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2. Cadre théorique

2.2. Les émotions des élèves

2.2.1. L’origine des émotions

Les émotions offrent plusieurs perspectives d’études pour en analyser leur

fonctionnement. Chacune de ces perspectives a donné lieu à des débats scientifiques portant sur

l’origine des émotions, leur classification ou encore leurs relations avec d’autres variables (e.g.,

l’attention, l’apprentissage ou encore la performance sportive). Parmi elles, la perspective

darwinienne a considéré l’émotion comme un processus évolutif au service de la survie de

l’individu. Selon Darwin (1872), les émotions sont universelles et assurent la survie de l’espèce

grâce à leur caractère adaptatif, optimisant les interactions avec l’environnement. La

perspective jamesienne s’est inscrite dans le courant théorique de James (1884) et Lange (1885),

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et a suggéré que les émotions étaient la conséquence de modifications physiologiques liées aux

demandes de l’environnement. Dans cette perspective, l’émotion naît de la perception de ces

modifications physiologiques (e.g., « Je tremble donc j’ai peur »). Ces postulats ont largement

été débattus par l’intermédiaire des travaux de Cannon (1927) et Bard (1928). La perspective

cognitiviste a également ouvert la voie à de nombreuses discussions scientifiques autour du

rapport entre cognition et émotion, principalement animées par les recherches de Lazarus

(1982), dont les conclusions sont contraires à celles de Zajonc (1980). Enfin, la perspective

socioconstructiviste, dont l’ambassadeur fut Averill (1980), considérait les émotions comme un

produit culturel régi par les conventions sociales. Une exploration plus détaillée de ces

différentes perspectives, de leurs hypothèses et de leurs discordes, a apporté à notre réflexion

des points de vue complémentaires, affinant notre compréhension des processus émotionnels.

Les physiologistes de la fin du XIXème siècle et du début XXème se sont questionnés sur

l’origine de l’émotion en se penchant sur le rôle du cerveau dans l’expérience et l’expression

émotionnelle chez l’animal et chez l’homme (Darwin, 1872). Selon la conception

évolutionniste de Darwin (1872), les émotions sont innées, héréditaires et permettent avant tout

à l’individu de s’adapter aux demandes de l’environnement. Bien que contestées par la suite,

notamment sur la question du caractère inné des émotions et du faible poids des normes sociales

et culturelles, ces premiers travaux ont par la suite influencé de nombreux chercheurs qui ont

dépassé l’analyse expressive des émotions proposée par Darwin (1872).

Parmi les premières théories de la psychologie des émotions, celle de James-Lange

(James, 1884 ; Lange, 1885) a postulé que l’émotion était la réponse aux modifications

physiologiques perçues. Plus concrètement, cette théorie a prétendu qu’un individu était triste

parce qu’il pleurait et non qu’il pleurait parce qu’il était triste. Selon cette théorie, les

modifications physiologiques sont l’émotion, et lorsque ces modifications disparaissent,

l’émotion s’évapore à son tour. Bien que considérée comme dépassée, cette théorie présente de

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nombreuses preuves qui abondent en son sens. Par exemple, lorsqu’un individu en colère

parvient à faire abstraction de toutes les modifications physiologiques qui sont associées à cette

colère, ces mêmes modifications finissent par s’estomper, et la colère par disparaître. Pourtant,

la théorie de Cannon-Bard (Bard, 1928 ; Cannon, 1927) a démontré exactement l’inverse de la

théorie de James-Lange (1984, 1985) en postulant que l’expérience émotionnelle pouvait

intervenir indépendamment de l’expression émotionnelle. Cette théorie a prétendu que les

émotions pouvaient être ressenties sans percevoir de modifications physiologiques. Ce postulat

a trouvé son origine dans la difficulté à distinguer des émotions à partir de leur unique

manifestation physiologique. Par exemple, la peur et la colère provoquent une augmentation de

la fréquence cardiaque, des troubles de la digestion et une transpiration accrue. Ces mêmes

modifications physiologiques sont identiques aux symptômes de certaines maladies sans pour

autant générer de la peur ou de la colère. Selon la théorie de Cannon-Bard (1927, 1928),

l’individu n’a pas besoin de pleurer pour ressentir de la tristesse. Au contraire, ce serait cette

tristesse qui déclenche les pleurs. Quoi qu’il en soit, les scientifiques se sont accordés sur le fait

qu’il existait une étroite relation entre l’expérience émotionnelle et l’expression physiologique

(Gross et al., 2000).

Une autre problématique est née dans les années 1980 portant sur les liens entre

cognition et émotion, initiée par les travaux de Zajonc (1980) puis de Lazarus (1982). Zajonc

(1980) a considéré les émotions comme un processus bien distinct de la cognition en faisant

l’hypothèse que les réactions émotionnelles primaient sur les processus cognitifs qui étaient,

eux, beaucoup plus tardifs. Les travaux de Zajonc (1980) se sont ainsi inscrits dans la

perspective darwinienne, en ajoutant que les émotions étaient centrales dans les comportements

de survie de l’individu, en ne laissant pas la place à une évaluation cognitive de la situation,

aussi primaire soit-elle. En revanche, Lazarus (1982) a fait l’hypothèse que toute émotion

nécessitait cognition. En reprécisant la définition de la cognition qu’en avait faite Zajonc

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(1980), Lazarus (1982) a suggéré l’existence de processus cognitifs plus rapides, non

contrôlables et inconscients, ouvrant la voie à une analyse précoce de la situation et des

demandes de l’environnement. Cette analyse précoce produirait alors une réaction

émotionnelle, avant même de devenir consciente. Lazarus (1982) a ainsi postulé que la

cognition primait sur l’émotion, et que les émotions reposaient sur des aspects cognitifs,

motivationnels et relationnels (Lazarus, 1991, 1999, 2000a, 2000b). L’évaluation cognitive

s’effectuerait en deux étapes. Les évaluations primaires consisteraient à déterminer si la

situation compromet ou peut compromettre les objectifs personnels de l’individu. Puis, lors des

évaluations secondaires, l’individu estimerait si à partir de ses ressources personnelles, il peut

exercer un contrôle sur la situation. Les émotions seraient alors définies comme étant le produit

de croyances individuelles relatives à la situation (i.e., probabilités de gains et de pertes

associées à la situation), et à des croyances plus générales (dépendantes de la relation

individu-environnement).

Dans la continuité de ce courant cognitiviste et des théories de l’appraisal, d’autres

chercheurs se sont intéressés au rôle de la cognition et de l’évaluation de la situation dans la

genèse du processus émotionnel. Pour ces différentes théories, l’évaluation cognitive de la

situation est la pierre angulaire du processus émotionnel. Cette évaluation cognitive étant propre

à chaque individu, les émotions qui en découlent dépendent fortement des objectifs, des valeurs

et des besoins de l’individu. Cette approche a permis d’expliquer pourquoi dans une situation

donnée, les émotions ressenties n’étaient pas nécessairement les mêmes entre deux individus.

Cette perception subjective de l’événement agit sur la valence et l’intensité de l’émotion

ressentie. Parmi les théories qui se sont inscrites dans cette approche cognitiviste, la théorie de

Arnold (1950) a été la première à suggérer l’interaction des événements passés et des prévisions

de conséquences possibles de la situation. La théorie de Fridja (1986) a postulé, quant à elle,

que les émotions (e.g., peur) survenaient lorsqu’un intérêt était menacé (e.g., rencontrer un

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ours), se traduisant par une tendance à l’action (e.g., évitement, fuite) afin de remédier à cette

menace (e.g., protection). Par ailleurs, la théorie de Scherer et al., (2001) a défini l’émotion

comme un processus complexe, constitué de cinq sous-systèmes : perceptivo-cognitif,

neurophysiologique, motivationnel, moteur et contrôle. L’émotion serait donc une modification

synchronisée de ces cinq sous-systèmes, en réponse à l’évaluation cognitive faite de la situation

(i.e., évaluation de la nouveauté, du plaisir intrinsèque, de la pertinence, de la capacité à faire

face, de la compatibilité ses propres valeurs ; Scherer et al., 2001). Cependant, les théories

cognitivistes et de l’appraisal ont souvent été critiquées pour leur focalisation sur l’expérience

émotionnelle sans prise en compte du contexte social (Manstead & Fischer, 2001 ; Parkinson

& Manstead, 1993). Schachter et Singer (1962) ont suggéré que si l’identification du vécu

émotionnel n’était pas possible à partir de l’unique expression physiologique, alors le contexte

social en permettrait sa pleine compréhension. Par extension à l’approche cognitiviste,

l’approche socioconstructiviste a placé le contexte social au cœur du processus émotionnel

(Averill, 1980). Les évaluations émotionnelles correspondraient alors à une appréciation

personnelle de ce qui est désirable et de ce qui ne l’est pas dans un contexte social établi. Ces

théories socioconstructivistes se sont justifiées également dans le fait que certaines cultures

utilisaient un vocabulaire plus ou moins riche selon les émotions. Par exemple, il a été remarqué

que dans la culture tahitienne, comparativement à la culture occidentale, peu de mots étaient

utilisés pour décrire la tristesse, tandis que le vocabulaire était bien plus vaste en ce qui concerne

la colère (Sander & Scherer, 2009). Ces données anthropologiques ont souvent servi de base

aux hypothèses postulant que les émotions étaient construites socialement.