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2. Cadre théorique

2.3. Climat motivationnel et besoins psychologiques fondamentaux

2.3.2. La théorie des buts d’accomplissement

La TBA (Ames, 1992 ; Nicholls, 1984), théorie majeure issue de la psychologie sociale

des dernières décennies, a été initialement appliquée au champ de l’éducation, puis beaucoup

utilisée le contexte du sport (Roberts, 2012) et de l’EPS (e.g., Jaitner et al., 2019). De plus, cette

théorie tend à être de plus en plus considérée comme une théorie intégrée à celle de la TAD

(e.g., García-González et al., 2019). C’est à ce titre que nous avons également décrit la

complémentarité de la TAD et de la TBA.

La TBA a postulé que tout individu souhaitait « développer ou manifester – à soi ou aux

autres – une compétence élevée et éviter de paraître incompétent » (Nicholls, 1984 ; p. 328).

Le sentiment de compétence de l’individu et la manière dont sa compétence est jugée, peuvent

induire différentes conséquences cognitives, affectives et comportementales. Il existe deux

manières de développer ou manifester – à soi ou aux autres – une compétence élevée (Nicholls,

1984). La première manière de juger la compétence consiste à apprécier le niveau de maîtrise

de l’individu dans une situation précise. Les individus qui adhèrent à cette vision, se sentent

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compétents lorsqu’ils progressent par rapport à des critères auto référencés (i.e., l’évolution

dans le temps de leur propre performance). Leurs objectifs sont associés à des buts de maîtrise

et à leurs progrès personnels, plutôt qu’à une démonstration de leur supériorité sociale. La

supériorité sociale est la seconde vision de la compétence que propose la TBA. L’individu se

sent compétent en s’appuyant sur des critères externes, en comparant ses efforts et ses

performances à celles des autres et en se situant sur des barèmes normatifs. Les objectifs sont

associés à des buts de performance et à la valorisation de leur ego.

À travers cette vision dichotomique que propose la TBA, c’est le désir de démontrer sa

compétence qui permet de distinguer les buts motivationnels. Cette conceptualisation théorique,

qui ne considère finalement que les tendances motivationnelles d’approche, a été remise en

question au profit d’une considération des stratégies motivationnelles d’évitement, soulignant

le désir de masquer son sentiment d’incompétence. L’élargissement de ce cadre théorique a

proposé un modèle 2 × 2 des buts d’accomplissement. Ce modèle a combiné la dualité des

comportements d’approche / évitement, et la dualité de la vision de la compétence axée sur la

maîtrise de la tâche / axée sur l’ego et la performance (Elliot & McGregor, 2001). Plus

récemment, le modèle 3 × 2 des buts d’accomplissement a précisé deux orientations possibles

au sein des buts de maîtrise (Elliot et al., 2011). Ce renouveau théorique a ainsi identifié six

buts d’accomplissements. Trois buts ont été associés à une tendance d’approche : le

tâche-approche (e.g., faire la tâche correctement), le soi-approche (e.g., faire mieux qu’avant),

l’autrui-approche (e.g., faire mieux que les autres). Trois autres buts ont été associés à une

tendance à l’évitement : le tâche-évitement (e.g., éviter de faire la tâche de façon incorrecte), le

soi-évitement (e.g., éviter de faire pire qu’avant) et l’autrui-évitement (e.g., éviter de faire pire

que les autres ; Elliot et al., 2011). En somme, plusieurs individus exposés à une même

situation, peuvent poursuivre un même objectif mais avec des buts d’accomplissement très

différents. La détermination de l’orientation de ces buts motivationnels est sujette à l’influence

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de divers facteurs tels que le sentiment de compétence, les caractéristiques

sociodémographiques, ou encore les conditions socio-environnementales (Elliot, 1999 ;

Lochbaum et al., 2017)

Selon Nicholls (1984), les buts d’accomplissement poursuivis sont principalement le

fruit de l’interaction entre les caractéristiques dispositionnelles de l’individu à juger sa propre

compétence (i.e., par rapport à la tâche, à soi ou aux autres) et les caractéristiques situationnelles

du contexte de réalisation (e.g., travail, école, sport). La TBA a distingué deux types de contexte

relatifs au climat motivationnel, dans lesquels l’enseignant jouait un rôle central à travers sa

propre manière de juger la compétence (Cury et al., 2002). Ces deux contextes, qui

s’opérationnalisent lors des consignes, des feedbacks, ou encore du type d’exercice

proposé, sont : le climat motivationnel de maîtrise et le climat motivationnel de compétition.

Le climat de maîtrise valorise les buts de maîtrise, les efforts et le progrès personnel. Tandis

qu’un climat de compétition valorise la comparaison aux autres, et l’atteinte de résultats

normatifs. Ces deux climats sont identifiables à l’aide de l’acronyme TARGET (tableau 2 ;

Epstein, 1988 ; Maehr & Midgley, 1991). Cet acronyme permet notamment de cibler les

différents leviers pédagogiques conduisant à créer un climat motivationnel de maîtrise ou de

compétition : le type de tâche proposée (T), le style d’autorité adopté (A), la manière de

reconnaître les efforts (R), les stratégies de groupement des élèves (G), les modalités

d’évaluation choisies (E), la gestion du temps accordé aux élèves (T)

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Tableau 2. Résumé des caractéristiques et des stratégies d’un climat de maîtrise versus de compétition par le prisme du TARGET

CLIMAT DE MAÎTRISE CLIMAT DE COMPETITION

Focalisation Stratégies Stratégies

Tâche Nature et valeur de

l’apprentissage

- Proposer des exercices qui posent des défis à tous les

élèves

- Insister sur les buts et objectifs de l’apprentissage

- Insister sur le plaisir d’apprendre

- Tous les élèves pratiquent la même tâche

- Insister la nécessité de réussir l’exercice

- Insister sur l’importance d’être le meilleur ou le moins bon

Autorité Participation des

élèves dans les prises

de décision concernant

l’apprentissage

- Fournir des opportunités de développer la responsabilité

- Développer les compétences à s’autoréguler

- Prendre toutes les décisions

- Ne laisser aucune marge de manœuvre personnelle à

l’élève

Reconnaissance Renforcement des

comportements

valorisés par

l’enseignant

- Reconnaître tous les élèves (pas uniquement les plus forts)

- Reconnaître les progrès personnels dans la maîtrise

- Reconnaître les efforts réalisés

- Renforcer les feedbacks positifs

- Valoriser uniquement les élèves en réussite

- Considérer la réussite par rapport aux autres

- Ne considérer que le résultat final et ignorer les moyens

mis en œuvre pour y parvenir

- Privilégier les feedbacks négatifs

Groupement Type d’organisation

des groupes et

conséquences sur la

nature des interactions

- Construire un environnement valorisant tous les élèves,

dans lequel ils ont le sentiment d’apporter une contribution

significative

- Elargir les formes d’interactions sociales, en particulier

pour les élèves en difficulté

- Encourager les valeurs humaines

- Groupes de niveaux explicitement organisés

- Construire un environnement valorisant uniquement pour

les meilleurs

- Encourager la comparaison sociale

Évaluation Types et modalités

d’évaluation / notation

- Délivrée de manière confidentielle

- Augmenter le sentiment de compétence et d’efficacité des

élèves

- Faciliter la prise de conscience des progrès réalisés

- Faire accepter que l’échec fait partie de l’apprentissage

- Délivrée publiquement

- Évaluations basées sur des performances normées

- Souligner les progrès réalisés par rapport aux autres

- Sanctionner l’échec

Temps Gestion du temps pour

atteindre les buts fixés

- Temps flexible

- Améliorer les capacités à s’autogérer

- Privilégier un temps de travail dicté par les besoins des

élèves et leurs tâches d’apprentissage plutôt que par les

programmes

- Ne pas tenir compte des différents rythmes d’apprentissage

- Proposer des tâches de durée identique à tous les élèves

- Rythmer le déroulement de la leçon et faire en sorte que les

élèves n’en décrochent pas

- Répondre aux exigences du programme sans tenir compte

des avancées des élèves

Note. inspiré de Maehr & Midgley (1991), Sarrazin et al.(2006)

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Parmi ces facettes du climat motivationnel selon la TBA, nous pouvons nous attarder

sur l’évaluation. Celle-ci permet effectivement de l’orienter vers des buts de maîtrise ou d’ego,

par l’intermédiaire des modalités de l’évaluation et de l’importance accordée à la note. Pour

tendre vers un climat de maîtrise, l’évaluation doit être délivrée de manière confidentielle,

soutenir le besoin de compétence, faciliter la prise de conscience des progrès réalisés et faire

accepter l’échec comme faisant partie de l’apprentissage (tableau 2 ; Maehr & Midgley, 1991 ;

Sarrazin, Tessier, & Trouilloud, 2006). L’évaluation formative est la forme d’évaluation qui

semble la plus adaptée à ces objectifs pédagogiques (Alcalá et al., 2019 ; Gipps, 2002 ; Morgan,

2017). L’évaluation formative a lieu au cours de l’enseignement et est essentiellement utilisée

pour fournir un retour d’information soutenant le processus d’enseignement et d’apprentissage

(Alcalá et al., 2019 ; Gipps, 2002). Il a notamment été prouvé que l’évaluation formative

soutenait le processus d'apprentissage (Black & Wiliam, 1998 ; Harlen et al., 2002 ; Kwon et

al., 2017 ; Volante & Beckett, 2011). En revanche, pour tendre vers un climat de compétition,

l’évaluation doit être délivrée publiquement, basée sur des performances normées, souligner les

progrès réalisés par rapport aux autres, encourager les rivalités entre les élèves et sanctionner

l’échec (e.g., par la note). L’évaluation sommative est la forme d’évaluation qui permet le

mieux d’appliquer ces principes pédagogiques (Gipps, 2002 ; Morgan, 2017). Elle a

généralement lieu à la fin d’un module d’apprentissage, pour rendre compte de ce que les élèves

ont appris. Cette évaluation se concrétise généralement par une note (Gipps, 2002). Il a été

démontré que l’évaluation sommative agissait négativement sur les besoins psychologiques

fondamentaux, et favorisait des régulations motivationnelles non autodéterminées, en plaçant

la note comme un objectif extrinsèque à atteindre (Krijgsman et al., 2017). Il a également été

rapporté que l’évaluation sommative entraînait des stratégies d'apprentissage de moins bonne

qualité (Benmansour, 1999 ; Harlen et al., 2002 ; Knight, 2002), et un affect négatif plus fort

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(Carless & Lam, 2014), telles que de la peur (Krijgsman et al., 2017), ou encore de l’anxiété

(Black & Wiliam, 1998 ; Harlen et al., 2002).