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CHAPITRE 4 Traits pertinents de la méthodologie EMILE

2. L’influence de Krashen sur la méthodologie EMILE

À la base de la méthodologie EMILE il y a la thèse que les élèves apprennent mieux la langue pendant qu’ils sont engagés dans l’apprentissage d’une autre discipline. Comme nous l’avons vu, avec l’EMILE la langue n’est pas un objet d’apprentissage, mais un réel outil de communication. Les apprenants ne se concentrent pas sur la langue, avec ses structures et sa forme, mais ils l’utilisent pour s’exprimer sur d’autres sujets, ils oublient qu’ils sont en train d’acquérir une langue : c’est la célèbre rule of forgetting de Krashen. Stephen Krashen (1982, p. 10) propose aussi l’opposition entre acquisition et apprentissage, « the acquisition-learning

distinction », pour indiquer deux différentes façons pour acquérir/apprendre une langue

étrangère7. Selon sa théorie de l’opposition, l’acquisition est un processus inconscient, semblable à celui d’un enfant qui apprend à parler sa langue maternelle, alors que l’apprentissage d’une langue est conscient, on apprend ses règles et leur fonctionnement. Pour Krashen l’enfant acquière une langue, un adulte l’apprend, mais il affirme que l’acquisition ne se termine pas avec l’enfance. Acquisition et apprentissage coexistent même chez l’adulte : l’aisance dans l’utilisation de la langue appartient à l’acquisition, alors que l’apprentissage a peu à voir avec l’utilisation réelle de la langue. Avec le CLIL on introduit justement un concept plus pragmatique de la langue, en favorisant ainsi un processus qui est plus semblable à l’acquisition qu’à l’apprentissage. Plusieurs chercheurs rapprochent l’EMILE à une approche plus intuitive de la langue comme au moment de l’acquisition de la langue maternelle. C’est aussi l’opinion de Balboni (2013, p. 152) :

Il CLIL si basa sull’assunto che l’esposizione a una lingua, anche se il focus non è sulla lingua stessa, ne migliora comunque la competenza portando ad acquisizione spontanea che poi può anche

7 À part quand nous faisons spécifiquement référence aux théories de Krashen, dans notre thèse

nous utilisons les termes apprentissage et acquisition en tant que synonymes, tout en étant consciente que pour la didactique des langues ces deux termes indiquent deux modalités différentes.

trasformarsi, con alcune focalizzazioni linguistiche, i n apprendimento formale.8

Balboni (2013, p. 152), en soulignant que l’EMILE permet une acquisition spontanée de la langue (sans toutefois oublier l’utilité de « quelques focalisations linguistiques » !), rappelle donc la rule of forgetting de Krashen, qu’il reprend en parlant de certaines démarches utiles à l’élève EMILE :

[…] spesso la richiesta di riassunti brevissimi, talvolta orali e a coppie o in gruppo, può essere utile per focalizzare i contenuti e riutilizzare la lingua applicando la rule of forge tting.9

Bertaux (2000, p. 6) exprime ce même concept :

L’EMILE fournit aux élèves la possibilité d’utiliser une langue étrangère dans un cadre naturel, de telle façon qu'ils oublient rapidement la langue pour se concentrer uniquement sur l'objet de leur apprentissage.

Effectivement la méthodologie EMILE, avec son focus sur la transmission du contenu, répond parfaitement à la rule of forgetting, ou forgetting principle de Krashen qui soutient que l’on acquiert mieux une langue si on oublie qu’on est en train de l’acquérir et même de l’utiliser. Krashen (1982, p. 66) revient sur ce « principe d’oubli » à propos de l’input :

Optimal input focusses the acquirer on the message and not on form. To go a step further, the best input is so interesting and relevant that the acquirer may even "forget" that the message is encoded in a foreign language.10

Krashen utilise le mot « acquéreur » car il veut souligner qu’il s’agit de quelqu’un qui

acquiert la langue, toujours dans l’optique de l’opposition apprentissage/acquisition.

8 « L’EMILE se fonde sur la thèse que la simple exposition à une langue étrangère, même si le focus n’est pas sur la langue, en améliore la compétence linguistique en amenant à une acquisition spontanée qui pourra successivement se transformer grâce à quelques focalisations linguistiques en apprentissage formel ».

9 « […] souvent la demande de brefs résumés, parfois oraux et à deux ou en groupe, peut être utile pour focaliser les contenus et réutiliser la langue en appliquant la rule of forgetting ».

10 « L’input idéal focalise l'apprenant ("acquéreur") sur le message et non sur la forme. Pour

aller plus loin, le meilleur input est si intéressant et pertinent que l'apprenant peut même "oublier" que le message est codé dans une langue étrangère ».

Naturellement pour Krashen (1982, p. 133) quand l’enseignement se focalise sur la structure de la langue on ne satisfait pas le forgetting principle et donc on s’éloigne de l’acquisition. En effet, il déclare :

[…] the goal remains the learning of a specific structure, and because of this it is nearly impossible to satisfy the Forgetting Principle.11

Une autre théorie de Krashen qui a beaucoup influencé l’EMILE est celle du surgissement du filtre affectif (nous l’examinerons dans le détail en particulier au chapitre 6 et dans la deuxième partie au chapitre 2). Nous partageons tout à fait cette idée qu’il est absolument fondamental de permettre aux élèves d’interagir dans une ambiance détendue, faisant donc attention à éviter que le filtre affectif surgisse et nuise à leur apprentissage. Il est important que les élèves EMILE puissent s’exprimer sereinement sur les différentes disciplines ayant la possibilité de se concentrer sur le contenu et sans avoir peur des erreurs linguistiques. Offrant la possibilité aux apprenants d’utiliser réellement la langue pour des objectifs concrets (et non pour apprendre la langue en tant qu’objet), l’EMILE permet un apprentissage de la langue qui se rapproche beaucoup de l’acquisition voulue par Krashen. Les apprenants, effectivement, sont parfois tellement concentrés sur la tâche qu’ils oublient qu’ils sont en train d’utiliser et d’acquérir une langue étrangère (naturellement si l’atmosphère en classe et l’enseignant évitent le surgissement du filtre affectif !). Il y a encore une théorie de Krashen qui bien s’adapte à l’esprit EMILE, à savoir celle qui veut que l’on fasse toujours attention que l’input soit compréhensible pour les apprenants : nous y reviendrons dans le prochain chapitre au paragraphe 6, à propos des stratégies d’étayage en EMILE.

Nous verrons que dernièrement plusieurs spécialistes en EMILE, se rattachant aux théories de Swain, ont remis en question l’application trop rigoureuse des théories de Krashen. Comme nous l’expliquerons, nous partageons tout à fait cette nouvelle tendance de l’EMILE qui veut donner plus d’importance à la forme de la langue. Nous considérons, en effet, que ses théories s’adapteraient davantage à l’EMILE si on les mitigeait. Nous exposerons de quelle façon on pourrait selon nous les réutiliser.

Malgré certaines divergences, nous estimons, néanmoins que les théories de Krashen restent tout à fait fondamentales pour cette méthodologie et reflètent parfaitement son esprit : que ce soit avec sa théorie pour éviter le surgissement du filtre affectif, ou encore avec celle qu’on

11 « […] le but reste l'apprentissage d'une structure spécifique, et pour cette raison, il est presque

vient de voir sur l’importance de toujours rendre les inputs compréhensibles, Krashen montre avoir la même attention que l’EMILE envers la motivation des apprenants.