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CHAPITRE 1 : ENJEUX THÉORIQUE ET PRATIQUE DE LA QUESTION DU RIZ

II. U N TRIPLE CADRE CONCEPTUEL

II.2 L’adoption et de la diffusion des innovations technologiques

II.2.3 Théories de l’adoption et de la diffusion des innovations technologiques

Dans cette section, il convient de présenter d’abord les théories relatives à la résistance des paysans à l’adoption des innovations et de développer ensuite, les différentes théories explicatives des déterminants de l’adoption et de la diffusion des technologies.

L’adoption et la diffusion de technologies agricoles favorables à l’amélioration de la productivité agricole en Afrique au Sud du Sahara se sont heurtées à la réticence des communautés paysannes. Cette résistance des paysans africains à l’adoption des paquets technologiques a été théorisée et a fait l’objet de plusieurs études. En effet, Danne et al. (1992) distinguent quatre grandes catégories de théories qui nous apportent un éclairage sur les causes de cette réticence à l’adoption d’innovations agricoles.

La première catégorie de théories sur la réticence des paysans à l’adoption de technologies est la théorie du paysan conservateur. Elle est due à la prédominance dans les sociétés paysannes d’attitudes et valeurs traditionnelles. En effet, le paysan conservateur a une préférence pour les habitudes et savoir-faire anciens et est, par conséquent réfractaire au changement. De nos jours, des études réalisées sur les systèmes traditionnels de production démontrent que la théorie du paysan conservateur est dépassée. Nous ne servirons pas de cette théorie dans le cadre de cette thèse car elle limiterait notre analyse.

La deuxième catégorie de théories attribue la réticence des paysans à l’adoption des innovations agricoles, aux problèmes nés de la relation entre le paysannat africain partiellement intégré dans le marché et un État africain rudimentaire dont le fonctionnement est financé en partie, par le surplus du secteur paysan. Ces théories mettent l’accent sur les mauvaises expériences que les paysans africains ont vécu avec les organismes d’État (services de vulgarisation agricole, etc.) dont les méthodologies d’intervention par le passé ont été très défavorables aux paysans. Bien que le milieu paysan soit très diversifié selon la disponibilité des ressources, le mode de gestion des produits agricoles et l’organisation du travail, les organismes étatiques d’intervention ne font pas le lien entre la réticence à l’adoption de l’innovation et le milieu paysan. Il est donc souhaitable de prendre en compte cette diversification du monde rural dans le cadre d’une analyse de la réticence des paysans à l’adoption d’une innovation agricole.

La troisième catégorie de théories attribue la réticence des paysans aux technologies agricoles, à la crainte des paysans d’intégrer le marché et d’en devenir dépendants à tel point que les anciennes relations sociales et de distribution n’en soient affectées, les exposant ainsi à la dure réalité des forces du marché capitaliste dont les conséquences dévastatrices détruiraient nombre d’entre eux. La plupart du temps, avant de choisir une innovation, le paysan étudie les avantages et les inconvénients que lui offre cette technologie. C’est pourquoi, l’insuffisance de ces théories réside dans le fait qu’elles enlèvent aux paysans la capacité de faire un choix objectif par rapport aux ressources et possibilités que lui offre son environnement. Cette théorie ne sera

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La quatrième catégorie de théories est regroupée sous le nom d’économie politique. Elle voit le paysan comme un individu rationnel quant à ses choix politiques et économiques. Lorsqu’il est confronté à un problème d’adoption de technologies agricoles, il compare les avantages et les inconvénients de l’adoption et de la non-adoption de l’innovation à court et à long terme pour lui-même et pour ses proches. Dans cette comparaison, il tient compte à la fois des critères socioéconomiques et politiques. L’adoption d’une innovation entraîne souvent, une réallocation de ressources productives du ménage agricole à l’achat de la technologie. C’est une décision qui a un impact sur les intérêts de diverses personnes au sein et en dehors du ménage agricole. Ainsi, si le paysan n’adopte pas une technologie, c’est soit parce qu’il ne veut pas l’adopter, soit parce qu’il ne peut pas l’adopter. Dans le cas où le paysan ne veut pas l’adopter, cela s’explique par le fait que d’autres allocations de ses ressources rares lui donnent plus d’avantages ou qu’il existe trop de risques à adopter l’innovation. Par contre, s’il ne peut pas adopter l’innovation, c’est parce qu’il lui manque de ressources essentielles ou qu’il craint que les ennuis que peuvent lui causer l’adoption de la technologie soient plus importants que les avantages qu’il peut en tirer. En conclusion, le paysan traditionnel a sa logique et ses décisions sont rationnelles. Contrairement aux trois premières catégories de théories relatives à la réticence des paysans aux technologies agricoles, les théories de l’économie politique prennent en compte les facteurs liés à l’environnement socioéconomique du pays et ceux liés à son environnement externe (marché, interventions des organismes de vulgarisation, etc.) dans l’explication des causes de non adoption de technologies agricoles. C’est pour cette raison que cette approche théorique de la résistance des paysans à l’usage d’innovations semble être la mieux adaptée dans le cadre de cette thèse.

Quant aux théories relatives aux déterminants de l’adoption et de la diffusion de technologies agricoles, on distingue dans la littérature cinq grandes théories : la diffusion des innovations (DI), la théorie de l’action raisonnée (TAR), la théorie du comportement planifié (TCP), le modèle de l’acceptation de technologie (MAT) et la théorie des comportements interpersonnels (TCI).

Parmi les modèles d’adoption des technologies, la DI de Rogers (1983) est le modèle dont l’utilisation est la plus répandue. D’après ce modèle, la rapidité avec laquelle une innovation est adoptée dans la population dépend des attributs de l’innovation, du type de décision, du canal de communication, du système social et de l’agent de vulgarisation. Selon Rogers (1983), les attributs de l’innovation font référence aux perceptions individuelles (les avantages liés à l’adoption, la compatibilité, la faible complexité à la possibilité d’essai et le fort rayonnement).

Quant au type de décision, il indique que l’utilisation volontaire de l’innovation entraîne plus facilement son adoption. En ce qui concerne le canal de communication, les communications de masse permettent d’élargir le public d’adoptants. Selon Rogers (1983), ces canaux de communication sont moins efficaces que les réseaux interpersonnels pour favoriser l’adoption de l’innovation. Le groupe social a une influence positive sur l’adoption de l’innovation. Enfin, une innovation est facilement adoptée si un agent vulgarisateur en fait activement la promotion. Néanmoins, la DI présente quelques limites. Selon Chau et Tam (1997), la DI d’une part ne permet pas d’expliciter clairement les relations entre ses caractéristiques et les comportements d’adoption et d’autre part, elle a été développée pour s’appliquer à toutes sortes d’innovations alors que certaines peuvent présenter des caractéristiques particulières. D’autres facteurs comme le plaisir et les normes sociales peuvent aussi influer le comportent d’adoption (Moore, et al., 1991; Chin , et al., 1995).

En 1975, Fishbein et Ajzen ont élaboré la TCR pour expliquer et prédire l’adoption des comportements individuels. Selon cette théorie, le comportement d’un individu est directement déterminé par son intention de réaliser le comportement. L’intention dépend de deux variables : l’attitude de l’individu à l’égard de la réalisation d’un comportement et la norme subjective associée au fait d’adopter ce comportement. D’une part, l’attitude est composée d’un ensemble de croyances liées aux conséquences de la réalisation du comportement, pondérées par l’importance que l’individu accorde à chacune de ces conséquences. D’autre part, la norme subjective se réfère à l’ensemble des croyances d’un individu liées à l’opinion de personnes ou de groupes de référence par rapport au fait qu’il réalise le comportement, multipliées par la motivation de l’individu à se conformer à l’opinion de ces personnes ou groupes.

La TCP est une variante de la TAR. Elle a été proposée par Ajzen (1985; 1991) pour prendre en compte des comportements qui ne sont pas sous le contrôle volontaire de l’individu. Pour tenir compte de ces contraintes, Ajzen propose une troisième variable qu’est la perception du contrôle de comportement. Cette variable prend en compte les facteurs externes qui facilitent ou contraignent la réalisation d’un comportement donné et la perception par l’individu de son efficacité personnelle en vue de réaliser le comportement (Taylor, et al., 1995).

David (1989) a conceptualisé le MAT. Il considère que l’utilisation d’une TIC est déterminée par l’intention d’usage, l’attitude de l’utilisateur et l’utilité perçue. Dans le MAT, il existe une relation directe entre l’intention d’usage et l’utilité perçue et entre l’intention d’usage et les attitudes de l’utilisateur. La relation directe entre l’intention d’usage et l’utilité perçue est

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l’individu des conséquences de cette utilisation sur l’amélioration de sa performance au travail. Par ailleurs les attitudes de l’utilisateur sont déterminées par l’utilité perçue et la facilité d’utilisation perçue. L’utilité perçue est définie comme étant « le degré avec lequel une personne pense que l’utilisation d’un système améliore sa performance au travail ». Quant à la facilité d’utilisation perçue, elle se rapporte au « degré auquel une personne pense que l’utilisation d’un système ne nécessite pas d’efforts ». Cette définition suggère qu’une application perçue comme étant plus facile à utiliser a plus de chance d’être acceptée par les utilisateurs (Davis, 1989).

La TCI est un modèle psychosocial conceptualisé par Triandis (1980) pour analyser les comportements d’adoption des technologies. Elle englobe la plupart des variables présentes dans les modèles précédents. Elle considère qu’un comportement possède des déterminants directs à savoir : l’intention, l’habitude et les conditions facilitant l’adoption. Selon Triandis, l’intention de comportement a quatre déterminants. Il s’agit de : les facteurs sociaux, les conséquences perçues (dimension cognitive de l’attitude), l’affect (dimension affective de l’attitude) et les convictions personnelles. Ce cadre théorique intègre donc des dimensions comme les valeurs personnelles, les rôles sociaux et la culture comme des facteurs qui influencent le comportement d’adoption d’une technologie (Triandis, 1980).

En somme, les modèles psychosociaux de l’adoption du comportement sont utilisés pour expliquer les raisons pour lesquelles certaines personnes adoptent un comportement et d’autres non (Jaccard, et al., 1975). Parmi ces modèles, la TCI sera retenue pour servir de cadre d’analyse dans le cadre de la présente thèse. Houndékon et Gogan (1996) regroupent les facteurs susceptibles d’influencer l’adoption d’une technologie agricole en quatre catégories à savoir : les facteurs propres au producteur (l’éducation, l’expérience, l’âge de l’exploitant, le genre, le niveau de richesse, la taille de l’exploitation, la disponibilité en main d’œuvre et le degré d’aversion au risque), les facteurs liés à la technologie (les fonctions économique et alimentaire du produit, la complexité de la technologie, le coût relatif à l’innovation par rapport aux innovations substitutives, le délai de récupération de l’investissement et la susceptibilité de la technologie aux maladies), les facteurs institutionnels (l’accès aux organismes de crédit, la tenue foncière, la disponibilité et l’accessibilité des marchés des produits et des facteurs, la disponibilité et la qualité de l’information sur les technologies et le développement des activités agricoles) et les facteurs biophysiques (les caractéristiques de la parcelle devant recevoir l’innovation et celles de l’environnement naturel). Toutes ces théories s’accordent sur l’influence des facteurs socioéconomiques, institutionnels, techniques et organisationnels dans

l’adoption d’un paquet technologique. L’étude des déterminants de l’adoption ou non de nouvelles innovations technologies doit prendre en compte l’ensemble de ces quatre catégories de facteurs.