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UN COSMOPOLITISME ANCRE LOCALEMENT

Dans le document Cités cosmopolites (Page 139-143)

On vient de le voir, la question ouverte sur les sanctions est peu discriminante Mais son analyse donne un accès nuancé à la façon dont les élèves perçoivent collectivement l‟ordre

Code 9. Ce code est réservé aux énoncés inclassables dans la typologie précédente Parfois agressifs,

4. UN COSMOPOLITISME ANCRE LOCALEMENT

Nous avons conservé pour cette dernière section des données qui nous permettront de caractériser plus spécifiquement le cosmopolitisme des lycéen(ne)s de Marseille.

Un philosophe américain propose cette définition largement acceptée du cosmopolitisme : « Nous habitons un seul monde moral, par-delà les différences de position sociale ou de religion, de genre, de race ou de nationalité ; toute personne dans ce monde a la même valeur (standing) qu‟une autre en tant que sujet possible de droits et d‟obligations. Au niveau de moralité le plus profond, votre voisin n‟est pas plus important qu‟un compatriote inconnu, et un compatriote pas plus important que le plus lointain des étrangers »53.

Cette définition met l‟accent sur la transcendance des principes d‟égalité et de commune humanité par rapport aux clivages qui organisent en fait et en droit les sociétés humaines. Dans cette acception, le cosmopolitisme se propose comme un idéal moral, une orientation mentale portée par un exercice spirituel. Il se conquiert en franchissant pour ainsi dire des stades d‟attachement moralement inférieurs mais antérieurs : l‟auteur fait allusion à l‟attachement au proche sur la base de l‟interconnaissance ou de la communauté de classe sociale, de „race‟, de genre ou de religion, et au nationalisme à base civique. En tant qu‟idéal moral, le cosmopolitisme transcende les frontières psycho-sociales et nationales sans ignorer qu‟elles existent, il étend à l‟humanité entière le droit à l‟égalité, – à l‟égale considération.

L‟acception morale du cosmopolitisme n‟est pas celle qui se dégage de nos données d‟enquête. Au plan normatif, les lycéen(ne)s de Marseille pensent le lien politique dans le cadre de la nation, sauf exception rarissime, nous l‟avons vu à l‟analyse des réponses à la question sur le sens de « citoyenneté ». Mais leur nationalisme n‟est pas national au sens patriotique et culturel du terme. Seule une minorité adhère à cette version classique du sentiment national. La grande majorité adhèrent à une vision composite de la nation, à la fois civique, juridique et morale. Cette vision complexe informe la culture politique dans notre population, elle est très peu dépendante des variables sociales et scolaires. De surcroît, et c‟est ce que nous verrons à présent, les lycéen(ne)s ont une conscience vive des déséquilibres mondiaux et de leurs incidences dans la société locale. C‟est en ce sens qu‟on peut parler de cosmopolitisme à leur propos.

Nos lycéen(ne)s sont favorables à un « nationalisme cosmopolite, libéral et socialiste ». Peut-être est- ce d‟ailleurs la seule façon réaliste d‟adhérer aujourd‟hui au cosmopolitisme54

. Ils/elles veulent à la fois les libertés du libéralisme, les protections de l‟Etat-providence, et un nationalisme cosmopolite, qui fasse sa place au souci du Sud. Cette orientation n‟est pas pour eux/elles une question d‟ascèse morale, c‟est une question de ressenti, de mémoire familiale pour une bonne moitié d‟entre eux/elles et, pour tou(te)s, une question de vécu quotidien.

53 Charles Beitz (1994), professeur de politique à Princeton, cité par Kai Nielsen dans N

IELSEN K. (2003), Toward a Liberal Socialist Cosmopolitan Nationalism, International Journal of Philosophical Studies (11-4), p. 440 (notre trad.).

Plusieurs questions de l‟enquête traitaient de la différence religieuse, de l‟immigration et de l‟intégration. Nous examinerons dans cette section successivement :

- l‟avis porté sur l‟islam ;

- la position à l‟égard du racisme, et plus largement la vision des problèmes d‟intégration à Marseille ;

- enfin la position sur l‟immigration.

4.1. L’islam dans le paysage

Une des questions cherchait à recueillir les avis des lycéen(ne)s sur l‟islam. Elle était formulée ainsi : « Certains disent que la religion musulmane est un obstacle à l’intégration des populations d’origine maghrébine et africaine en France. Etes-vous : tout à fait d’accord/ plutôt d’accord/plutôt pas d’accord/pas d’accord du tout/sans opinion ».

La réponse à la question montre une concentration très forte sur la modalité pas d’accord du tout, qui regroupe près de la moitié de la population. Les modalités en plutôt recueillent ensemble un quart des réponses, de façon équilibrée. Un autre quart se déclare sans opinion. Et une petite minorité s‟affirme tout à fait d’accord avec l‟idée que l‟islam fait obstacle à l‟intégration. Le taux de non réponses est faible.

Tableau 126. Avis sur l'islam

Effectifs Fréquence

Non réponse 31 2,7%

tout à fait d‟accord 65 5,8%

plutôt d‟accord 142 12,6%

plutôt pas d‟accord 139 12,3%

pas d‟accord du tout 507 44,9%

sans opinion 245 21,7%

Total 1129

L‟étude de la variation sociale et scolaire des réponses est éclairante.

Dans les deux établissements les plus populaires et les plus „immigrés‟, situés au centre de la ville, le taux de pas du tout d’accord frôle les 60%. Il approche les 50% dans les autres établissements des quartiers Nord et au LP Rocher. Dans les deux lycées généraux des quartiers Sud, la distribution s‟éparpille sur les trois modalités les plus fréquentes : plutôt d’accord, plutôt pas d’accord, et pas d’accord du tout. Cette dernière atteint ici environ 30%. Mais en cumulant pas du tout d’accord et plutôt pas d’accord, on frôle encore les 60% à Foch, tandis qu‟on reste à 40% à Dumas.

Ces deux lycées se distinguent significativement par leur proportion d‟élèves qui sont plutôt d’accord avec l‟idée que l‟islam fait obstacle à l‟intégration. Ce taux atteint le tiers des lycéen(ne)s au lycée Dumas, le quart au lycée Foch. Au lycée Dumas, les avis sont également partagés entre ceux qui relativisent l‟obstacle de l‟islam et ceux qui l‟affirment : respectivement 40,5% et 39%. Cet établissement est celui de nos lycées d‟enquête qui est le plus réticent à faire crédit à l‟islam.

On remarque aussi l‟importance des sans opinion au LP Montaigne et au LP Rocher. Elle s‟explique en partie sans doute par une difficulté conceptuelle, mais pas seulement : la déclaration sans opinion n‟est pas négligeable ailleurs qu‟en lycée professionnel, à l‟exception du lycée Foch. On retrouvera pareille hésitation à se prononcer sur la lecture de la pluralité ethno-culturelle de la société dans la question sur les communautés à Marseille (infra).

Tableau 127. Avis sur l'islam, selon le lycée (% colonnes) Non réponse LP Rocher LP Montai gne LP Molière LG Villon LGT Montai gne LG Dumas LG Foch Total Non réponse 36,4 2,7 5,2 2,4 2,9 1,1 2,3 2,7 sans opinion 18,2 28,4 31,1 22,4 15,8 23,5 18,3 9,7 21,7 pas d‟accord du tout 27,3 46,4 46,7 57,6 57,2 40,1 29,0 28,0 44,9 plutôt pas d‟accord 8,7 3,7 9,4 10,8 17,1 11,5 30,1 12,3 plutôt d‟accord 9,1 9,3 5,9 2,4 8,3 12,3 32,8 24,7 12,6 tout à fait d‟accord 9,1 4,4 7,4 5,9 5,0 5,9 6,1 7,5 5,8

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Khi2=179,9 ddl=40 p=0,001

La variation selon les lycées est à mettre en relation avec la composition sociale des établissements, sous l‟angle de l‟origine nationale des parents et sous l‟angle de leur statut socio-économique.

On voit ainsi que la déclaration sans opinion est significativement plus fréquente dans les catégories qui ne sont pas de culture musulmane (tableau 128). De même, la tendance à modaliser son avis par plutôt, que l‟on soit disposé à accepter l‟islam ou non. A l‟inverse, les catégories plus marquées par la référence musulmane sont très significativement plus enclines à écarter l‟idée que l‟islam puisse être un obstacle à l‟intégration. Cette position concerne près de 80% des descendants d‟immigrés maghrébins, et 75% des descendants d‟immigrés d‟Afrique subsaharienne ou des Comores, contre 44% des originaires de France. Dans cette catégorie, cependant, l‟idée que l‟islam soit un obstacle à l‟intégration n‟est formulée que par un quart des élèves, sous sa forme modalisée ou, plus rarement, sous sa forme emphatique.

Tableau 128. Avis sur l'islam, selon l’origine nationale des parents (% colonnes)

Non réponse

France Maghreb Afrique Europe & Monde

Fr-Mag Total

Non réponse 6,0 2,0 2,4 3,0 1,2 5,1 2,7

sans opinion 25,8 28,3 8,0 10,4 29,8 10,2 21,7 pas d‟accord du tout 43,0 28,3 71,9 65,7% 37,3 57,6 44,9 plutôt pas d‟accord 12,6 15,4 7,6 7,5 14,3 8,5 12,3 plutôt d‟accord 6,0 19,0 6,0 7,5 14,9 8,5 12,6 tout à fait d‟accord 6,6 7,0 4,0 6,0 2,5 10,2 5,8

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Khi2=176,8 ddl=25 p=0,001

L‟examen de la variation selon le statut socio-économique de la famille donne une image moins contrastée mais la variation reste très significative. Elle n‟est pas sans lien avec la composition ethnique des catégories de statut. La catégorie favorisée se particularise par une tendance plus marquée à préférer les énoncés modalisés. Mais au total, elle écarte à 59% l‟idée que l‟islam soit un obstacle à l‟intégration. Presque autant que dans la catégorie défavorisée, qui l‟écarte à 66%. C‟est dans la catégorie de statut intermédiaire (qui agrège les statuts intermédiaire et intermédiaire –) que cette idée est le moins fréquemment écartée : elle l‟est néanmoins dans plus de 50% des cas. L‟idée adverse varie entre un taux de 14% dans la catégorie défavorisée et 24% dans la catégorie favorisée. La position sans opinion est par ailleurs significativement plus fréquente dans la catégorie intermédiaire.

Tableau 129. Avis sur l'islam, selon le statut socio-économique des parents (% colonnes)

Non réponse Statut Défavorisé Statut Intermédiaire Statut Favorisé Total Non réponse 5,8 3,1 ,9 2,7 2,7 sans opinion 34,0 16,8 26,0 14,4 21,7

pas d‟accord du tout 32,7 56,4 38,3 36,3 44,9 plutôt pas d‟accord 10,3 9,4 12,9 22,6 12,3

plutôt d‟accord 8,3 9,4 15,7 19,9 12,6

tout à fait d‟accord 9,0 4,8 6,3 4,1 5,8

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Khi2=92 ddl=15 p=0,001

L‟avis sur l‟islam ne varie pas selon le genre. Les filles apparaissent seulement un peu plus enclines à modaliser leur avis par plutôt.

De même, les lycéen(ne)s des lycées généraux et technologiques sont typiquement plus enclins à recourir à l‟adverbe plutôt que les élèves des lycées professionnels, lesquel(le)s sont plus typiquement sans opinion. Mais au total la fréquence avec laquelle est écartée l‟idée que l‟islam est un obstacle à l‟intégration est analogue dans les deux types d‟établissements (55% en LP, 58,5% en LGT). C‟est la combinaison entre type d‟établissement et niveau de classe qui fait une différence. La modalisation par plutôt apparaît comme typique de la terminale, tandis que les secondes LGT choisissent plus fréquemment la position tranchée pas d’accord du tout, les secondes BEP-CAP étant plus souvent sans opinion ou sans réponse.

Tableau 130. Avis sur l'islam, selon le type d’établissement et le niveau de classe (% colonnes)

Terminale Seconde BEP- CAP

Seconde Total

Non réponse 1,0 7,0 2,9 2,7

sans opinion 18,7 28,0 22,5 21,7 pas d‟accord du tout 37,2 44,1 55,9 44,9 plutôt pas d‟accord 17,2 8,1 8,2 12,3 plutôt d‟accord 20,0 7,0 6,2 12,6 tout à fait d‟accord 5,9 5,9 4,2 5,8

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 Khi2=85,3 ddl=15 p=0,001

Dans le questionnaire, la question sur l‟islam était suivie d‟un cadre avec la consigne : « Ajoutez ce que vous voulez à ce sujet ».

393 élèves ont saisi cette possibilité de préciser leur pensée, soit entre un tiers et la moitié des répondant(e)s dans les modalités de réponse les plus fréquentes (v. annexe 17).

A l‟analyse, ces expansions apparaissent relever de formes de justifications récurrentes, indépendamment de l‟orientation de l‟argument. On les trouve indifféremment en développement de chacune des cinq modalités de réponse (y compris sans opinion).

1. Il y a, comme à l‟ordinaire, des expansions qui se contentent de paraphraser l‟amorce ou qui expriment une émotion à ce sujet : Reprise, émotion.

Les autres énoncés relèvent principalement de trois logiques argumentatives, inégalement fréquentes selon les modalités de réponse :

2. L’affirmation d’un principe politique tel qu‟égalité, liberté de religion, responsabilité individuelle, etc. Nous classons dans la même catégorie des arguments qui se réfèrent aux règles du jeu politique ; 3. La focalisation sur l’intégration : difficultés d‟intégration, trop d‟immigration, manque d‟assimilation, etc. ;

4. La focalisation sur l’islam, qui devient centre de l‟argument et cible de la justification : soit qu‟il soit présenté comme injustement dénigré ; ou au contraire qu‟il soit associé à un danger ;

5. A quoi s‟ajoute un type d‟argument plus rare, l’affirmation de la variation inter-individuelle – tout dépend des individus.

Nous donnons ci-dessous des exemples des expansions produites pour développer deux modalités de réponse contrastées : Plutôt d’accord (48 expansions), et pas d’accord du tout (242 expansions). La modalité tout à fait d’accord, dont nous avons vu qu‟elle recueille toujours moins de 10% des avis et ce, sans variation significative sur aucune dimension, est moins richement développée que la modalité plutôt d’accord.

Modalité Plutôt d’accord.

48 expansions (33% des réponses « plutôt d‟accord »).

Dans le document Cités cosmopolites (Page 139-143)