• Aucun résultat trouvé

Ven en contrôle de gestion

2 Pour une relecture théorique du changement en contrôle de gestion

2.1 La théorie du cycle de vie

2.1.1

La vision programmatique du changement

Le premier moteur du changement discuté par Van de Ven et Poole (1995) est la théorie « cycle de vie ». Elle repose sur la métaphore de la croissance interne (ou croissance organique). Ici, « le changement est immanent ; c’est-à-dire que l’entité en développement

contient à l’intérieur d’elle-même une logique sous-jacente, un programme, ou un code qui régule le processus de changement et le met en mouvement d’un point de départ vers une fin ultérieure qui préfigure déjà dans l’état présent » (Van de Ven, 1992, p. 177). En d’autres

termes, « le changement est inscrit dans un programme qui régule le processus de changement.

Les séquences suivent ce programme. L’état final est connu d’avance, mais plus encore, les séquences de l’évolution vers cet état sont également connues, ainsi que leur ordonnancement »

(Mendez et al, 2010, p.127-128). La métaphore du code génétique guidant le développement de l’embryon (ou de l’organisation) est souvent utilisée pour illustrer la théorie « cycle de vie ». Pour Van de Ven et Poole (1995), les racines de cette théorie se trouvent dans le développementalisme, la biogenèse, l’ontogenèse ou encore dans les théories du développement de l’enfant et du développement humain.

Pour Van de Ven et Poole (1995), ce type de changement amène à un processus de changement formé d’une séquence d’évènements unitaire et conjecturale. Cela signifie tout d’abord que les processus de changement suivent une seule séquence d’étapes ou de phases (séquence unitaire). De plus, les caractéristiques acquises lors d’une étape sont conservées aux stades suivants (processus cumulatif). Enfin, les étapes sont reliées les unes aux autres en ce qu’elles découlent d’un même processus sous-jacent (processus conjectural). Cela s’explique notamment car « la trajectoire vers l’état final est préfigurée et requiert une séquence

d’évènements historiques spécifiques »23 (Van de Ven et Poole, 1995, p. 515). Ainsi, chacun des évènements qui composent le processus de changement « contribue à une partie du produit

final et ils doivent se produire dans un ordre défini car chaque étape prépare le terrain pour

23 Traduit de l’anglais : “There is such a progression because the trajectory to the final end state is prefigured and requires a specific historical sequence of events.” (Van de Ven et Poole, 1995, p. 515)

la suivante »24 (Van de Ven et Poole, 1995, p. 515). Une étape représente donc un préalable nécessaire pour les suivantes. Ici, le rôle de l’environnement extérieur (s’il est pris en compte) est considéré comme secondaire : les évènements qui s’y produisent peuvent « influencer la

manière dont l’entité s’exprime mais ils sont toujours médiatisés par une logique immanente, des règles, ou des programmes qui gouvernent le développement de l’entité » (Van de Ven et

Poole, 1988, p. 37)

Appliquée aux sciences de gestion, la théorie « cycle de vie » explique des changements en termes de règles institutionnelles ou de programme qui exigent des activités de développement dans un certain ordre. Elle peut également expliquer des changements qui suivent une suite d’évènements logique ou naturelle comme, par exemple, les étapes du processus d’innovation de Rogers (1983) (Van de Ven et Poole, 1995). De nombreux chercheurs en management ont mobilisé cette approche dans leurs travaux.

2.1.2

Les limites du changement « programmé » en contrôle de

gestion

Certains travaux en contrôle de gestion ont permis de mettre en évidence la présence de moteur de type « cycle de vie » dans les phénomènes de changement en contrôle de gestion. En effet, dans leur contribution, Chenhall et Euske (2007) identifient une suite logique d’évènements dans le développement des SCG :

« En adoptant une approche de long-terme, nous sommes capables de montrer qu’un même SCG, l’ABCM, peut suivre un cycle de vie qui implique une étape initiale de naissance, où il est adopté avec enthousiasme par les concepteurs, ensuite, les systèmes peuvent souffrir d’atrophie due à un manque de bénéfices pour les utilisateurs mais survivre dans une forme élémentaire, et finalement évoluer vers une étape de renouvellement »25 (Chenhall et Euske, 2007, p. 633)

24 Traduit de l’anglais : “Each of these events contributes a piece to the final product, and they must occur in a prescribed order, because each piece sets the stage for the next” (Van de Ven et Poole, 1995, p. 515)

25 Traduit de l’anglais : “By adopting a long-term approach we were able to show that the same MCS, ABCM, can experience a life-cycle that involves an initial birth stage, where it is embraced enthusiastically by designers , then the systems can suffer atrophy due to lack of benefits to users but still survive in an elemental form, and finally

De leur côté, Teissier et Otley (2012) mettent également en lumière l’importance des développements de type « cycle de vie » des dispositifs de contrôle (en l’occurrence les contrôles techniques) en décrivant un processus de développement composé de trois étapes : (1) la mise en place (implementation), (2) l’amélioration (improvment) et, éventuellement, (3) le retrait (removal). Pour Teissier et Otley (2012) qui mobilisent expressément l’approche théorique de Van de Ven et Poole, le moteur cycle de vie est très souvent utilisé par les chercheurs en contrôle de gestion pour expliquer les phénomènes de changement ; et ce même si les auteurs n’y font pas référence de façon explicite.

Pourtant, de nombreux auteurs remettent en cause la validité des modèles de type « cycle de vie » pour expliquer les dynamiques de transformation du contrôle. Dans son étude historique de l’évolution des systèmes de contrôle chez Renault, Bhimani (1993) démontre que les changements sont rarement calculés et ne suivent pas une évolution linéaire et prédéfinie :

« Les formes de contrôle au sein de Renault seraient apparues en partie comme un produit d'influences historiques extra-organisationnelles révélant un manque de conception calculée. Le fonctionnement des mécanismes de contrôle internes aurait donc été, dans une certaine mesure, façonné par des incidents imprévus et non planifiés, mais qui ont néanmoins affecté et modifié les possibilités organisationnelles sur une période prolongée. Ce qui est évident, c'est que les nouvelles justifications de la réglementation des activités des entreprises ne suivent pas une voie de développement unidirectionnelle. »26 (Bhimani, 1993, p. 37)

Ainsi, l’auteur démontre que les transformations des dispositifs de contrôle ne suivent pas un processus composé d’une suite logique d’étapes prédéfinies. Elles suivent une progression bien plus archaïque soumise à de nombreux aléas, internes ou externes à l’organisation, passés ou présents. Les tentatives de modéliser le changement des dispositifs de contrôle selon une

26 Traduit de l’anglais : “Forms of accounting within Renault are argued to have emerged partially as a product of historical extra-organisational influences revealing a lack of calculated design. The functioning of internal accounting mechanisms is therefore argued to an extent to have been shaped by incidents that were unanticipated and unplanned, but which nonetheless affected and altered organisational possibilities over a protracted period of time. What is evident is that emerging rationales for the regulation of enterprise activities do not follow a unidirectional path of advancement. “(Bhimani, 1993, p. 37)

approche de type « cycle de vie » peuvent dès lors apparaître invalides ou, du moins, insuffisantes. Aussi, ces dynamiques doivent être étudiées sous le prisme d’autres théories :

« Cependant, cette approche est souvent critiquée, en raison de son recours à une métaphore organique (Demers, 2007). Le principal problème est la nature prédéterminée du développement qui suppose que les organisations croissent et évoluent de manière organique (Haire, 1959). Or, les contrôles techniques sont des objets inertes qui ne se développent pas d'eux-mêmes. Par conséquent, l'approche du cycle de vie ne peut expliquer à elle seule comment le changement se produit. Au mieux, elle décrira les différentes étapes du développement (Demers, 2007). »27 (Teissier et Otley, 2012, p. 779)

Pour Teissier et Otley (2012), la théorie « cycle de vie » peut permettre d’identifier des grandes étapes génériques du changement ; mais elle ne permet pas de comprendre pourquoi l’inertie est rompue et comment on passe d’une étape de développement à une autre.