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2. Cadre théorique

2.2. Les émotions des élèves

2.2.4. Les émotions en sport, à l’école, et en EPS

La littérature scientifique fait été de nombreuses études sur le rôle des émotions dans les

apprentissages. Toutefois, ces connaissances demeurent hypothétiques jusqu’à leur vérification

en contexte écologique (Terré, 2016). En raison de leurs différentes composantes

physiologiques, cognitives et comportementales, les émotions ont occupé une place

grandissante dans les réflexions portant sur la qualité des enseignements scolaires (Pekrun &

Linnenbrink-Garcia, 2014) et des entraînements sportifs (Headrick et al., 2015). Cette intérêt

croissant s’explique en particulier par le rôle clef que jouent les émotions dans les

apprentissages ou même le bien-être des élèves (Pekrun & Linnenbrink-Garcia, 2014 ; Voltmer

& von Salisch, 2017).

Dans le domaine sportif, la littérature semble s’être focalisée sur les conséquences que

pouvaient avoir les émotions dans la performance. Par exemple, de nombreux travaux se sont

intéressés à la relation entre stress et performance sportive. Elle prendrait la forme d’un « U

inversé » (Yerkes & Dodson, 1908) dont le haut de la parabole décrirait une zone de

performance optimale. D’autres théories plus contemporaines ont tenté d’expliquer la relation

stress-performance suggérant la prise en compte d’autres paramètres liés à la tâche et à

l’individu. Par exemple, selon la finesse de l’acte moteur à réaliser, le niveau de stress optimal

pourrait varier, donnant lieu à une schématisation en triple U inversé (Weinberg & Hunt, 1976).

Plus la tâche serait grossière, plus le stress doit être important pour atteindre un optimum de

performance. À l’inverse, plus la tâche sollicite une motricité fine, plus le niveau de stress doit

être faible pour atteindre des performances de réalisation optimales. Par ailleurs, cet optimum

varie en fonction de chaque individu, suggérant que la zone optimale de fonctionnement n’est

pas figée (Hanin et al., 2000). La relation stress-performance dépend donc aussi de facteurs

dispositionnels. Par exemple, un individu dans une tâche donnée, peut atteindre sa zone

optimale de fonctionnement avec très peu de stress tandis qu’un autre a besoin de bien

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davantage. Cette zone optimale de fonctionnement est plus ou moins étendue, permettant à

certains de tolérer différents niveaux de stress, tandis que d’autres n’atteignent un niveau de

performance qu’à partir d’un niveau de stress très précis. Enfin, si le stress et l’anxiété ont

souvent été identifiés comme des émotions particulièrement liées à la performance, des études

se sont portées sur le rôle des émotions en fonction de leur intensité (i.e., actif / inactif), de leur

valence (i.e., positif / négatif) et de leur directionnalité (i.e., facilitant / handicapant ; Jones et

al., 1993). Le rôle des émotions se questionnerait davantage vis-à-vis du ressenti de l’individu.

Chaque émotion, indépendamment de leur valence et intensité, peuvent alors être

potentiellement bénéfiques ou délétères à la performance pour un individu dans une tâche

donnée et à un instant précis (Nicolas et al., 2014). De manière plus spécifique à la relation

entre anxiété et attention, il a été démontré que l’anxiété est liée à des comportements de

rumination, relatifs à des informations non pertinentes et distrayantes pour les athlètes

(McCarthy et al., 2013). Cependant la relation anxiété-attention a fait l’objet d’une théorie

beaucoup plus complexe qu’une simple relation de causalité de l’anxiété vers l’attention. La

théorie du contrôle attentionnel (Eysenck et al., 2007), basée sur la théorie de l’efficacité du

traitement (Eysenck & Calvo, 1992) et validée en contexte sportif (Wilson et al., 2009), a

démontré que l’anxiété interférait avec le contrôle attentionnel, en augmentant l’attention

allouée au traitement des stimuli potentiellement menaçants. Selon la théorie du contrôle

attentionnel (Eysenck et al., 2007), de nombreuses études dans le contexte du sport ont montré

que l’anxiété favorisait la fixation de l’attention sur des stimuli menaçants ou non pertinents

(e.g., Wilson et al., 2009).

Dans le contexte éducatif, les recherches portant sur le vécu émotionnel ont suggéré que

la classification 2 × 2 de l’approche dimensionnelle (i.e., dimension de valence et d’activation)

pouvait être enrichie (Pekrun, 2006). La théorie des émotions d’accomplissement a donc

proposé une taxonomie 3 × 2, ajoutant aux caractéristiques de valence et d’intensité / activation,

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la notion « d’objet » qui trouvait tout son sens dans le contexte scolaire (Pekrun, 2006). Cette

théorie a postulé que les émotions ressenties par les élèves pouvaient provenir de l’activité

réalisée ou du résultat qui lui était associé. L’émotion liée au résultat peut être liée à une

constatation de ce dernier (i.e., résultat rétrospectif) ou à son anticipation (i.e., résultat

prospectif). À partir de ces trois dimensions (i.e., intensité, valence, objet), une identification

précise des émotions est possible. Cette identification est principalement régulée par la qualité

du sentiment de compétence perçu (Pekrun & Linnenbrink-Garcia, 2012). Par exemple,

l’anxiété y est caractérisée par une valence négative, d’intensité active et liée à un résultat

prospectif. Le plaisir y est, quant à lui, considéré comme une émotion positive, active et liée à

l’activité (Pekrun & Linnenbrink-Garcia, 2012).

Une distinction est cependant nécessaire entre les disciplines scolaires traditionnelles et

l’EPS (communément considérée comme une discipline scolaire à part entière et complètement

à part ; Hébrard, 1986), et entre l’EPS et le contexte sportif. En effet, si le contexte de l’EPS

peut sembler être objectivement le même pour tous les élèves, la manière dont les élèves le

perçoivent et y réagissent reste singulière. Cette particularité en fait autant de situations

différentes et prend tout son sens dans la manière dont les élèves réagissent face à telle ou telle

activité d’apprentissage (Debois, 2007 ; Lave, 1988). Pour certains, l’EPS ne constitue qu’un

cours obligatoire comme les autres, tandis que pour d’autres il s’agit d’un lieu de défoulement,

d’amusement, d’apprentissage ou encore de dépassement de soi (Debois, 2007 ; Terré, 2016).

L’évaluation de cette situation dépend de la trajectoire personnelle de l’élève et renvoie à sa

perception coût / bénéfice qu’il peut potentiellement en retirer pour lui-même et son bien-être

(Lazarus, 2000). À partir du moment où quelque chose peut être gagné ou perdu, une émotion

peut être générée (Lazarus, 1991a). De plus, à travers les diverses situations que peuvent vivre

les élèves, de nombreuses réactions émotionnelles sont possibles. Lorsque l’élève perçoit un

danger, lorsqu’il se sent comparé aux autres, lorsqu’il est face à des situations inconnues mais

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aussi lorsqu’il se retrouve en réussite ou qu’il s’amuse, des émotions positives ou négatives

peuvent émerger (Debois, 2007).

Le ressenti d’avant activité semble être principalement conditionné par le type d’activité

proposé à l’élève. L’activité dépend de la pratique sportive support mais aussi de la manière

dont elle est didactisée par l’enseignant pour la rendre accessible à l’élève. Gagnaire et Lavie

(2005) ont ainsi proposé une classification des activités en fonction de deux paramètres

influençant le type d’émotion associé. Le vécu émotionnel ne serait pas le même, selon la

modalité d’obtention de la victoire ou de la réussite (i.e., par la mesure d’une réalisation, par un

score, par la conformité à une production corporelle de référence), et selon la forme donnée à

la pratique (i.e., l’épreuve, le défi, la rencontre). Pendant la réalisation, il semble que le rapport

qu’entretient l’élève avec l’activité et sa capacité perçue à réaliser la tâche demandée

conditionne son vécu émotionnel (Martin-Krumm et al., 2016). Il est ainsi évoqué le besoin

d’un équilibre entre le défi de la tâche et l’habileté perçue, et le besoin d’énonciation d’objectifs

claires et de rétroactions claires et précises pour tendre vers une expérience optimale

(Martin-Krumm et al., 2016). Enfin, l’après activité représente une troisième temporalité durant laquelle

de nouvelles émotions peuvent survenir. Sans avoir été éprouvées dans le contexte spécifique

de l’EPS, les émotions d’accomplissement s’inscrivent assez bien dans cette temporalité en

faisant intervenir la notion de réussite et d’échec dans l’émergence des émotions en EPS

(Tessier & Mascret, 2016).

En outre, une autre particularité du contexte de l’EPS se réfère aux relations

interindividuelles qui s’opèrent au cours de la leçon. Les connotations genrées de certaines

pratiques sportives et artistiques, les dualités confrontation / coopération et individuel / collectif,

font de l’EPS un espace privilégié pour l’émergence d’émotions spécifiques aux relations

sociales (Rull et al., 2016). L’engagement de soi (corporel et identitaire) en EPS rend ainsi

inévitable l’apparition d’émotions en lien avec le groupe social. Il n’est pas rare que les élèves

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aient un sentiment de menace corporelle ou identitaire et que cela ait des conséquences

négatives sur la construction de relations interindividuelles (Rull et al., 2016). Par exemple, il

a été démontré que les filles peuvent ressentir un sentiment de menace affective lors

d’évaluations en sport collectifs. Les filles sont en effet considérées comme moins compétentes

que les garçons dans les sports collectifs (Chalabaev et al., 2009). En cas d’évaluation non

mixte, ce stéréotype devient saillant en facilitant la comparaison filles / garçons, alors facteur

d’anxiété chez les élèves stigmatisées, affectant leurs performances et reproduisant les

inégalités (Rull et al., 2016). En comprenant ces processus liant émotions et relations

interindividuelles, l’enseignant peut tenter de désamorcer l’apparition de ces réactions

émotionnelles négatives (Rull et al., 2016) .

Enfin, Martin-Krumm et al., (2016) ont mis en garde contre une approche simpliste

postulant que les émotions positives favorisaient les apprentissages et que les émotions

négatives les réduisaient. En effet, la réalité du terrain rend le rôle des émotions en EPS plus

complexe que cette simple dualité, en attribuant de potentiels bénéfices aux émotions négatives,

tout en considérant également les émotions positives comme un potentiel frein. Par exemple,

les émotions négatives suscitées par certaines activités (e.g., escalade, natation) permettent de

développer l’intelligence émotionnelle, la gestion des émotions, la connaissance de soi et de

garantir la sécurité dans la pratique (Martin-Krumm et al., 2016). À l’inverse, la recherche

exacerbée d’émotions positives immédiates à l’adolescence (McMakin & Dahl, 2014) peut

conduire à des comportements déviants, potentiellement dangereux. Par exemple, la recherche

de plaisir, par l’intermédiaire de sensations fortes, peut s’avérer à risque dans certaines

conditions qui ne garantissent pas la pleine sécurité du pratiquant (Martin-Krumm et al., 2016).

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2.2.5. Conclusion

L’enjeu de cette section était de présenter les différentes théories des émotions pour en

comprendre les origines, puis les conséquences. Quelle que soit la catégorisation choisie pour

décrire les réactions émotionnelles, la littérature fait état de diverses conséquences

physiologiques, cognitives, comportementales, selon si ces émotions étaient perçues comme

positives ou négatives. Ainsi, nous avons parcouru différents travaux qui permettaient de

préciser la place du vécu émotionnel dans le cours d’EPS. À cette occasion, nous avons pu

constater que certains facteurs socio-environnementaux de la leçon d’EPS (e.g., le rapport à

l’activité, les modalités d’obtention de la victoire) pouvaient influencer ce vécu émotionnel. Il

nous a alors semblé important de comprendre comment nous pourrions optimiser l’expérience

affective et attentionnelle des élèves en EPS. Si cette notion était loin d’être nouvelle (comme

l’indiquaient les programmes actuels intégrant largement la dimension émotionnelle ; Terré,

2016), considérer l’élève « ressentant », plutôt que l’élève « récitant » (Sève, 2016), relevait

d’une certaine complexité. À cet égard, l’enseignant d’EPS a été identifié comme pouvant

influencer les émotions et l’attention des élèves (Debois, 2007 ; Maldonado et al., 2019 ;

Martin-Krumm et al., 2016 ; Ntoumanis, 2005 ; Standage et al., 2005 ; Terré, 2016). Basée sur

les principes de la TAD et la TBA, la section suivante a présenté la notion de climat

motivationnel.

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