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Ven en contrôle de gestion

2 Pour une relecture théorique du changement en contrôle de gestion

2.4 La théorie évolutionniste

2.4.1

La vision darwinienne du changement

La théorie évolutionniste selon Van de Ven (1992) et Van de Ven et Poole (1996) est inspirée des sciences naturelles. Le moteur de changement évolutionniste se caractérise par un changement continu reposant sur trois mécanismes (1) la variation (création de nouvelles formes en compétition les unes avec les autres), (2) la sélection (l’environnement sélectionne la forme optimale) et (3) la rétention (effort pour maintenir certaines formes) (Van de Ven, 1992 ; Van de Ven et Poole, 1996 ; Mendez et al, 2010). La théorie évolutionniste implique un changement cumulatif avec la notion de caractéristiques héritées. Mendez et al(2010) insistent sur cet aspect fondamental de l’évolutionnisme appliqué aux organisations en reprenant notamment l’idée de dépendance au sentier. Pour eux, « les voies que l’on pourra emprunter

33 Traduit de l’anglais : "When a control caused too much dissatisfaction, meetings were organized between users and implementers to discuss the new control and emails were exchanged on a frequent basis between entities

demain dépendent d’un répertoire forgé par le passé » (p. 130). Les auteurs expliquent que « face à une situation nouvelle, l’organisation va puiser dans son répertoire certaines routines ou compétences et les tester. Si elles permettent à l’organisation d’être efficace, ces routines vont être conservées (sélection) et renforcées grâce à de nouveaux apprentissages (rétention) »

(p. 130-131).

Pour Van de Ven et Poole (1995), la variation constitue la création d’une nouvelle forme d’organisation qui peut, au départ, émerger par hasard ou par chance. La sélection de cette nouvelle forme passe alors par « la compétition pour des ressources limitées et

l’environnement sélectionne les entités les plus adaptées aux ressources disponibles dans une niche de l’environnement » (p. 518). La rétention implique des forces qui « perpétuent et maintiennent certaines formes organisationnelles » (p. 518). La théorie évolutionniste

s’applique différemment selon que l’on raisonne à l’échelle d’un individu ou d’une population. La théorie évolutionniste revêt un caractère prescriptif car, à l’échelle d’une population, on peut prévoir les dynamiques et les changements. Les individus d’une même population occupant une même niche de l’environnement partageront les mêmes caractéristiques :

« Ce moteur est prescrit dans le sens où l'on peut spécifier les probabilités actuarielles de l'évolution des caractéristiques démographiques de la population des entités occupant une niche. Bien que l'on ne puisse pas prédire quelle entité survivra ou échouera, la population globale persiste et évolue dans le temps, en fonction de la dynamique de population spécifiée. »34 (Van de Ven et Poole, 1995, p. 518)

Van de Van et Poole (1995) expliquent qu’il existe des théories alternatives de l’évolution qui se différencient par leur position sur les questions de l’héritage des caractéristiques, du taux de changement et de l’unité d’analyse. Les auteurs expliquent que, dans une perspective darwinienne, les caractéristiques sont héritées au travers d’un processus intergénérationnel. A l’inverse, dans une vision lamarckienne, les caractéristiques sont acquises à l’intérieur d’une génération à travers l’apprentissage et l’imitation (Van de Ven et Poole,

34 Traduit de l’anglais : “This motor is prescribed in the sense that one can specify the actuarial probabilities of the changing demographic characteristics of the population of entities inhabiting a niche. Although one cannot predict which entity will survive or fail, the overall population persists and evolves through time, according to the specified population dynamics.” (Van de Ven et Poole, 1995, p. 518)

1995, p. 519). Pour Van de Ven et Poole (1995), cette deuxième perspective paraît plus adaptée aux études portant sur les organisations. Concernant le taux d’évolution, Darwin et ses tenants considèrent que l’évolution est un processus continu et graduel. Pour Darwin, une modification

« importante et soudaine » est en réalité le fruit d’une accumulation de « variations légères, successives et favorables ». Pour d’autres auteurs tels que Gould, l’évolution est constituée de

saltations ponctuées par des états d’équilibres. Appliqué aux recherches en management, ce débat est surtout empirique et ne change pas réellement l’interprétation de la théorie de l’évolution (Van de Ven et Poole, 1995). La dernière disparité entre les grandes approches évolutionnistes concerne l’unité d’analyse employée. L’école darwinienne se place à un niveau d’analyse individuel : c’est la sélection naturelle qui trie les variations grâce à la différence entre le nombre de naissances et de morts des individus. Gould complète cette vision en adoptant également une unité d’analyse collective : à l’échelle d’une population des mécanismes de spéciation peuvent permettre de créer une nouvelle espèce ou un sous-genre. Cette deuxième perspective permet, dans les recherches en management, d’affiner l’étude de l’évolution des populations organisationnelles en offrant la possibilité d’identifier des sous-groupes ou même d’identifier les moments où de nouvelles formes d’organisations se créent.

2.4.2

Le changement par la diffusion des transformations en

contrôle de gestion

La théorie évolutionniste transparait au travers de très nombreuses recherches en contrôle de gestion. Elle se focalise sur un individu (à l’intérieur d’une organisation) ou bien sur l’ensemble d’une population (un groupe d’organisations). Les très nombreux travaux mobilisant des approches institutionnelles ou contingentes s’inscrivent dans une vision évolutionniste du changement en contrôle de gestion.

Les contributions mobilisant la théorie de l’ancienne économie institutionnelle représentent une première illustration de la théorie évolutionniste en contrôle de gestion. Le modèle de Burns et Scapens (2000) – développé à partir de la théorie de la structuration de Giddens - constitue une illustration de la boucle de variation-sélection-rétention caractéristique des théories évolutionnistes. Ils expliquent que le changement intervient « par le haut » lorsqu’une « institution » impose une transformation des « règles » de l’organisation. En cela, ils démontrent le pouvoir de l’environnement institutionnel sur le contrôle organisationnel. Mais surtout, les auteurs expliquent aussi que des changements peuvent intervenir « par le bas »

lorsque les actions des acteurs modifient les « routines » de l’organisation. Ici, une modification des routines peut intervenir (variation). Cette « variation » peut devenir suffisamment importante pour modifier de façon importante l’action des individus (sélection). Ensuite, un mécanisme de reproduction de l’action concourt à la consolider dans le temps (rétention) (Burns et Scapens, 2000 ; Soin et al., 2002).

Les nombreuses recherches en contrôle de gestion mobilisant la théorie de la contingence mettent en lumière l’importance de l’adaptation des SCG à leur environnement

(notion de « fit »). Historiquement, ce type d’approche a été massivement employé par les

auteurs en contrôle de gestion ayant mobilisé les théories de la contingence (Otley, 1980, 2016 ; Malmi et Brown, 2008 ; Grabner et Moers, 2013). Pour Otley (1980, p. 413) « une théorie de

la contingence doit identifier les aspects spécifiques d'un système de contrôle qui sont associés à certaines circonstances définies et démontrer une correspondance appropriée »35. Dès lors, l’évolution des SCG s’étudie ponctuellement, par l’analyse des variations des facteurs de contingence nécessitant une adaptation des SCG. Dans la théorie de la contingence, le design et l’utilisation des systèmes de l’organisation sont liés à des facteurs environnementaux (Burns et Stalker, 1961). Les approches contingentes des SCG reposent sur la notion centrale de « fit » (Grabner et Moers, 2013). Les SCG doivent rechercher le meilleur « fit » avec l’environnement c’est-à-dire être adaptés avec les caractéristiques de l’environnement organisationnel. En cela, l’approche contingente fait très fortement écho à la théorie évolutionniste qui pose que l’environnement sélectionne les entités les plus adaptées aux ressources disponibles dans une base environnementale (Van de Ven et Poole, 1995).

De nombreuses recherches en contrôle de gestion ayant utilisé des approches contingentes, de multiples facteurs de contingence des SCG ont été identifiés et étudiés par les chercheurs. Plusieurs contributions ont proposé une synthèse de ceux-ci (on retrouve parmi les plus célèbres celle de Otley, 1980, 2016 et celle de Chenhall, 2003). David Otley (2016) propose une synthèse des facteurs de contingence des SCG traités dans la littérature au cours des dernières années. Il identifie ainsi cinq grandes familles de facteurs influençant le design et l’utilisation des systèmes de contrôle : (1) le recours à des mesures financières de la

35 Traduit de l’anglais : “[…] a contingency theory must identify specific aspects of an accounting system which are associated with certain defined circumstances and demonstrate an appropriate matching”

performance3637, l’incertitude et l’hostilité de l’environnement38, la stratégie39, la culture40 et l’efficacité41.

Les travaux mobilisant une approche néo-institutionnelle mettent également en lumière les phénomènes d’isomorphisme qui poussent les organisations vers des changements similaires. En effet, la théorie néo-institutionnelle cherche à expliquer l’homogénéité visible entre les structures et les systèmes des organisations observables à l’intérieur d’un environnement (Alsharari et al., 2015). Les organisions sont en recherche de légitimité vis-à-vis de leur environnement et de leurs partie-prenantes car celle-ci leur apparait nécessaire pour leur survie. Pour obtenir et conserver cette légitimité, elles doivent se conformer à ce qui est attendu d’elles et les « institutions », en fixant des règles, des structures et des procédures constituent des supports de légitimé (Di Maggio et Powell, 1983). Ainsi, certaines caractéristiques sont appelées à se répandre à l’ensemble d’une population organisationnelle. Les organisations ne se conformant pas aux « instituions » dominantes risquent de perdre leur

36 Traduit de l’anglais : Reliance on accounting performance measures (RAPM) (Otley et Fakiolis, 2000)

37 Le type de mesure de la performance mise en place par une organisation a été souvent étudié dans les recherches en contrôle de gestion. Cependant, les conclusions des contributions ayant traité de l’influence du type de mesure sur l’usage des systèmes des contrôle ont souvent été contradictoires. Otley (2016) soutient tout de même que l’utilisation massive de mesures financières de la performance aura de fortes chances d’entrainer des comportements déviant dans l’utilisation des SCG.

38 L’incertitude et l’hostilité de l’environnement constituent des facteurs de contingence maintes fois étudiés dans les recherches en management. Si les deux variables semblent liées, elles ont des effets radicalement différents sur le design des MCS (Otley, 2016). Un environnement hautement incertain requerra des systèmes flexibles et adaptables tandis qu’un environnement fortement hostile favorisera un renforcement des contrôles financiers (Otley, 2016). La coexistence fréquente dans l’environnement d’éléments relatifs à l’incertitude et à l’hostilité pose la question des évolutions du design des MCS observables dans de telles situations (Chenhall, 2007).

39 Si l’influence de la stratégie sur les mécanismes de contrôle des organisations a fait l’objet de nombreuses contributions, les caractérisations précises de ce type de liens demeurent relativement cacophoniques. Elles dépendent en effet de la catégorisation choisie pour appréhender les différentes approches stratégiques d’une structure (Otley, 2016). Mais, au-delà des écarts dans le choix des cadres d’analyse stratégique, le manque de consensus dans la caractérisation des MCS explique lui-aussi la fragmentation et le manque de cohérences de recherches traitant du lien stratégie-MCS.

40 Si David Otley (2016) compte près de 25 articles ayant traité des relations entre la culture (souvent nationale) et le design et l’utilisation des MCS, il affirme, là encore, que les résultats de ces études ne sont pas généralisables. Il identifie deux raisons à cela. Premièrement, la culture nationale est un stéréotype trop général pour représenter fidèlement la culture des employés d’une organisation. Deuxièmement, la culture interne d’une organisation aura également un rôle très important sur le design et l’utilisation des MCS.

41 Là encore, il apparaît difficile pour Otley (2016) de faire émerger des tendances solides de la multitude de recherches menées sur l’influence de l’efficacité sur le design et l’utilisation des MCS. Cela est dû en partie aux écarts importants dans la définition que les différentes contributions donnent à l’efficacité. Dans la plupart des cas, les auteurs se sont basés sur la performance financière (profit, retour sur investissement). Pour Otley (2016),

légitimité et de disparaître. Cela illustre la capacité du poids de l’environnement sur la diffusion de nouvelles caractéristiques à l’échelle d’une population. En cela, les travaux traitant du changement en contrôle de gestion au travers de la théorie néo-institutionnelle renvoient à une vision évolutionniste de ce phénomène.

Il apparaît donc que de nombreuses contributions – même si elles ont été menées sous des approches théoriques différentes – mettent en avant l’importance de la théorie évolutionniste dans les phénomènes de changement en contrôle de gestion. Les contributions mobilisant l’ancienne économie institutionnelle montrent que des variations dans les pratiques de contrôle peuvent apparaître et, à force d’être reproduites, devenir une nouvelle règle puis institution (rétention). Les recherches menées dans le champ de la contingence insistent sur le pouvoir de l’environnement pour sélectionner les organisations les mieux adaptées. Enfin, les contributions mobilisant la théorie néo-institutionnelle insistent sur la capacité d’une modification à se diffuser à l’ensemble d’une population.

3 Pour une modélisation processuelle du

changement en contrôle de gestion basée sur les