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Théories de Krashen VS équilibre entre l’attention à la forme de la langue et au contenu

CHAPITRE 2 Création des rubriques d’évaluation, d’autoévaluation et de co-évaluation entre pairs

1. Théories de Krashen VS équilibre entre l’attention à la forme de la langue et au contenu

En EMILE on utilise activement une langue étrangère dans le cadre d’une discipline spécifique, pour cette raison il est fondamental que les élèves aient la possibilité de s’exprimer se concentrant sur le contenu sans avoir à trop se préoccuper des erreurs linguistiques, ce qui ne signifie pas que les enseignants ne les repèrent pas et ne les expliquent pas. Au chapitre 6 nous avons en effet vu que la toute nouvelle tendance en EMILE est celle de donner de plus en plus de considération à la dimension linguistique, sans quoi les progressions à ce niveau resteraient mineures par rapport à celles de la discipline. Mais comment décider quelle attention et quel poids donner aux deux composantes de l’EMILE ? Nous estimons que la réponse à cette question pourrait arriver des enseignements de Confucius, « Appliquez-vous à garder en toute chose le juste milieu » ou du poète Ovide, « Tenez-vous prudemment entre les deux extrêmes. Marchez au milieu ; c’est le plus sûr des systèmes ». Ces deux sages enseignements pourraient nous montrer la bonne voie en EMILE aussi. Si la dimension linguistique doit récupérer du terrain, il faut naturellement faire attention à garder l’équilibre et à ne pas tomber dans le danger de négliger le contenu. Il faut donc arriver à une véritable parité entre langue et discipline sans qu’octroyer plus de place à la réflexion sur la forme de la langue se fasse au détriment du contenu. Cela ne devrait quand même pas représenter un vrai risque, car les enseignants EMILE sont avant tout des enseignants de discipline et de toute probabilité ils n’ont pas envie de trop s’attarder sur des explications linguistiques, surtout dans l’état actuel, donc sans instruments de support. L’idée des

rubriques évaluatives nous est venue justement pour les aider et aussi pour faciliter cette collaboration avec le collègue de L2 qui, pour le moment, ne s’avère pas systématique : les rubriques fournissent des traces écrites sur les performances orales en EMILE qui peuvent ensuite être exploitées pendant des cours de langue.

En soulignant l’importance d’une certaine réflexion sur les erreurs linguistiques, surtout dans la phase finale de l’évaluation, nous confirmons ce que nous avions déjà anticipé au chapitre 6 sur l’évaluation (sous-paragraphe 1.3.) et donc que nous ne sommes pas en total accord avec la

rule of forgetting de Krashen. De la même manière, tout en partageant sa théorie du filtre affectif,

fondamentale en EMILE aussi, nous considérons qu’elle pourrait être nuancée. Comme Krashen nous estimons qu’il est très important de créer dans la classe une atmosphère détendue et collaborative pour motiver les élèves et leur permettre de mieux progresser. Cependant, dans ce cas aussi, nous voyons la bonne voie dans l’équilibre, dans le juste milieu. Nous ne croyons pas que, comme le soutient Krashen, pour éviter le surgissement du filtre affectif qui empêche toute acquisition, il soit indispensable d’ignorer totalement les erreurs linguistiques. En accord avec ce que nous avons affirmé concernant l’importance de la réflexion sur la langue, naturellement nous considérons là aussi qu’il est possible, et même tout à fait souhaitable, d’analyser les erreurs à condition de choisir le bon moment et la bonne attitude. Dans le cas qui nous intéresse plus spécifiquement, celui de l’évaluation à l’oral, nous pensons en effet que le filtre affectif survient en particulier quand les enseignants attirent l’attention des élèves sur leurs faiblesses en les corrigeant trop souvent pendant leurs performances. Une telle attitude ne peut que créer un climat tendu et une anxiété qui le font surgir, car les élèves ont peur de faire des erreurs linguistiques et n’arrivent plus à se concentrer sur le contenu. De cette façon non seulement on empêche la rule of forgetting, puisque les élèves ne sont pas mis dans la condition de pouvoir "oublier" la dimension de la langue étrangère pendant qu’ils s’expriment, mais en plus on fait surgir ce redoutable filtre affectif ! (même si la plupart des élèves qui ont répondu à nos questionnaires ne semblent pas gênés par les interruptions, comme nous le verrons dans les chapitres 1 et 2 de la troisième partie). On peut facilement supposer qu’une analyse de l’erreur à la fin de la performance dans le cadre d’une explication bienveillante pour comprendre son origine éviterait un tel "échec". On pourrait schématiser notre pensée de la façon suivante :

rule of forgetting pendant la performance

À ce propos nous aimerions aussi rappeler une citation de Chnane-Davin et Cuq (2016, p. 102) qui résume à la perfection notre idée de la correction et de l’analyse de l’erreur :

Or, l’analyse des erreurs qui sont dues à des interférences entre la langue maternelle et la langue étrangère et qu’on retrouve dans une interlangue construite par l’ apprenant peut être formatrice lorsqu’on comprend l’origine et les causes de l’erreur.

Et plus loin, à la page 103, ils citent Vygotsky (1997 réed.) :

Le plurilinguisme et l’intercompréhension sont une base d’analyse des erreurs et de leur interprétatio n car on apprend une langue étrangère en s’appuyant sur sa langue maternelle.

À la base de notre travail de recherche il y a l’idée qu’il faut utiliser le plus possible en classe les démarches de l’évaluation formatrice afin de développer chez les élèves une conscience métacognitive. Il est important de pousser les élèves à prendre en charge leur processus d’apprentissage, à se corriger, à s’autoévaluer, à réfléchir davantage sur leurs progressions et leurs difficultés, à analyser et comprendre l’origine de leurs erreurs. Il est donc évident que nous ne pouvons pas être d’accord avec le refus catégorique de Krashen de tout discours sur la langue. Naturellement nous partageons son idée qu’il faut éviter le surgissement du filtre affectif, mais non en refusant de s’occuper de l’erreur, plutôt en choisissant des modalités particulièrement bienveillantes et en faisant attention à ne pas interrompre la communication pour ne pas créer un blocage.

Par rapport à la deuxième citation, même s’il existe des opinions controversées sur l’utilité effective de s’appuyer sur sa langue maternelle pour en apprendre une autre, étant donné que souvent on ne peut s’en empêcher, nous croyons qu’il serait plus intelligent d’apprendre à exploiter au mieux ce contact entre les langues. En effet, nous partageons complètement l’opinion de Chnane-Davin et Cuq qui citent Vygotsky concernant l’intérêt de l’intercompréhension entre les langues. Nous estimons également que l’intercompréhension peut s’avérer une grande aide par rapport à la progression dans les compétences linguistiques et communicatives. La théorie de l’intercompréhension entre les langues voisines est très intéressante, nous avons pu en apprécier personnellement la validité à l’occasion d’un projet Galanet d’intercompréhension entre les langues néolatines auquel nous avons participé en 2007. Nous avions décidé d’approfondir la théorie de l’intercompréhension car nous enseignions à l’époque l’EMILE Histoire dans le Lycée International de Turin : avec ce cours nous voulions avant tout nous former pour aider nos élèves à exploiter la parenté de l’italien et du français pour surmonter leurs difficultés avec les documents

authentiques et avec leur apprentissage en EMILE Histoire en général. Plus récemment dans l’ouvrage de Caddeo et Jamet nous avons pu découvrir des stratégies très utiles pour faire des rapprochements au niveau lexical et syntaxique et apprendre des similitudes récurrentes entre le français et l’italien. Nous estimons qu’on devrait exploiter davantage l’approche de l’intercompréhension dans les écoles, car elle pourrait aider à motiver les élèves avant tout du point de vue linguistique, mais elle pourrait aussi jouer un rôle important dans la promotion du plurilinguisme et la valorisation de l’interculturalité.

Au début de notre travail de recherche notre intuition de nous occuper exclusivement de l’évaluation de l’aspect linguistique de l’EMILE nous avait semblé risquée, ou du moins à contrecourant : finalement nous pouvons affirmer qu’elle s’est avérée cohérente avec la toute dernière tendance en EMILE. Nos préoccupations et nos décisions concernant notre enquête sont également en ligne avec cette importance grandissante de la dimension de la langue, se rattachant donc à la théorie de Swain. Toutefois, tout en nous occupant de ces aspects, nous n’avons jamais oublié qu’en évaluation EMILE il faut garder une grande tolérance envers les erreurs linguistiques et c’est dans cet esprit que nous avons élaboré le questionnaire pour notre enquête et surtout créé nos rubriques évaluatives.