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Pour une clarification sémantique des concepts du management de l’austérité

collectivités territoriales

1 Les fondements conceptuels du management de l’austérité

1.2 Pour une clarification sémantique des concepts du management de l’austérité

Selon le CNRTL, le mot austérité prend son origine au XIIIème siècle. On le retrouve dans les textes religieux, en particulier dans l’Apocalypse et son sens était le suivant :

« caractère de ce qui est sévère, dur ». Le sens de cette notion évoluera et, au XIXème siècle, on l’utilisera comme synonyme des mots « âpreté » ou « aigreur ». De nos jours, dans son acceptation politique et économique, le terme austérité renvoie à une « politique économique

visant à réduire l'ensemble des revenus disponibles pour la consommation, par le recours à l'impôt, au blocage des salaires, à l'emprunt forcé, aux restrictions de crédit et au contrôle des investissements. » (Dictionnaire Larousse).

Au fil du temps, le terme « austérité » s’est teinté de connotations très négatives (Hood et Himaz, 2017). Si bien que de nombreux chercheurs ayant traité de cet objet de recherche ont préféré mobiliser d’autres notions afin de dénuer leurs travaux de toute dimension idéologique. L’un des exemples les plus marquant est celui de Christopher Hood et Rozana Himaz (2017) qui préfèrent parler de « fiscal squeeze » afin de se concentrer sur des aspects purement pratiques et techniques. Le constat posé par Bozeman (2010) de la diversité lexicale observable dans le champ des recherches sur le management de l’austérité n’est plus si surprenant. L’auteur remarquera, par exemple, que le terme de cutback management est tantôt remplacé par les notions de « retrenchment », « scarcity » ou encore de « decline ». Malgré cette diversité terminologique, Bozeman (2010) assimile ces recherches car elles appartiennent toutes à la

« littérature de gestion ayant comme fil conducteur commun l’analyse des temps difficiles et les prescriptions pour les gérer » (p.557). Cependant ces différents termes ne sont pas tout à

fait interchangeables et des différences existent. Il apparaît donc important de prendre le temps de clarifier certaines des notions les plus utilisées dans le champ du management de l’austérité. Le terme d’austérité ne s’est vraiment installé qu’assez récemment dans les recherches en administration publique dans des contributions traitant de la crise économique et financière de 2008 et de ses conséquences (Raudla et al., 2015). Il peut se décrire comme suit :

« La gestion de l'austérité peut être définie comme suit : des réponses exécutives et managériales visant à rétablir l'équilibre budgétaire, dans un contexte d'augmentation des demandes de services [publics] et des

attentes [politiques et publiques] en matière de performance organisationnelle. »58 (Overmans et Noordegraaf, 2014, p. 101)

Il apparaît donc que la notion de management de l’austérité est assez large et englobe un grand nombre de stratégies de réduction de coût, de processus d’optimisations possibles. Aussi, pour Overmans et Noordegraaf (2014), les différentes notions utilisées dans les recherches en management de l’austérité décrivent différents types de réponses (ou stratégies ou tactiques) austéritaires.

La notion la plus proche de celle d’austérité est sans doute le concept de « fiscal squeeze » :

« Par “fiscal squeeze”, nous entendons un type de politique "d'austérité" qui prend la forme d'efforts et d'activités substantiels de la part des gouvernements pour imposer des pertes, absolues ou relatives, à au moins certaines personnes, en augmentant les recettes, en limitant les dépenses ou en combinant les deux. Le mot "substantiel" est là pour signifier un certain seuil - difficile à définir, bien sûr - qui distingue la politique budgétaire normale et quotidienne du "recevoir et dépenser", des épisodes où un réel effort est déployé pour maîtriser les dépenses publiques, augmenter les recettes, ou les deux. »59 (Hood et Himaz, 2017, p. 6)

Pour Heald et Hood (2014) la notion de fiscal squeeze est très proche de celle d’austérité mais elle s’en différencie tout de même en certains points. D’une part, elle est dénuée d’idéologie et ne porte donc pas de connotation positive ou négative comme la notion d’austérité. Deuxièmement, le « fiscal squeeze » ne relève donc pas d’une doctrine mais représente plutôt une solution technique de consolidation fiscale, c’est-à-dire un moyen de réduire le déficit. Pour autant, l’étude de la notion de fiscal squeeze est plus ardue que la simple mesure d’indicateurs

58 Traduit de l’anglais : “austerity management can be defined as: ‘executive and managerial responses, aimed at restoring the fiscal balance, against the background of increasing demands for [public] services and [political and public] expectations of organizational performance” (Overmans et Noordegraaf, 2014, p. 101)

59 Traduit de l’anglais : “By fiscal squeeze we mean a type of ‘austerity’ policy that takes the form of substantial effort and activity by governments to impose absolute or relative losses on at least some people by increasing revenue, restraining spending, or a mixture of the two. The word ‘substantial’ is there to signify some threshold— hard to define, of course—that distinguishes the normal, everyday ‘getting and spending’ politics of the budgetary process from episodes when real effort is exerted to rein in government spending, raise revenue, or both.” (Hood

de résultats financiers. Pour les auteurs, l’annonce est aussi importante que la mise en œuvre réelle de coupes budgétaires ou de nouvelles taxes.

Dans les années 70, les chercheurs employaient davantage le concept de « cutback

management » Le premier à avoir défini clairement la notion de cutback est Charles H. Levine

en 1979 :

« le cutback management signifie la gestion du changement organisationnel vers des niveaux inférieurs de consommation de ressources et d'activité organisationnelle »60 (Levine, 1979, p. 180)

Il présente alors le cutback management comme une (ou plusieurs) tactique(s) permettant de répondre au déclin organisationnel. Il est possible de considérer le cutback management comme un champ de recherche à part entière (Levine, 1978 ; Bozeman, 2010) dans lequel les auteurs se préoccupent de la manière dont une organisation publique « gère » une situation de déclin. Pour Noordegraaf et Overmans (2014), le cutback management est l’une des quatre réponses managériales possibles dans le cadre du management de l’austérité. Celle-ci se caractérise par son approche court-termiste61 et centrée sur les aspects financiers.

Contrairement aux termes de cutback et d’austerity, le mot « decline » est employé dans la littérature générique et pas uniquement par les chercheurs en administration publique (Bozeman, 2010 ; Pandey, 2010 ; Ruadla et al., 2015). Plusieurs auteurs (Bozeman, 2010 ; Raudla et al., 2015) ont expliqué que les recherches menées dans la littérature générique sur le

« organisational decline » n’avaient qu’un intérêt limité pour l’étude des organisations

publiques. Bozeman (2010) identifie trois dimensions de la littérature sur le déclin des organisations privées qui sont adaptables aux organisations publiques : (a) l’impact du decline

management sur les RH ; (b) le lien entre structure organisationnelle et le decline et (c) le lien

entre decline management et stratégie. Le terme Decline peut être employé de deux façons dans la littérature gestionnaire. Originellement, on parlait de déclin organisationnel (organizational

decline) (Levine, 1978) comme un état de l’organisation. On pouvait alors définir cette notion

de la manière suivante : «Le déclin organisationnel se produit lorsque les performances ou la

60 Traduit de l’anglais : “cutback management means managing organisational change toward lower levels of resource consumption and organizational activity” (Levine, 1979, p. 180)

base de ressources d'une entreprise se détériorent sur une période prolongée »62 (Trahms et al., 2013, p. 1278). Il s’agit d’une conception relativement passive dans laquelle l’organisation subit un état de détérioration de son environnement. Cet aspect a poussé Overmans et Noordegraaf (2014) à considérer le déclin comme une stratégie spécifique du management de l’austérité marqué par «"une réponse réactive visant principalement à réduire (temporairement) les

dépenses, en maintenant généralement le statu quo »63 (p. 101).

Comme le terme de « decline », la notion de « downsizing » ne se retrouve pas uniquement dans des recherches menées dans le champ des sciences administratives. Dans la majorité des cas, on le retrouve dans des contributions traitant d’organisations privées. La notion de downsizing peut souvent être confondue avec celle de decline (Cameron, 1994). Pour Cameron (1994), le downsizing se différencie car il est intentionnel, proactif et décidé par les managers contrairement au decline qui est souvent associé à la perte de part de marché, la perte de revenu ou encore la perte involontaire de ressources humaines. Dès lors, Cameron (1994) définit le downsizing comme « un ensemble d'activités intentionnellement instituées pour

améliorer l'efficacité et la performance organisationnelles qui affectent la taille des effectifs, les coûts et les processus de travail de l'organisation. Il est sous-entendu que la réduction des effectifs est généralement entreprise afin d'améliorer les performances de l'organisation. La réduction des effectifs peut donc être réactive et défensive, ou bien proactive et anticipatrice. L'inefficacité ou les échecs imminents ne sont pas des conditions préalables à la réduction des effectifs. La réduction des effectifs peut plutôt être entreprise lorsqu'il n'existe aucune menace ou crise financière »64 (p. 194). Pour Overmans et Noordegraaf (2014), la notion de downsizing est très peu familière aux organisations publiques. Cependant, les auteurs la considèrent comme l’une des quatre stratégies du management de l’austérité. Pour eux, cette approche implique de nombreux changements au sein de l’organisation : « Si le fonctionnement, la technologie et la

62 Traduit de l’anglais : “Organizational decline occurs when a firm’s performance or resource base deteriorates over a sustained period of time” (Trahms et al., 2013, p. 1278)

63 Traduit de l’anglais : “a reactive response predominantly aimed at the (temporary) reduction of expenditure, generally maintaining the status quo.“

64 Traduit de l’anglais : “an intentionally instituted set of activities designed to improve organizational efficiency and performance which affect the size of the organization’s workforce, costs, and work processes. It is implied that downsizing is usually undertaken in order to improve organizational performance. Downsizing, therefore, may be reactive and defensive, or it may be proactive and anticipatory. Ineffectiveness or impending failures are not prerequisites to downsizing. Rather, downsizing may be undertaken where no threat or financial crisis exist at

structure des organisations restent rarement les mêmes en cas de réduction des effectifs et de downsizing, la réduction des effectifs est fortement associée au changement organisationnel »65

(p. 102).

Souvent utilisé pour définir les politiques de réduction de l’État Providence comme celle menée par Thatcher et Reagan (Pierson, 1994), le terme de « retrenchment » peut s’entendre comme un synonyme de l’austérité. Il est également parfois utilisé indifféremment des termes de « cutback » ou « decline » (Levine et al, 1981). Le travail de Pierson (1994) sur le « retrenchment » est l’un des plus marquants. Il explique alors que ce mot doit s’entendre dans une perspective globale qui ne se limite pas à l’étude des coupes réalisées mais bien par une approche globale qui analyse la manière dont l’État (central ou local) change dans son ensemble, tant dans sa manière de produire d’agir sur son environnement que dans ses impacts sur celui-ci. Pour Noordegraaf et Overmans (2014), le "retrenchment" est également une stratégie du management de l’austérité caractérisée par une approche proactive et financière.

Peu utilisée par les auteurs anglo-saxons, la notion d’optimisation est pourtant très présente dans les littératures académiques et professionnelles francophones. Si elle n’est pas directement liée à la crise et à la réduction de coût, l’optimisation apparaît comme une solution technique contrairement à l’austérité considérée comme une solution idéologique. Bouckaert et Halligan (2015) ont identifié cinq possibilités d’optimiser l’action publique. S’ils ne parlent pas explicitement d’optimisation, les auteurs identifient des moyens pour augmenter le ratio entre les intrants et les extrants de l’action publique. Les cinq solutions identifiées sont les suivantes : (1) faire plus avec moins, (2) faire beaucoup avec plus, (3) faire plus avec autant, (4) faire autant avec moins et (5) faire moins avec beaucoup moins.

65 Traduit de l’anglais : “While operation, technology and structure of organizations seldom remain the same when downsizing and repositioning occurs, downsizing is strongly associated with organizational change” (Overmans et Noordegraaf, 2014, p. 102)

Concept Origine Période Éléments de définition majeur(s) Auteur(s) Cutback management Littérature en sciences administratives

Fin des années 70 à la suite de la crise

- Peut définir un champ théorique traitant des réponses des organisations publiques en déclin

- Peut également décrire un type donné de tactique austéritaire (selon Noordegraaf et Overmans, 2014) Levine, 1978, 1979, 1980 Decline Littérature générique en management et recherches en sciences administratives

Fin des années 70 à la suite de la crise

- Peut être défini comme un état d’une organisation dont les ressources ou les performances diminuent sur une période de temps soutenue

- Peut également décrire un type donné de tactique austéritaire (selon Noordegraaf et Overmans, 2014) Levine, 1978 Downsizing Surtout dans la littérature générique en management et plus récemment dans les sciences

administratives

Années 90 autour de grandes

démarches de downsizing de grandes entreprises (General motors, Boeing, General Electric…)

- Peut être défini comme une action volontariste d’une organisation

souhaitant augmenter son efficience en agissant sur ses effectifs, ses coûts ou ses processus. La spécificité du downsizing est qu’il ne se fait pas obligatoirement en réponse à une crise.

- Peut également décrire un type donné de tactique austéritaire (selon Noordegraaf et Overmans, 2014) De nombreux auteurs en management : Cameron, 1994 ; Dougherty et Bowman, 1995 etc. Retrenchment A la croisée des sciences administratives, politiques et économiques

Utilisé dans les années 80 par Levine mais réellement exploré dans les années 90 avec les travaux d’analyses rétrospectifs des politiques menées par Reagan et Thatcher.

- Souvent utilisé pour décrire les politiques de réduction de l’État providence (notamment celles de Thatcher et Reagan).

- Parfois utilisé comme synonyme d’austérité ou de cutback (Levine, 1982) - Peut également décrire un type donné de tactique austéritaire (selon

Noordegraaf et Overmans, 2014)

Pierson, 1996

Fiscal squeeze Sciences administratives Années 2010 dans des travaux récents Utilisé comme synonyme d’austérité mais sans les connotations négatives

Heald et Hood, 2014 ; Hood et Himaz, 2017

Austérité Sciences

administratives

Années 2010 après la crise financière et économique de 2008

- Peut être utilisé pour décrire un champ théorique des sciences

administratives traitant des organisations publiques en période de crise - Souvent rattaché à une idéologie néo-libérale et porteur de connotations

négatives

Raudla et al., 2015

Dans le cadre de notre recherche, nous utiliserons la notion d’austérité pour parler d’un contexte particulier et de ses conséquences managériales pour les organisations publiques. Nous avons choisi de privilégier ce concept pour sa capacité à englober l’ensemble des recherches menées sur le management des crises et du déclin dans les organisations publiques. De plus, elle est aisément compréhensible et permet de poser clairement les enjeux du contexte. En effet, l’utilisation de cette notion dans les publications à destination du grand public la rend relativement lisible. D’autre part, bon nombre des contributions académiques actuelles portant sur ces thématiques s’articulent autour de cette notion d’austérité. Notons que nous pensons que celle-ci peut être utilisée de manière neutre et en la dissociant de ses connotations négatives. Ainsi, dans le cadre de nos travaux et dans la lignée de Overmans et Noordegraaf (2014), nous ne verrons pas en la notion d’austérité un vecteur d’idéaux néolibéraux mais davantage un moyen d’ancrer nos réflexions dans le champ théorique global, intégrant des recherches sur des thématiques similaires mais marqué par un éclatement lexical (Bozeman, 2010). Dès lors, des contributions traitant de la gestion du déclin, du « cutback management », de « fiscal squeeze » ou encore de « downsizing », du moment où elles traitent d’organisations publiques, sont inscrites dans le champ du management de l’austérité.

Nous considérerons ici que la définition du concept de management de l’austérité est en réalité très proche de celle de cutback management donnée par Charles H. Levine (1979). Selon nous, dans un contexte de crise, elle décrit l’ensemble des actions prises par les managers d’une organisation publique pour faire face aux difficultés et amener l’organisation vers un niveau moins consommateur de ressources. Cela peut impliquer un ensemble de stratégies et de tactiques ayant été, pour un certain nombre d’entre elles, étudiées dans des contributions scientifiques.

Les controverses lexicales et sémantiques ayant été clarifiées, il s’agit désormais pour nous de revenir sur les apports de la littérature existante sur le management de l’austérité. Ces éléments feront l’objet d’un développement spécifique dans la partie suivante.

2 Les organisations publiques dans la crise :