5.8 Théorème de Kaplanski et Théorème de Kadison
5.8.1 Théorème de Kaplanski
5.8.1.1 Topologie associée à des semi-normes ([20, p.256] et Annexe B)
Soit E un K-espace vectoriel (K = R ou C).
Si (Nt)t∈T est une famille de semi-normes sur E, la topologie associée aux semi-normes
Nt est la topologie engendrée par toutes les semi-boules possibles associées à toutes ces semi-normes :
BNt(a, r) ∶= {x ∈ E ∣ Nt(x − a) < r}, t ∈ T, a ∈ E, r ∈ R∗+
Chacune des semi-normes Nt est continue pour cette topologie.
Remarque 5.8.1.
Étant donnés un ensemble X et B une famille de partie de X, on précise que la topo-logie engendrée par la famille B est constituée des réunions quelconques d’intersections finies d’éléments de B.
Exemple 5.8.1.
Si E est un K-espace vectoriel normé (K = R ou C), alors l’espace B(E) des opérateurs continus de E dans E peut-être muni de :
— la topologie τU OT, qui est la topologie associée à la norme uniforme d’opérateurs sur B(E), qui, on le rappelle, est définie pour tout u ∈ B(E) par ∣∣u∣∣ = sup
∣∣x∣∣≤1∣∣u(x)∣∣.
— la topologie τSOT, qui est la topologie associée aux semi-normes Nx ∶u ↦ ∣∣u(x)∣∣
lorsque x décrit E.
— la topologie τW OT, qui est la topologie associée la famille de semi-normes Nx,f ∶
u ↦ f (u(x)) lorsque x décrit E et f décrit E′ (E′désignant le dual continu de E).
On démontre que τW OT ⊆τSOT ⊆τU OT (Annexe B).
5.8.1.2 B(H) muni de la topologie τSOT vérifie la propriété CHB dans ZF
K désigne R ou C.
On énonce un résultat sur les formes sous-linéaires continues pour une topologie asso-ciée à une famille de semi-normes. On reprend pour cela un résultat de [51, p.267], qu’on adapte aisément aux formes sous-linéaires :
Soit E un K-espace vectoriel muni de la topologie τ engendrée par une famille de semi-normes (Nt)t∈T sur E. Soit p ∶ E → R une forme sous-linéaire. Alors p est τ -continue si et seulement si il existe M ≥ 0, k ∈ N∗ et t1, . . . , tk∈T tels que :
∀x ∈ E ∣p(x)∣ ≤ M sup
i∈{1,...,k}Nti(x)
Remarque 5.8.2.
— On note N∞la norme sur Rkdéfinie pour tout (a1, . . . , ak) ∈ Rkpar : N∞(a1, . . . , ak) = sup
i∈{1,...,k}∣ai∣.
Soit x ∈ E : on remarque alors que sup
i∈{1,...,k}Nti(x) = N∞(Nt1(x), . . . , Ntk(x)). Toutes
les normes de Rk étant équivalentes : si N est une norme quelconque sur Rk, il existe C ∈ R tel que N∞≤CN .
La proposition précédente se généralise donc : il existe k ∈ N∗, t1, . . . , tk∈T tel que
quelque soit la norme N sur Rk on puisse trouver un réel M ≥ 0 vérifiant : ∀x ∈ E ∣p(x)∣ ≤ M × N (Nt1(x), . . . , Ntk(x))
— Soit E un K-espace vectoriel normé. On munit le K-espace vectoriel normé B(E) des applications linéaires continues de E dans E de la topologie τSOT. Étant donnée une forme sous-linéaire τSOT-continue sur B(E), la Proposition 5.8.1 assure qu’il existe k ∈ N∗, x1, . . . , xk∈E et M ≥ 0 tels que
∀u ∈ B(E) ∣p(u)∣ ≤ M × N (∣∣u(x1)∣∣, . . . , ∣∣u(x1)∣∣) où N est la norme hilbertienne de Rk.
Étant donné un R-espace vectoriel topologique E dont la topologie est notée τ , on rappelle la propriété CHBE :
CHBE : pour toute forme sous-linéaire p ∶ E → R τ -continue il existe une forme linéaire f ∶ E → R telle que f ≤ p.
Théorème 5.8.1.
Soit H un espace de Hilbert. On munit le R-espace vectoriel B(H) des opérateurs continus de H dans H de la topologie τSOT. Alors, dans ZF, B(H) muni de cette topologie τSOT satisfait la propriété CHB.
Preuve :
Soit p ∶ B(H) → R une forme sous-linéaire τSOT-continue. Comme B(H) est muni de la topologie associée à une famille de semi-normes Nx ∶u ↦ ∣∣u(x)∣∣ lorsque x décrit H,
on en déduit, grâce à la Remarque 5.8.2, qu’il existe k ∈ N∗, x1, . . . , xk∈H et M ≥ 0 tels
que :
∀u ∈ B(H) ∣p(u)∣ ≤ M × N (∣∣u(x1)∣∣, . . . , ∣∣u(x1)∣∣) où N est la norme hilbertienne de Rk.
On considère une forme bilinéaire symétrique positive sur B(H), notée ⟨., .⟩, définie pour tous u, v ∈ B(H) par :
⟨u, v⟩ ∶=
k
∑
i=1
⟨u(xi), v(xi)⟩
Muni de ce semi-produit scalaire, B(H) est un espace semi-préhilbertien : la remarque
3.2.3 assure alors que, dans ZF, B(H) vérifie CHB pour la topologie de la semi-norme associée à ce semi-produit scalaire ⟨, ⟩. Comme p est τSOT-continue, l’inégalité précédente assure qu’elle est également continue pour la topologie de la semi-norme associée à ce semi-produit scalaire : il existe donc une forme linéaire f ∶ B(H) → R telle que f ≤ p.
Remarque 5.8.3.
Le R-espace vectoriel B(H) muni de la topologie τSOT est un R-espace vectoriel to-pologique localement convexe qui vérifie la propriété CHB et donc GHB (voir Section
3.2.4) : si C est un convexe fermé non vide de B(H) et K un convexe compact non vide de B(H) disjoint de C, alors il existe une forme R-linéaire f sur E telle que supKf < infCf .
5.8.1.3 Le théorème de Kaplanski, dans ZF
Le théorème de Kaplanski (Théorème 5.8.3) repose sur le résultat suivant (qui se fait dans ZF, d’après le Théorème 5.8.1) :
Théorème* 5.8.2. [51, p.128]
Soient H un espace de Hilbert et C un convexe de B(H). Alors C est τSOT-fermé si et seulement si C est τW OT-fermé.
Preuve :
La preuve de [51, p.128] repose sur le fait que B(H) muni de la topologie τSOT vérifie
CHB, ce qui, d’après le Théorème 5.8.1, se prouve dans ZF.
Théorème* 5.8.3 (Théorème de Kaplanski). [51, p.131]
Soient H un espace de Hilbert et A une C∗-sous algèbre unitaire de B(H). En notant
XS l’adhérence pour la topologie τSOT d’une partie X de B(H) on a : 1. Asa est τSOT-dense dans (AS)sa i.e. :
AsaS = (AS)sa
2. La boule unité fermée de Asa est τSOT-dense dans la boule unité fermée de (AS)sa.
Preuve :
On esquisse la preuve du premier point (voir [51, p.131]). — Montrons que (AS)sa⊆AsaS.
Soit u ∈ (AS)sa : il existe un net (ui)i∈I d’éléments de A qui converge vers u pour
L’involution étant continue pour la topologie τW OT ( [51, p.126]), et comme u hermitien, il vient (u∗
i)i∈I converge vers u pour la topologie τW OT, puis (Re(ui))i∈I
converge vers u pour la topologie τW OT. Ainsi u ∈ (Asa)
W
. Or Asa étant convexe, le Théorème5.8.2 assure que u ∈ (Asa)
S
= (Asa)
W
. — Montrons que AsaS⊆ (AS)sa
Si u est limite d’un net (ui)i∈I d’éléments de Asa pour la topologie τSOT, et donc pour la topologie τW OT, alors comme u∗
i =ui et que l’involution est continue pour la topologie τW OT, il vient que u = u∗ donc u est hermitien. De plus u ∈ AS, ce qui
achève la preuve.
5.8.1.4 Un résultat sur le bicommutant et une caractérisation des représen-tations irréductibles
Dans le but d’obtenir une caractérisation des représentations irréductibles (Théorème
5.8.4, page 142), on énonce quelques résultats sur les commutants :
On rappelle que si A est un anneau et C une partie de A, le commutant de C est l’ensemble C′ des éléments de A qui commutent avec les éléments de C. On remarque
que C′ est lui même un anneau.
Le bicommutant de C, noté C′′ est (C′)′.
Proposition* 5.8.2. [20, p.280]
Soient H un espace de Hilbert et A une partie de B(H). Le commutant A′ de A est
fermé pour la topologie τW OT et donc pour la topologie τSOT.
Preuve :
Soit u un élément de l’adhérence de A′ pour la topologie τW OT : il existe un net (vi)i∈I
d’éléments de A′ qui converge vers u pour la topologie τW OT i.e.
∀x, y ∈ H, ⟨vi(x), y⟩ →
i∈I⟨u(x), y⟩
. Soit a ∈ A, montrons que au = ua.
Soient x, y ∈ H, on sait que ⟨avi(x), y⟩ = ⟨vi(x), a∗y⟩ converge vers ⟨u(x), a∗y⟩ =
⟨au(x), y⟩. Donc le net (avi)i∈I converge vers au pour la topologie τW OT.
Or comme ∀i ∈ I, vi ∈A′, le net (via)i∈I converge vers au pour la topologie τW OT. Ce
net converge aussi vers ua donc comme la topologie τW OT est séparée on obtient au = ua. Ainsi, l’élément u appartient à A′.
Par conséquent A′ est τW OT-fermé donc τSOT-fermé.
Lemme* 5.8.1. [51, p.115]
Soient H un espace de Hilbert et n ∈ N∗. On peut identifier Mn(B(H)) à B(Hn)grâce aux applications suivantes, isomorphismes réciproques l’une de l’autre :
ϕ ∶ Mn(B(H)) → B(Hn) U ↦ ϕ(U ) ∶ Hn → Hn X ↦ U X et ψ ∶ B(H n) → Mn(B(H)) f ↦ (pi○f ○ canj)i,j où :
— Pour tout i ∈ {1, . . . , n} on note pi l’application suivante :
pi ∶ Hn → Hn
(x1, . . . , xn) ↦ xi
— Pour tout j ∈ {1, . . . , n} on note canj l’application suivante :
canj ∶ H → Hn
x ↦ (0, . . . , x
jeme, 0, . . . , 0) Remarque 5.8.4.
— Si u ∈ B(H), on rappelle que l’on note u∗ son opérateur adjoint.
— Tout élément U = (uij)i,j de Mn(B(H)) admet pour adjoint U∗= (u∗
ji)i,j.
— L’espace Hn est un espace de Hilbert pour le produit scalaire défini pour tout ⎛ ⎜ ⎝ x1 . . . xn ⎞ ⎟ ⎠ , ⎛ ⎜ ⎝ y1 . . . yn ⎞ ⎟ ⎠ ∈Hn par : ⟨ ⎛ ⎜ ⎝ x1 . . . xn ⎞ ⎟ ⎠ , ⎛ ⎜ ⎝ y1 . . . yn ⎞ ⎟ ⎠ ⟩ = n ∑ k=1⟨xk, yk⟩.
Tout élément f de B(Hn) admet donc un opérateur adjoint f∗. C’est l’unique
opérateur de Hn dans Hn vérifiant :
∀X, Y ∈ Hn ⟨f (X), Y ⟩ = ⟨X, f∗(Y )⟩
Or, il existe un unique U ∈ Mn(B(H)) tel que f = ϕ(U ) et on vérifie aisément
que :
∀X, Y ∈ Hn ⟨f (X), Y ⟩ = ⟨X, ϕ(U∗)Y ⟩
Donc f∗= (ϕ(U )∗) =ϕ(U∗) : ϕ est donc un ∗-isomorphisme.
Remarque 5.8.5.
— si u ∈ B(H), on pose ˜u ∈ B(Hn)défini pour tout (x1, ..., xn) ∈Hnpar ˜u(x1, ..., xn) = (u(x1), ..., u(xn)). Dans ce cas, ψ(˜u) = u.̃IdH =u.In où In est la matrice identité de Mn(B(H)).
— Si A est une ∗-sous algèbre de B(H), on pose ˜A = {˜a ∣ a ∈ A} et dans ce cas, ˜A est
isomorphe à {aIn ∣ a ∈ A} donc ˜A′ est isomorphe à (AIn)′=Mn(A′).
Proposition* 5.8.3. [51, p.115]
Soient H un espace de Hilbert et A une ∗-sous algèbre de B(H) tel que Id ∈ A. Alors A est dense dans A′′ pour la topologie τSOT i.e. AS =A′′ (où AS désigne l’adhérence de
A pour la topologie τSOT).
— La Proposition5.8.2assure que A′′est fermée pour la topologie τSOT donc AS⊆A′′.
— Pour l’autre inclusion, nous évitons l’utilisation de l’axiome du choix. En effet, la preuve proposée dans [51, p.115] utilise le critère séquentiel suivant (qui nécessite de l’axiome du choix) : “Soient X un espace métrique X et A une partie de X, un élément x est dans l’adhérence de A si et seulement si x est limite d’une suite d’éléments de A”. Afin de ne pas utiliser ce critère, nous procédons en deux étapes : — ÉTAPE 1 :
Soient u ∈ A′′, ε > 0 et x ∈ H. Posons K = {v(x), v ∈ A} (adhérence de {v(x), v ∈
A} pour la topologie de la norme sur H). Comme K est un sous-espace vectoriel
fermé de H, on peut considérer la projection orthogonale PK sur K.
On remarque que K est stable par A. Soit a ∈ A : on a a[K] ⊆ K et comme
a∗ ∈A, on a aussi a∗[K] ⊆ K. Ainsi K est stable par a et a∗ donc pKa = apK.
Donc pK ∈A′ et comme u ∈ A′′, upK=pKu.
Comme x = Id(x) ∈ K il vient upK(x) = u(x) = pKu(x) donc u(x) ∈ K. Il existe
donc v ∈ A tel que ∣∣v(x) − u(x)∣∣ < ε — ÉTAPE 2 :
Soient u ∈ A′′, (x1, ..., xn) ∈Hn, ε > 0 et V ∶= {v ∈ B(H) ∣ ∀i ∈ {1, ..., n}, ∣∣u(xi) −
v(xi)∣∣ <ε}. Montrons que ce voisinage (pour la topologie τSOT) de u rencontre
A.
On pose ˜u ∈ B(Hn) défini pour tout (y1, . . . , yn)) ∈ Hn par ˜u(y1, . . . , yn) = (u(y1), . . . , u(yn)), et ˜A = {˜a, a ∈ A}.
L’application ˜u ∈ B(Hn) peut être identifiée à la matrice uIn de Mn(B(H))
(grâce au Lemme 5.8.1). Soit M ∈ Mn(A′) alors comme u ∈ A′′, uIn commute
avec M donc uIn∈Mn(A′)′. Ainsi comme Mn(A′) est isomorphe à ˜A′ il vient
que ˜u ∈ ˜A′′donc en appliquant l’ÉTAPE 1 à ˜A, ˜u, (x1, ..., xn)et Hn, il existe ˜v ∈
˜
A tel que ∣∣˜v(x1, ...xn) −u(x˜ 1, ..., xn)∣∣∞<ε i.e. ∀i ∈ {1, ..., n}, ∣∣v(xi) −u(xi)∣∣ <ε.
On en déduit que V rencontre A donc A est dense dans A′′ pour la topologie
τSOT.
On peut maintenant énoncer la caractérisation suivante :
Théorème* 5.8.4. [51, p.120]
Soit A une C∗-sous algèbre de B(H). On considère l’injection canonique π ∶ A →
B(H) : (π, H) est une représentation de la C∗-algèbre A. La représentation (π, H) est
topologiquement irréductible si et seulement si A est τSOT-dense dans B(H).
Preuve :
Si la représentation (π, H) est irréductible, alors le commutant A′ de A est A′= C Id
(Théorème 5.6.2) donc le commutant A′′ de A′ est A′′ = (C Id)′ = B(H). Comme A est
τSOT-dense dans A′′ (Proposition 5.8.3) on a le résultat.
Voir [51, p.120] pour la réciproque.