• Aucun résultat trouvé

Thèse de Madame Blanc. La conception du droit d’auteur évoquée par

Dans le document La licence de droit d'auteur (Page 101-104)

DROIT D’AUTEUR

Section 2 – Nature du droit d’auteur et thèses retenant la distinction entre la cession et la licence

59. Thèse de Madame Blanc. La conception du droit d’auteur évoquée par

Mme Blanc se rapproche foncièrement de celle actuellement représentée par MM. Lucas sur un point précis : la chose appropriée n’est pas l’œuvre, inaliénable, mais des droits d’exploitation. Pour le reste, et en dépit de ce recours à la notion de propriété, cet auteur emprunte au vocabulaire de la doctrine personnaliste : « Ainsi, alors même que l’œuvre n’est pas assimilable à un bien en ce qu’elle est à la frontière des personnes et des choses, ses utilités économiques, que sont les différents droits d’exploitation, parce qu’elles sont insérées dans les relations patrimoniales, deviennent elles-mêmes des biens autonomes. »428. Cette structure donnée au droit d’auteur est présentée comme devant garantir le caractère unitaire de la propriété : « nul droit de propriété n’est en effet divisé en ce que chaque utilité fait l’objet d’un droit exclusif distinct. »429. L’adhésion à cette théorie est présentée comme gage de l’application au droit d’auteur d’une conception classique de la propriété résultant de l’article 544 du Code civil. On pourra aussi se risquer à classer cette conception comme relevant du dualisme.

Au stade contractuel, on remarquera ici la pleine reconnaissance de la diversité des formules contractuelles du Code civil. Par exemple, le contrat d’édition, comme le contrat de production ou de commande pour la publicité, sont des « variétés de ventes »430. Mais rien n’empêche, selon les stipulations convenues, que l’un de ces mêmes contrats puisse être « rattaché civilement à un louage de choses, une vente, un prêt, voire à une fiducie. »431. L’auteur rappelle ainsi le point de vue exposé par M. Gautier, que notre seconde partie nous amènera à critiquer en ce qu’il tend à confondre le contrat spécial d’exploitation du droit d’auteur et la cession ou la licence qu’il accueille. Cette critique formulée, on approuvera l’argumentation de Mme Blanc en ce qu’elle permet la pleine reconnaissance de la distinction entre cessions et licences et propose un contenu à ces notions. Tout d’abord, les cessions réalisent selon cet auteur un véritable transfert de propriété des droits patrimoniaux432, et non pas un simple démembrement. Les contrats de cession des droits patrimoniaux font ensuite l’objet de différentes qualifications selon la présence d’une contrepartie pécuniaire (vente) ou autre (innommés). La gratuité de la cession emporte qualification de donation, donation avec

428 N. Blanc, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés, Dalloz, 2010, n° 279.

429 Ibid., n° 280.

430 Ibid., n° 300.

431 Ibid., n° 323. (Sur le possible rattachement du contrat d’édition à la licence en cas de mise à disposition temporaire : V. également n° 309)

92

charge en cas d’obligation d’exploitation433. Ensuite, les licences de droit d’auteur sont rattachées, assez classiquement, aux formules connues du Code civil434. La licence n’est cependant pas réduite au strict synonyme de location. Ainsi devient-elle prêt à usage en cas de gratuité, et contrat innommé lorsque, selon une problématique juridique bien connue née hors du droit d’auteur, le prêt devient « intéressé »435. Une difficulté demeure : la licence consentie pour la durée du monopole, réduite par l’auteur à la question des « licences libres », est renvoyée à l’innommé en cas de non exclusivité436. La même formule associée à une exclusivité est en revanche très justement requalifiée en cession437.

60. Conclusion. Au sein de cette catégorie d’auteurs que nous avons rattachés,

non sans précautions et nuances, à la théorie dualiste, on ne peut que constater une étonnante diversité d’analyses quant à la question contractuelle. Certes, la chose appropriée pour être l’objet du contrat d’auteur sera tantôt l’œuvre en tant que chose, tantôt un droit d’exploitation constitué sur celle-ci ; mais l’admission d’une pleine variété de formules contractuelles ne semble pas souffrir de ces différentes conceptions.

§ 4 – Monisme-réalisme et admission des cessions et des licences

61. Réalismes. Cette doctrine relie le droit d’auteur au droit de propriété. Mais

contrairement aux thèses dualistes, ce rattachement englobe la totalité du droit et le recours à la notion de propriété ne se résume pas à un outil de description des seuls droits patrimoniaux. Cette thèse, avec les nuances qu’on lui connaît, nous semble être la mieux à même d’accueillir un système contractuel admettant les licences à côté des cessions de droit d’auteur. Se trouve ainsi réalisée la correspondance recherchée entre la qualification du droit, une chose appropriée, et celle du contrat, le plus large choix des contrats portant sur les choses. Cependant, le simple fait de constater qu’une doctrine rattache le droit d’auteur dans son ensemble au droit de propriété ne suffit plus à la caractériser, dans la mesure où le droit de propriété est lui-même objet de conceptions divergentes. On assiste en droit positif à l’émergence de deux monismes-réalistes, l’un rattaché à une lecture rénovée de la propriété et

433 Ibid., n° 281 à 303.

434 Ibid., n° 304 et ss. L’auteur reprend d’ailleurs la définition de la licence formulée par Roubier qui la rapprochait nettement d’une location.

435 Ibid., n° 307 et 308.

436 Ibid., n° 319 et ss.

93

se voulant conforme au Code civil, l’autre rattaché à une conception plus traditionnelle, prétendant à la même authenticité.

62. Thèse de Messieurs Zenati-Castaing et Revet. Ces auteurs, dans le dernier

état de leur doctrine438, admettent la distinction entre cession et licence : « le droit d’exploiter n’est, en toute circonstance, qu’une autorisation portant, selon les cas, concession d’un droit réel ou d’un droit personnel. »439. Toutefois, il faut voir dans le terme de cession le synonyme de ce que l’on appelle couramment contrat à « effet réel », et non celui de vente, contrat translatif440. En effet, en raison du rattachement du droit moral à la propriété, toute idée d’un transfert complet de l’œuvre est écartée441. En revanche, le contrat peut constituer un droit réel au profit de l’exploitant, sur la chose (l’œuvre) appartenant à autrui, en l’occurrence à l’auteur. Ce choix s’explique par la conception d’un droit de propriété appréhendé comme « prérogative non patrimoniale »442, distincte de la notion de droit réel et envisagée comme le pouvoir exclusif permettant le lien entre les personnes et les choses : « le rapport juridique grâce auquel les choses deviennent des biens »443. La propriété, que la doctrine dualiste cantonne aux droits patrimoniaux de l’auteur, s’étend dans cette doctrine aux droits moraux de ce dernier. Le droit moral n’est pas non plus perçu comme une exception, une dérogation ou l’accessoire d’un droit de propriété que seraient les seules « utilités » patrimoniales de l’œuvre444. Au contraire, le droit moral est décrit comme l’expression même de cette

438 Dans sa thèse (F. Zenati, Essai sur la nature juridique de la propriété, Contribution à la théorie du droit

subjectif, Thèse, Lyon 3, 1981, n° 127, p. 176), M. Zenati affirme que la cession ne se distingue pas de la

concession. C’est avant tout pour affirmer l’impossibilité d’un véritable transfert. Nous croyons qu’il s’agit davantage d’une disqualification de la cession comme contrat translatif que d’un rejet de l’idée de concession-licence.

439 F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, 3e éd., PUF, 2008, n° 73, p. 122.

440 D’ailleurs, l’idée même d’un transfert de propriété est écartée. La propriété n’étant pas un bien, elle ne saurait faire l’objet d’un transfert. La vente s’analyse donc en l’extinction de la propriété du vendeur et la naissance corrélative de la propriété de l’acheteur. C’est la chose, « propriété » au sens objectif, qui est transférée, non la propriété. F. Zenati, Essai sur la nature juridique de la propriété, Contribution à la théorie du droit subjectif, Thèse, Lyon 3, 1981, n° 535 et n° 550. Voir aussi : F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, 3e éd., PUF, 2008, n° 176, p. 279.

441 F. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n°71, p. 120. Aussi, la phrase : « C’est l’œuvre elle-même qui est aliénée, non le droit d’auteur. » (F. Zenati, thèse préc., n° 526), suggère que l’objet du contrat est l’œuvre et non un droit constitué sur celle-ci, l’œuvre étant un bien et non la propriété elle-même. L’idée rejoint, par un chemin différent, celle de « L’Ecole de Montpellier » voyant la « chose » dans l’œuvre et non dans un « droit » constitué sur elle. Cette phrase exprime également l’idée plus générale de l’auteur selon laquelle ce n’est pas la propriété que l’on doit considérer comme transférée, mais la chose.

442 F. Zenati, Thèse préc., v. par ex. n° 526, p. 721.

443 F. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n° 164.

444 Ce qui constitue la thèse de J. Raynard, Droit d’auteur et conflits de lois. Essai sur la nature juridique du

droit d’auteur, Litec, 1990. V. par ex. n° 349 et 357 ; V. également : J. M. Mousseron, J. Raynard, Th. Revet, De

94

propriété445. Le lien entre l’auteur et l’œuvre est bien un lien d’appropriation. Cette conception peut être qualifiée de moniste, unitaire, en ce que le droit moral fait partie intégrante de ce rapport. Cette thèse est présentée comme une innovation importante, notamment en ce qu’elle distingue le droit de propriété des droits réels, alors que l’on enseigne traditionnellement que les seconds sont des démembrements (donc des composantes) de la première. Mais à tout considérer, le parti pris de rattacher le droit d’auteur et ses contrats à une forme de « normalité », par une institution aussi commune que la propriété, signe le rattachement à un courant auquel il est permis de souscrire.

Dans le document La licence de droit d'auteur (Page 101-104)