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2. Cadre théorique

2.3. Climat motivationnel et besoins psychologiques fondamentaux

2.3.1. La théorie de l’auto-détermination

La TAD est une macro-théorie de la motivation humaine, du développement et du

bien-être, élaborée par Deci & Ryan en 1985, qui n’a eu de cesse de se développer ces dernières

décennies. Ses applications s’étendent au champ d’application de la santé, du travail, de

l’éducation, du sport et de l’EPS (Sarrazin et al., 2011). Cette macro-théorie est composée de

six mini-théories interconnectées au sein d’une vision organismique et dialectique du

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fonctionnement humain, que sont (1) la théorie de l’évaluation cognitive, (2) la théorie de

l’intégration organismique, (3) la théorie des orientations de causalité, (4) la théorie des besoins

psychologiques fondamentaux, (5) la théorie du contenu des buts, et (6) la théorie de la

motivation relationnelle (figure 4). La TAD a considéré que la satisfaction des besoins

psychologiques fondamentaux (i.e., autonomie, compétence et proximité sociale) était

inhérente à l’autorégulation du comportement et au bien-être (Ryan & Deci, 2017). Par ailleurs,

bien que la TAD ait reconnu que chaque individu était par nature « actif, […] porté vers le

développement, [et] la maîtrise des défis issus de l’environnement » (Sarrazin et al., 2011 ; p.

275), elle a soutenu l’idée que les différences interindividuelles étaient en partie définies par

les caractéristiques des environnements sociaux (Sarrazin et al., 2011).

Figure 4. Représentation des six mini-théories de la TAD

Note. Traduit et adapté de Standage et Ryan (2020)

La théorie de l’évaluation cognitive (Ryan & Deci, 2017) a examiné les conséquences

de facteurs environnementaux (e.g., le comportement du superviseur lors de l’exécution d’une

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tâche) qui pouvaient faciliter ou entraver l’expression d’une motivation intrinsèque. La théorie

de l’intégration organismique (Ryan & Deci, 2017) a postulé l’existence de plusieurs

régulations motivationnelles, pouvant se situer sur un continuum d’autodétermination. Chacune

de ces régulations serait fonction du degré d’autonomie versus contrainte avec lequel le

comportement est adopté. La théorie de l’intégration organismique a spécifié les processus

d’intériorisation permettant d’atteindre une motivation entièrement autodéterminée, et en a

souligné les bénéfices. Elle a également décrit les caractéristiques des motivations extrinsèques.

La théorie des orientations de causalité (Ryan & Deci, 2017) s’est appuyée sur les différences

dispositionnelles qui caractériseraient les orientations motivationnelles d’un individu. Le degré

d’autodétermination observé serait, in fine, le fruit de l’interaction entre la personnalité de

l’individu et divers facteurs socio-environnementaux. La théorie du contenu des buts (Ryan &

Deci, 2017) s’est inscrite dans une approche eudémoniste (i.e., principe philosophique selon

lequel le bonheur est le but de la vie humaine), soutenant que le bien-être était avant tout la

conséquence de la nature des buts poursuivis et atteints (i.e., intrinsèque versus extrinsèque).

Cette approche s’est opposée à une approche plus hédoniste (i.e., principe selon lequel la

recherche de plaisirs et l’évitement de souffrances sont les buts de la vie humaine), faisant du

bien-être la simple résultante d’une atteinte d’objectif. Les buts d’aspiration intrinsèque

contribuent à la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux et sont associés à un

bien-être psychologique plus important. Enfin, la théorie de la motivation relationnelle a

suggéré que le besoin de proximité sociale était de nature intrinsèque, expliquant pourquoi tout

être humain était à la recherche de relations étroites avec d’autres personnes signifiantes. La

satisfaction des trois besoins psychologiques fondamentaux, au sein de cette relation, serait

facteur de bien-être et de confiance émotionnelle. Cette mini-théorie a indiqué que la

satisfaction du besoin d’autonomie facilitait la construction du lien social. Les processus liés à

ces trois besoins sont présentés dans la mini-théorie des besoins psychologiques (Ryan & Deci,

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2017). Celle-ci décrit le concept de « besoin psychologique fondamental » comme occupant

une place importante dans la TAD et transcendant l’ensemble des six mini-théories. La théorie

des besoins psychologiques fondamentaux a considéré le besoin d’autonomie, de compétence

et de proximité sociale « comme des nutriments dont la satisfaction [était] essentielle à la

croissance psychologique » (Sarrazin et al., 2011 ; p. 288). La satisfaction de ces trois besoins

psychologiques fondamentaux constitue la base de la motivation autodéterminée (Sarrazin et

al., 2011). Elle est également source d’intégrité et de bien-être (Sarrazin et al., 2011). Ce travail

de thèse s’est fortement ancré dans le cadre heuristique offert par la TAD, qui, à bien des égards,

constituait un modèle fonctionnel dans le cadre de l’EPS. Toutefois, notre réflexion s’est

uniquement portée sur le rôle des besoins psychologiques fondamentaux, et du climat

motivationnel, en se basant respectivement sur la théorie des besoins psychologiques

fondamentaux et la théorie de l’évaluation cognitive.

2.3.1.1. La théorie des besoins psychologiques fondamentaux

Cette mini-théorie a fait le postulat de l’existence de trois besoins psychologiques

universels, équivalents et indépendants (Pittman & Zeigler, 2007), qui faisait le lien entre

l’influence des facteurs socio-environnementaux et la motivation des individus. Ces derniers

sont l’autonomie, la compétence et la proximité sociale (Baumeister & Leary, 1995).

L’autonomie a été définie comme étant le besoin d’un individu d’être à l’origine de son

comportement (e.g., disposer de choix réels, pouvoir partager son avis ; Decharms, 1968). La

proximité sociale renvoie au désir d’être connecté et de recevoir de l’attention par d’autres

personnes signifiantes pour soi, et d’appartenir à un groupe social (Baumeister & Leary, 1995).

La compétence fait référence au besoin d’un individu de se sentir efficace dans ses interactions

avec l’environnement, d’être capable de répondre à ses demandes et de surmonter les défis que

ce dernier propose (Ryan & Deci, 2017). En fonction de leur degré de satisfaction / frustration,

ces trois besoins psychologiques fondamentaux peuvent induire des conséquences cognitives,

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affectives et comportementales différentes. Par exemple, la satisfaction de ces trois besoins

psychologiques fondamentaux participe à une régulation motivationnelle de qualité (i.e.,

autodéterminée ; Ryan & Deci, 2017), plus de bien-être, de proactivité (Vansteenkiste & Ryan,

2013), et un affect positif plus fort (e.g., Reis et al., 2000). A contrario, il a été démontré que la

frustration des besoins psychologiques fondamentaux était associée aux régulations

motivationnelles de faible qualité (i.e., non autodéterminées), et a été identifiée comme facteur

de passivité et de mal-être (Vansteenkiste & Ryan, 2013). En somme, l’allégorie opposant le

côté obscure versus lumineux de l’être humain s’explique en grande partie par la satisfaction et

la frustration de ces trois besoins psychologiques fondamentaux (Ryan & Deci, 2017 ;

Vansteenkiste & Ryan, 2013). Les leviers de satisfaction versus frustration de ces trois besoins

psychologiques fondamentaux ont été identifié par la théorie de l’évaluation cognitive.

2.3.1.2. La théorie de l’évaluation cognitive

La théorie de l’évaluation cognitive a postulé que certains facteurs

socio-environnementaux (e.g., récompenses, évaluations, feedbacks) pouvaient influencer la

régulation motivationnelle d’un individu. Cet effet serait en grande partie médié par la

satisfaction / frustration des besoins psychologiques fondamentaux (Ryan & Deci, 2017). La

théorie de l’évaluation cognitive a généralisé cet ensemble de facteurs socio-environnementaux

sous le concept de climat motivationnel (qui, pour rappel, a été défini comme étant

« l’environnement psychologique de la classe qui orientait les buts et les motivations des

élèves » ; Ames, 1992). Le climat motivationnel a été caractérisé en six dimensions qui

pouvaient satisfaire ou frustrer les besoins psychologiques fondamentaux (figure 5), et pour

lesquelles le style motivationnel de l’enseignant (i.e., ensemble des comportements utilisés par

l'enseignant pour motiver ses élèves à s’engager dans les activités d’apprentissage) jouait un

rôle important (Reeve, 2014). Duda (2013) a nommé empowering l’association des trois

dimensions d’un climat motivationnel contribuant à la satisfaction des besoins psychologiques :

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soutenant de l’autonomie (i.e., satisfait le besoin d’autonomie), structuré (i.e., satisfait le besoin

de compétence) et impliqué (également traduit comme « chaleureux », satisfait le besoin de

proximité sociale ; Smith et al., 2015). Inversement, Duda (2013) a nommé disempowering

l’association des trois dimensions d’un climat contribuant à la frustration des besoins

psychologiques fondamentaux : contraignant (également traduit comme « contrôlant », frustre

le besoin d’autonomie), chaotique (i.e., frustre le besoin de compétence) et négligeant

(également traduit comme « hostile », frustre le besoin de proximité sociale).

Figure 5.Comportements de tout superviseur contribuant à soutenir versus menacer les besoins

psychologiques fondamentaux d’un supervisé

Note. Selon Sarrazin et al. (2011)

Comportements qui soutiennent

la proximité sociale (chaleureux)

•Se préoccuper des soucis /

problèmes de l’autre

•Dispenser de l’attention, des soins

•Posséder une connaissance

minutieuse de l’autre

•Exprimer de l’affection, des liens,

de la compréhension

•Partager des ressources

personnelles, comme le temps,

l’énergie, l’intérêt et le soutien

affectif

PROXIMITÉ

SOCIALE

Besoin d’être connecté à

d’autres personnes, de

recevoir des soins et de

l’attention de celles-ci,

d’appartenir à une

communauté ou un

groupe social

Comportements susceptibles

de soutenir les besoins

psychologiques fondamentaux

Comportements susceptibles de

menacer les besoins

psychologiques fondamentaux

Comportements qui menacent la

compétence (chaos)

•Ne pas communiquer de buts

claires

•Fournir des tâches inadaptées aux

possibilités de chacun

•Ne pas donner d’encouragements ni

de conseils pour progresser

•Délivrer des feedbacks négatifs,

inconsistants et imprévisibles

•Inciter à expliquer les échecs en

terme de causes interne,

incontrôlables et stable

Comportements contraignants

(contrôlant)

•S’appuyer sur des sources

extérieures de motivation

•Utiliser un langage induisant la

pression ou la culpabilité

•Négliger les explications

•Afficher son pouvoir pour mettre

rapidement un terme aux plaintes

et expressions d’affects négatifs

(autoritarisme)

Comportements qui soutiennent

la compétence (structure)

•Communiquer des attentes claires

•Fournir des tâches adaptées,

contenant un défi à surmonter

•Donner des encouragements et

conseils pour progresser

•Délivrer des feedbacks positifs

consécutifs aux tentatives faites

•Expliquer les succès / échecs avec

des causes internes, contrôlables,

instables

Comportements qui menacent la

proximité sociale (hostile)

•Être indifférent aux problèmes de

l’autre

•Ne pas s’occuper des autres

•Exprimer de la froideur voire du

rejet, de l’hostilité

Comportements qui soutiennent

l’autonomie

•Identifier et nourrir les ressources

motivationnelles

•Utiliser un langage flexible

•Fournir des explications

•Reconnaître et accepter les

difficultés et expressions d’affects

négatifs

•Donner des choix véritables

COMPÉTENCE

Besoin de se sentir

efficace dans ses

interactions avec

l’environnement,

d’exprimer ou d’exercer

ses capacités et de

maîtriser les défis

adaptés

AUTONOMIE

Besoin de se sentir à

l’origine de ses actions

plutôt qu’un simple

« pion contrôlé » par

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Bien qu’un climat empowering soit négativement lié à un climat motivationnel

disempowering, ils ne sont pas nécessairement bipolaires, l’un excluant l’autre. En effet, un

enseignant peut adopter un style motivationnel soutenant un besoin et menaçant un autre. Par

exemple, un enseignant peut frustrer le besoin d’autonomie des élèves, en étant contrôlant

durant le cours, mais peut satisfaire le besoin de proximité sociale, en étant chaleureux ou

empathique avant et après le cours (Bartholomew et al., 2010 ; Escriva-Boulley et al., 2018 ;

Smith et al., 2015). In fine, c’est l’interprétation et la perception que se font les élèves de ces

comportements qui leur donnent une valeur (Tessier et al., 2010).

Plus précisément, le besoin d’autonomie est satisfait si le climat motivationnel est

soutenant de l’autonomie. Un tel climat offre de véritables choix aux élèves et repose sur des

sources de motivation internes, une communication de l’enseignant qui aide tous les élèves, des

explications compréhensibles et une reconnaissance des difficultés(Mageau & Vallerand, 2003

; Reeve, 2009). En revanche, le besoin d’autonomie est frustré si le climat motivationnel est

contrôlant. Un climat contrôlant s’appuie sur des sources externes de motivation, une

communication et des feedbacks contrôlant, la non prise en compte ou même le rejet des plaintes

des élèves (Bartholomew et al., 2009). Le besoin de proximité sociale est satisfait si

l’enseignant adopte un style chaleureux. Un style motivationnel chaleureux désigne un

enseignant impliqué, prenant en considération les problèmes des élèves, développant leur

confiance et le respect mutuel. Un style chaleureux se traduit également par un investissement

conséquent de temps, d’énergie et d’intérêt (Escriva-Boulley et al., 2018 ; Smith et al., 2015).

Inversement, le besoin de proximité est frustré si le climat motivationnel est perçu comme

hostile. Au sein d’un climat menaçant le besoin de proximité sociale, l’enseignant est critique,

froid, potentiellement agressif verbalement, et néglige les sensibilités de ses élèves

(Escriva-Boulley et al., 2018 ; Smith et al., 2015). Enfin, le besoin de compétence est satisfait au sein

d’un climat structuré, caractérisé par des objectifs clairs, des buts spécifiques, des tâches

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adaptées au niveau de chacun, des feedbacks positifs et des consignes qui précisent par quels

moyens réussir la tâche (Jang et al., 2010 ; Sierens et al., 2009 ; Smith et al., 2015). En revanche,

le besoin de compétence est frustré si le climat est perçu comme chaotique. Un tel climat

implique une absence de règles, et d’attentes claires. Les élèves sont alors livrés à eux-mêmes

et se sentent incompétents.

Les dernières avancées en termes de définition du climat motivationnel tendent à

considérer une troisième dimension neutre ou impersonnelle (Bhavsar et al., 2019). Ces récents

travaux, réalisés en contexte sportif, ont précisé que les comportements du coach pouvaient être

perçus comme ni soutenant, ni menaçant des besoins psychologiques fondamentaux. La

TBA (Ames, 1992 ; Nicholls, 1984), une autre théorie majeure de la motivation a, quant à elle,

précisé certaines caractéristiques du climat motivationnel.