la sanction doit être fonctionnelle, c‟est fondamentalement un instrument de régulation de l‟ordre scolaire :

C'est obligé de prendre des sanctions dans un lycée pour que règne l'ordre.

Il faut mettre des sanctions, sinon il n'y aurait pas de lois dans l'établissement et tout le monde ferait comme il veut, alors, avec les sanctions, ils sont obligés de respecter les lois

Elles sont nécessaires pour le bon fonctionnement des établissements

Les sanctions sont en général mal comprises par les élèves mais elles servent cependant à maintenir un certain ordre (Foch)

► Le cadre scolaire instaure un système d‟interdépendance entre professeurs et élèves, et les sanctions doivent ou devraient le restaurer (les orientations évaluatives des énoncés peuvent être opposées à cet égard) :

Cela fait plus de respect et d'autorité à l'intérieur d'un établissement. Sans cela, il y aurait trop de laisser-aller (LP)

Elles peuvent être bonnes ou mauvaises selon le cas présenté. Elles serviront à faire réfléchir l'élève qui est sanctionné et celui qui pouvait l'être.

Les sanctions sont très bien. Elles sont faites pour nous apprendre et pour nous montrer que nous avons des responsabilités.

Elles ne servent à rien, justes à engrainer la colère et l'antagonisme. Ce sont des solutions qui ne sont pas pédagogiques.

► A l‟occasion, la sanction permet de sortir d‟une situation de tension en conservant au professeur sa dignité et à l‟élève la sienne propre. L‟existence de la sanction contribue à instituer le rapport d‟autorité entre professeurs et élèves, elle protège les agents scolaires de la violence ordinaire :

C'est uniquement grâce à cela qu'une autorité peut être instaurée, un prof insultant un élève perd tout son crédit et à l'occasion sa voiture (LP)

Moi, je pense que c'est bien, car peut effacer la violence qu'il y entre les élèves et les professeurs (LP) ► Or cela, certains professeurs n‟en ont pas conscience ou ne l‟acceptent pas :

C'est trop nul, cela ne changera rien, il faut apprendre à dialoguer avec les élèves.

Au lycée, les sanctions sont trop dures, car il y a des professeurs qui ne veulent pas s'expliquer avec l'élève et veulent voir directement le C.P.E.

Trop sévères, on ne laisse même pas à l'élève la possibilité de s'expliquer sur sa faute avant de le sanctionner. Les professeurs abusent de leurs pouvoirs.

Certains prof ont peur de certains élèves et ne les sanctionnent pas, au cours suivant ils se défoulent sur un autre élève même si il n'a pas vraiment fait quelque chose qui méritait une sanction.

► Nombre d‟élèves réclament d‟être partie prenantes de la sanction, regrettant l‟insuffisance ou l‟absence de communication :

Elles sont très bénéfiques si on explique leur sens aux élèves

Les collèges et les lycées cherchent la répression avant de faire de la prévention. Elles ne font pas toujours prendre conscience aux élèves pourquoi ils ont été punis.

Je pense plutôt qu'elle engendre encore plus de conflits et de dégoût, une plus grande écoute serait plus appropriée.

Quelques fois, les sanctions au collège sont exagérées, et au lycée, les élèves deviennent un peu plus adultes, donc au lieu de sanctionner, il faut laisser place à la communication.

Elles sont souvent arbitraires. Il faut plutôt écouter l'élève que le sanctionner à part en cas d'extrême insolence Les motifs donnés ne sont pas écoutés, le proviseur n'en tient pas compte, il a déjà son idée toute faite, son verdict est déjà fait avant même que les parents des élèves s'expliquent.

Des fois ils ont raison sauf quand ils ne veulent pas savoir les problèmes des élèves pourquoi ils font telle ou telle bêtise.

La compétence scolaire n‟empêche pas la catégorisation sociale :

Elles doivent être systématiques dans les établissements sensibles (contre la force seule la force est efficace). Elles doivent être discutées dans les autres établissements

D‟une façon plus générale, certains énoncés disent les clivages entre élèves, et notent que les sanctions ne les gèrent pas, ou les accentuent :

Elles sont nécessaires, car sans les sanctions c'est "l'anarchie". Les sanctions remettent souvent dans le bon chemin les "perturbateurs"

il faut garder les sanctions le plus longtemps possible car c'est le seul moyen qui reste au prof pour diriger et encadrer les élèves agités

Parfois, elles sont dures et injustes pour les cas où c'est toute la classe qui est punie ou sanctionnée à cause d'un ou deux élèves

► Les excès, les abus sont finalement jugés avec réalisme, en tant qu‟ils sont contre-productifs. Elles ne servent plus à rien car la plupart du temps quand ils sanctionnent, les élèves ont encore plus la haine. Je pense que les retenues sont complètement stupides et qu'il faudrait mieux avoir un entretien avec les parents et l'élève

censées nous calmer et elles ne font qu'empirer. Il réside toujours un manque de communication entre les élèves et l'administration.

Elles ne servent à rien et sont employées systématiquement.

C'est complètement débile, car ce n'est pas en infligeant une punition que les élèves comprendront quelque chose, bien au contraire, ils seront encore plus en colère et révolté, car ceux sont souvent les mêmes qui sont sévèrement punis.(Foch)

Quelquefois, les sanctions au collège sont exagérées, et au lycée, les élèves deviennent un peu plus adultes, donc au lieu de sanctionner, il faut laisser place à la communication. (NB « leur agressivité » : il faut sans doute comprendre celle des élèves)

Je suis pour les sanctions pour ceux pour qui c'est le seul moyen car maintenant, les professeurs et la direction ne se rendent pas compte des conséquences. Les sanctions sont pour eux devenues une "banalité". L'éducation nationale fait la délinquance

Certaines sanctions ne sont pas véritablement équitables avec les actes posés. Des sanctions devraient être plus sévères, d'autres devraient être révisées afin d'instaurer un peu plus de dialogue.

L‟ensemble de ces énoncés donne l‟idée d‟une culture largement homogène, de type participationniste et réformiste. Les lycéen(ne)s savent que la qualité de leur formation, donc dans une bonne mesure la qualité de leur vie après le lycée, dépend de la qualité de leurs interactions avec les professeurs, et c‟est manifestement leur principal souci. Ils prennent la sanction comme un mode de régulation de ces interactions.

Ils n‟en récusent nullement le principe, et s‟ils l‟acceptent, ce n‟est pas sous la contrainte ou par conformisme. Ils y adhèrent. Il y a chez eux une théorie du besoin de sanction et une théorie de la bonne sanction : celle qui instaure un barrage entre la violence interpersonnelle tenue en marge dans l‟espace scolaire mais pas toujours loin, et l‟ordre scolaire ; ou entre des « fautes » qu‟ils s‟imputent et l‟ordre scolaire. Celle finalement qui instaure l‟ordre scolaire lui-même.

Certains pensent que la sanction est un moyen trop commode pour les professeurs et l‟administration et peu efficace, qu‟elle prend la place d‟une médiation qui serait nécessaire :

« Je pense plutôt qu'elle engendre encore plus de conflits et de dégoût. Une plus grande écoute serait plus appropriée. Une médiation entre professeurs, parents et élèves. Mais bon, une sanction est normalement toujours méritée » (Lycée Villon).

On retrouve dans leurs avis sur les sanctions l‟écho de leurs propositions sur les améliorations qu‟il faudrait apporter au lycée : plus de latitude d‟expression laissée aux élèves, une meilleure communication entre professeurs et élèves, – des propositions qu‟ils avancent assez uniformément et qui ne vont pas toujours de pair avec un excès d‟agressivité dont ils se plaindraient de la part des professeurs. C‟est plutôt, comprend-on, une façon de dire leur désaccord avec le mode de régulation ordinaire des relations entre professeurs et élèves. Un mode trop autoritaire à leurs yeux et trop distant. Des élèves raisonnables et pragmatiques, qui reconnaissent qu‟il existe des perturbateurs sur lesquels les sanctions n‟ont guère de prise, et qui seraient prêts à en discuter dans un esprit de responsabilité.

CHAPITRE 4

APPARTENANCES &CITOYENNETE

Nous avons jusqu‟ici débroussaillé les principaux facteurs scolaires et non scolaires de variation des identités sociales des lycéens de Marseille, tels qu‟ils émergent de nos données. Dans ce dernier chapitre, nous cherchons à préciser les dimensions plus proprement politiques des identités sociales lycéennes. Nous avons déjà perçu certains éléments de cette variation grâce aux tableaux d‟attractions statistiques présentés précédemment. Comme ils balayaient l‟ensemble du questionnaire, nous avons mentionné rapidement les points sur lesquels nous allons nous centrer à présent : positions politiques, relations des élèves aux pays du Sud, à l‟immigration, à l‟intégration, à l‟islam, au racisme, etc. Nous procèderons en quatre temps.

Nous reviendrons d‟abord sur la variation des identités sociales.

Nous décrirons ensuite les identités politiques des lycéen(ne)s, entendues classiquement comme leurs affinités partisanes et leurs positions sur des questions inductrices d‟oppositions.

Dans un troisième temps nous analyserons la position de nos sujets sur la citoyenneté, à partir des définitions produites à la question ouverte sur ce thème.

Enfin, nous étudierons leurs positions sur les questions en rapport avec les pays du Sud, l‟immigration, l‟islam et l‟intégration, le racisme. Nous serons alors à même de conclure sur l‟hypothèse du cosmopolitisme que nous avons avancée en commençant cette étude.

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