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Le critère de qualification et l’identification du contrat de licence

Dans le document La licence de droit d'auteur (Page 177-200)

Chapitre Introductif – La licence de droit d’auteur, accueillie par le droit positif

Chapitre 1 Le critère de qualification et l’identification du contrat de licence

142. L’objet du contrat de licence de droit d’auteur. Les doutes sur la

possibilité de l’existence de la licence de droit d’auteur liés à la rédaction des textes étant levés, nous pouvons nous pencher sur la question de fond que constitue la recherche de l’identité de ce contrat. Il s’agit en d’autres termes d’en reconnaître l’objet. L’observation de cet objet nous permettra alors de procéder à la qualification de la licence. Ce travail de qualification étant en fait une opération de rattachement à l’existant, il s’agira de constater que les traits essentiels du contrat de licence épousent ceux du contrat de louage de choses.

L’objet du contrat est considéré ici non plus, par ellipse, comme ce qui est en fait l’objet de la prestation du donneur de licence – la chose, l’œuvre – mais à une autre échelle permettant d’appréhender l’opération dans son ensemble afin de l’identifier. La notion d’objet du contrat est trop diversement appréciée pour que nous en fassions ici un inventaire utile683. Au fond, s’il ne s’agirait que de désigner le contrat lui-même, voire la composition des obligations et effets qu’il génère : il est « en un sens technique, l’ensemble des droits et des obligations que le contrat est destiné à faire naître (en ce sens, la vente a pour objet de transférer la propriété d’un bien moyennant le paiement du prix convenu, le bail de conférer l’usage d’un bien moyennant le versement d’un loyer). »684.

Il est cependant admis que la notion d’objet du contrat « apporte en réalité quelque chose car elle permet d’avoir une vision globale de l’opération voulue par les parties »685. C’est précisément cette fonction de l’objet qui permet l’identification du contrat et sa classification, mais également l’appréciation de sa licéité ; sur ce point encore, rien d’unanime. Si l’on persiste dans cette appréhension globale de l’objet du contrat, il est l’« opération juridique envisagée par les parties »686. L’objet du contrat de licence de droit d’auteur n’est donc autre que sa définition : la jouissance temporaire d’une œuvre contre un prix. La recherche de cette unité conduit parfois à une synthèse extrême lorsque l’objet du contrat ne désigne plus que sa prestation caractéristique, qui absorbe l’utilité économique du

683 Il ne s’agit naturellement pas pour nous de traiter ce sujet pour lui-même ; on renverra spécialement aux riches travaux de A.-S. Lucas-Puget, Essai sur la notion d’objet du contrat, LGDJ, 2005 (pour un exposé de l’extrême variété des thèses développées sur la notion d’objet du contrat, v. spéc. n° 33 et ss., p. 22 et ss.).

684 G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 9e éd. PUF, Coll. Quadrige, 2011, p. 694 à « Objet du contrat ».

685 M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 1 – Contrat et engagement unilatéral, 2e éd., PUF, Coll. Thémis, 2010, p. 355 et s.

686 H., L. Mazeaud et J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, t.II, vol. 1, Obligations, théorie générale, 9e

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contrat : « A cette prestation essentielle correspond une obligation que l’on peut qualifier de principale et qui apparaît comme celle à propos de laquelle l’accord de volontés intervient »687. S’agissant de la licence de droit d’auteur, cette obligation est celle du donneur de licence (ou concédant) : la mise à disposition d’utilités de l’œuvre à temps. Or, une compréhension correcte de la notion de licence ne peut s’arrêter à cet aspect, certes déterminant, mais devrait englober également la contrepartie de cette obligation688. Sans prétendre apporter à ces conceptions, du moins conviendrons-nous que la qualification du contrat étudié doit passer par l’examen des obligations de chacun.

143. Plan. Identifier un contrat impose nécessairement d’analyser les obligations

qui le composent. Cette opération juridique consiste en la mise à disposition temporaire d’une œuvre par un donneur de licence, contre un prix dû par un licencié. Le premier volet de cet objet constituera l’essentiel du travail de qualification de la licence : l’objet de l’obligation du donneur de licence est la prestation caractéristique du contrat (Section 1 – L’autorisation d’exploiter l’œuvre, prestation caractéristique de la licence). Le second, à savoir la cause de l’obligation du donneur de licence, objet de l’obligation réciproque du licencié (le prix), interviendra dans le processus de qualification. Restera à déterminer à quel titre (Section 2 – Le prix de la licence, prestation réciproque du licencié).

687 G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, d’après le Traité de Planiol, t. II, Obligations, contrat-

responsabilité, Droits réels, biens-propriété, LGDJ, 1957, n° 241, p. 99. L’utilisation de la notion de prestation

caractéristique (l’obligation monétaire ne peut caractériser le contrat) comme fondement d’une classification générale des contrats spéciaux a été menée : J.-F. Overstake, Essai de classification des contrats spéciaux, Bibl. dr. privé, t. 91, LGDJ, 1969. Adde : R. Cabrillac, Droit des obligations, 9e éd., Cours, Dalloz, 2010, n° 73.

688 C’est probablement là une faiblesse nécessaire des systèmes de classement des contrats qui réduisent le rapport contractuel à l’un de ses éléments, tenu pour le plus distinctif : d’autres critères, cumulatifs, doivent intervenir au sein des catégories établies pour affiner l’identification du contrat. V. pour une autre typologie des contrats (sur le travail, les choses, les droits), comprenant des subdivisions liées notamment à l’existence et à la nature d’une contre-prestation : M. Planiol, Classification synthétique des contrats, Rev. crit. lég. jur., 1904, n° 33, p. 470.

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Section 1 – L’autorisation d’exploiter l’œuvre, prestation caractéristique de

la licence

144. Nous avons traité (Titre I) des rapports entretenus entre l’analyse de l’objet

de la prestation du donneur de licence d’une part (l’œuvre, sa nature, sa qualification), le choix d’une qualification contractuelle d’autre part (location, cession ou sui generis). Nous avons alors constaté que le premier argument d’admission ou, au contraire, d’exclusion de la qualification de bail concernait la nature de la chose mise à disposition. En effet, la qualification du droit d’auteur en droit de propriété devait faciliter l’adoption par la matière des principaux contrats sur les choses. Et inversement, considérer le droit d’auteur comme fondamentalement étranger à ce mode de réservation devait écarter l’adoption des mêmes schémas contractuels. La mise en relation de ces différentes thèses apparaissant parfois peu cohérente, nous avons pris le parti de trancher pour la qualification de l’œuvre de l’esprit réservée en chose, objet de propriété. Cette qualification nous a permis de proposer un rattachement de principe avec les catégories contractuelles du Code civil (la vente et la location). Nous émettons l’hypothèse selon laquelle la licence de droit d’auteur constituerait un bail, à l’instar des autres licences rencontrées en droit de la propriété intellectuelle. C’est l’étude de la matière caractéristique de ce contrat qui nous permettra à présent de vérifier ou d’invalider cette hypothèse.

En effet, la licence de droit d’auteur comporte une mise à disposition d’une œuvre qui consiste en une autorisation pour le licencié de l’exploiter selon les termes du contrat et dans le respect des dispositions impératives applicables (qu’il s’agisse des dispositions générales du Chapitre Ier du Titre III du Livre Ier du CPI ou, le cas échéant, des dispositions impératives des principaux contrats d’exploitation du Chapitre II lorsque la licence intègre un contrat d’exploitation). Le contenu de cette mise à disposition a donc un « périmètre » naturellement plus restreint que celui potentiellement contenu dans le bail en général. Là où le Code civil évoque la notion extrêmement vaste de jouissance689, le licencié de droit d’auteur se voit accorder une autorisation d’exploiter une œuvre mise à sa disposition, cette autorisation

689 Article 1709 du Code civil : « Le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer. ». Voir également l’article 1719 : « Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière : (…) : 3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ».

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pouvant se doubler d’une obligation d’exploiter. Pour qualifier la licence de droit d’auteur, il s’agit alors de savoir si l’autorisation qui la caractérise est identique au droit personnel de jouissance (plus volontiers désigné en pratique par l’expression de « jouissance locative ») qui caractérise le contrat de bail. Nous centrerons l’analyse sur le point faisant difficulté : l’exploitation de l’œuvre est-elle compatible avec la qualification de bail ? La qualification de la licence en location, envisagée jusqu’ici à titre d’hypothèse, devra donc être vérifiée.

145. Problématique. Démontrer que le droit personnel de jouissance

caractérisant le bail est réalisé par l’autorisation d’exploiter donnée au licencié, que cette exploitation soit une faculté ou une véritable obligation d’exploiter l’œuvre donnée en licence, renvoie à une question d’une portée plus générale : en quoi consiste la « jouissance locative » d’une œuvre ?

146. Contenu de la jouissance et source de la jouissance. La controverse sur la

nature de la jouissance du preneur est ancienne. Il est permis d’y voir une analogie avec le débat sur la concurrence des qualifications de cession et de licence que nous trancherons au Chapitre second de ce Titre. Si la jouissance du locataire trouve sa source non dans un droit réel mais dans l’établissement d’un rapport personnel, il faut bien opérer une distinction entre contenu et source de la jouissance.

La source de la jouissance est réelle ou personnelle690, ce qui permet de départager la « cession » au sens large (vente, usufruit contractuel, donation, fiducie) et la licence dans son sens le plus large (location ou prêt à usage). Si le bail comme la licence sont classés dans la catégorie des contrats « sur les choses », ils mettent à la charge du donneur de licence une obligation de faire691, qui consiste en la mise à disposition d’une chose692. Cette notion, que

690 Sur la controverse ancienne de la nature du droit du preneur : R.-Th. Troplong, Le droit civil expliqué suivant

l’ordre des articles du Code : De l’échange et du louage, t. 2. Paris, 1852, (spéc. n° 4 et ss., p. 61 et ss.) ;

J. Derruppé, Souvenir et retour sur le droit réel du locataire, Mélanges L. Boyer, Toulouse, 1996, p. 169 ; J. Derruppé, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et de créance, Dalloz, 1952, passim. Adde : J. Cayron, La location des biens meubles, PUAM, 1999, v. n° 32 et ss., p. 50 et ss. (et v. notre Ch. 2 consacré à la distinction cession / licence). – Pour une critique des thèses de Troplong : H., L. Mazeaud et J. Mazeaud, Leçons de Droit civil, T.III vol. 2 Principaux contrats (2e partie), Baux d’habitation, Baux ruraux, Entreprise, etc., 5e éd. Par M. de Juglart, Montchrestien 1985, n° 1068 ; A. Colin et H. Capitant,

Cours élémentaire de droit civil français, t. 2, 10e éd. par L. Julliot de La Morandière, Dalloz, 1948, n° 1001, p. 659.

691 Par ex. J. Huet, Traité de droit civil, dir. J. Ghestin, Les principaux contrats spéciaux, 2e éd., LGDJ, 2001, n° 21001.

692 La mise à disposition permet « à une personne d’utiliser un bien dans son intérêt propre que ce soit en exécution d’une obligation principale ou accessoire ayant pour objet de transférer l’usage d’un bien, qu’il s’agisse d’un contrat nommé ou innomé », N. Decoopman, La notion de mise à disposition, RTD civ. 1981, p. 300 spéc. n° 6. La notion révèle néanmoins son ambiguïté : « Concernant apparemment les rapports entre une

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l’on a pu comparer à l’obligation de praestare du droit romain693, retrouve une actualité dans les projets de réforme du droit des contrats, non sans incertitudes cependant. Consistant davantage en une nouvelle présentation de l’existant qu’en une nouveauté, elle pourrait être la catégorie d’accueil de la licence de droit d’auteur.

Le contenu du droit personnel de jouissance désigne quant à lui les actes autorisés à leur titulaire. Alors que les sources et natures de ces différentes jouissances sont clairement affirmées, leur contenu en revanche offre des points de comparaison. Ainsi, si l’on s’en tient à une observation superficielle de son contenu, la jouissance permise au locataire par le bailleur comporte des points de convergence avec les droits réels d’usus et de fructus. Le locataire est celui qui reçoit l’autorisation d’user de la chose (l’habitation, l’usage courant d’un meuble quelconque), mais également dans certains cas d’en percevoir les fruits pour son propre compte (la sous-location, l’exploitation d’un fonds). Certes, il est entendu que le droit aux fruits du locataire ne relève pas d’un droit de fructus car ce dernier est réservé au titulaire du droit réel, mais d’un droit de jouissance personnel représentant de fait un contenu proche. Ainsi peut-on, dans des conditions matérielles assez similaires, jouir d’une œuvre dans le cadre d’un rapport de droit réel ou personnel694.

147. Plan. Cette possibilité d’un choix entre différents types de jouissance n’est

pas unanimement admise en droit d’auteur. Pour certains, l’exploitation de l’œuvre ne saurait relever de ce droit du locataire. Nous verrons que la thèse est critiquable en ce qu’elle ne correspond pas à la réalité actuelle du contrat de bail (§ 1). En effet, la jouissance du preneur, autorisée par le bailleur, consiste effectivement en l’exploitation de l’œuvre (§ 2).

personne et une chose, on peut aussi se poser la question de savoir si elle se substitue ou recoupe des notions connues du droit des obligations et du droit des biens comme celles de délivrance, de possession, de détention, de garde, d’occupation… Son emploi – fortuit ou intentionnel – peut également ne correspondre qu’à une simple facilité de langage. » (Ibid. § 2).

La notion de mise à disposition d’un signe distinctif (marque ou enseigne, par ex.) apparaît dans un texte important du droit de la distribution, l’art. L. 330-3 du Code de commerce (Loi du 31 déc. 1989 parfois dite « loi Doubin ») visant à accorder une protection particulière aux distributeurs dans le cadre d’exclusivités ou quasi-exclusivités consenties par eux à l’occasion de contrats d’assistance et de fourniture. Ce qui donne à M. Ferrier l’occasion d’une définition : « La mise à disposition doit s’entendre ici de l’attribution d’un droit d’usage d’une marque, quel qu’en soit le fondement juridique du moment qu’elle est formalisée par écrit : prêt, dépôt, louage, location-gérance du fonds avec son enseigne, contrat innomé. », D. Ferrier, Droit de la distribution, 5e éd., Litec, 2008, n° 572.

693 G. Pignarre, A la redécouverte de l’obligation de praestare. Pour une relecture de quelques articles du Code civil., RTD civ. 2001, p. 42. (Le sens retenu par cet auteur est néanmoins plus large que celui qui lui est aujourd’hui couramment attribué).

694 A l’extrême, un courant doctrinal en induit l’identité du droit du locataire et du titulaire d’un droit réel. Dernièrement : J. Derruppé, Souvenir et retour sur le droit réel du locataire, Mélanges L. Boyer, Toulouse, 1996, p. 169. Nous verrons au fil de nos développements que la présence d’éléments de régimes parfois communs à différents contrats spéciaux n’implique pas une identité de qualification, mais s’inscrit dans les rapports entretenus entre « droit commun » et « droit spécial ».

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§ 1 – La finalité d’exploitation de l’œuvre, prétexte à la disqualification de la licence

148. Exposé de l’argument selon lequel l’exploitation de l’œuvre au centre du contrat disqualifierait la licence de droit d’auteur et lui imprimerait un caractère sui

generis. Ce débat s’attache directement à l’opération juridique dessinée par les parties et organisée à l’occasion du contrat. Celle-ci s’opposerait à un rattachement de la licence au bail, non plus en raison de la simple nature immatérielle de l’œuvre, mais plus précisément à raison de l’assiette, voire de la finalité des droits personnels constitués par la licence. Aux critiques portant traditionnellement sur la nature de la chose, objet des obligations, ce débat porte donc, à un tout autre niveau, sur les obligations, matière même du contrat.

149. Les sources essentiellement doctrinales du débat. Une doctrine influente

considère que l’on doit exclure de la qualification de location les droits d’auteur, en ce qu’ils sont destinés à être exploités. La proposition est que les droits d’exploitation portant sur l’œuvre objet d’un contrat ne peuvent, par nature, être mis à disposition dans le cadre d’un contrat de bail car celui-ci n’organise que la « jouissance » de la chose, entendue comme synonyme de son « usage ». Ainsi, Lyon-Caen et Lavigne considéraient, entre autres arguments censés disqualifier la licence, que « le film est une chose productive de revenus entre les mains du « locataire », ce qui ne peut manquer d’imprimer à la convention une physionomie particulière. »695. Dernièrement, l’idée est soutenue par quelques auteurs, dont Monsieur Huet : « (…) le souhait de l’auteur n’est pas tant de conférer la jouissance d’un bien à une personne qui en fasse usage, que de confier son œuvre aux mains d’autrui afin qu’elle soit mise en valeur : l’exploitation des droits en est l’objectif essentiel. Ces divers contrats ne sauraient donc être réduits à une simple location. »696. Dans le même sens, Messieurs Lucas

695 G. Lyon-Caen et P. Lavigne, Traité théorique et pratique de droit du cinéma, LGDJ, 1957, t. II, p. 186 n° 612. Il est intéressant de constater que si les auteurs dénient au transfert du droit de reproduction la qualité de louage, cet argument tiré du caractère productif du « film » ne désigne ici que le support, soit la pellicule impressionnée, donc un bien incontestablement corporel.

696 J. Huet, Traité de droit civil, op. cit., n° 21125. En ce sens : B. Laronze, L’usufruit des droits de propriété

intellectuelle, PUAM, 2006, n° 494 et n° 458. L’argument est intégré à un exposé visant à la négation de la

qualification de licence. L’exploitation permise par la licence mettrait en œuvre les droits du titulaire : la situation du licencié serait donc identique à celle du cessionnaire, car le licencié ne recherche pas l’accès mais l’exploitation. Pour le contrat de « location » de film, disqualifié en contrat innommé pour la même raison, parmi d’autres arguments : C. Bernault, La propriété littéraire et artistique appliquée à l’audiovisuel, LGDJ, 2003, n° 978, p. 368.

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souligneront, certes par analogie, que le licencié « veut sa part du fructus »697. Cette dernière expression sous-entend donc que l’exploitation d’une chose serait réservée au titulaire du droit réel qu’est le fructus. L’argument est donc ici utilisé à deux fins : par M. Huet pour marquer l’originalité de la licence, dont il reconnaît néanmoins le principe ; par MM. Lucas pour en dénier au contraire l’existence, et rattacher la formule au mécanisme générique de la cession. Ce débat n’est donc pas la transposition exacte de la controverse sur la nature juridique du droit du locataire, puisqu’il s’agit en amont de nier la possibilité même d’une location en droit d’auteur, ce qui ne semblait pas être le propos des partisans de cette thèse698.

150. Une vision restrictive de la jouissance. La jouissance de la chose, comprise

par cette doctrine comme son usage, réduit parfois à son simple « accès », exclurait son exploitation. Par ailleurs, l’accès à l’œuvre, sa contemplation, son audition, par exemple, serait la seule modalité concevable de cet usage. Cette idée rendrait impossible la qualification de licence en droit d’auteur. En effet, l’utilisation au sens strict ne figurant pas, dans l’état du droit positif, dans le champ de la réservation du droit d’auteur699, la jouissance considérée trop strictement comme l’utilisation de la chose ne pourrait faire l’objet d’un contrat donnant prise au droit d’auteur. Ce contrat serait sans objet. D’après ces auteurs, la vocation à l’exploitation, et donc aux fruits qu’elle produit, suffirait à écarter la location. Le louage se limiterait donc aux mises à disposition d’un droit personnel d’usage strictement entendu et non d’exploitation, constituant par analogie une sorte d’ « usus » dans la sphère des droits personnels. Cette conception se trouve en inadéquation avec l’esprit de ce contrat de louage, conçu initialement comme multiple et ayant évolué conformément à cette nature700. La thèse défendue par ces auteurs, sur ce sujet précis du moins, participe d’une définition assez réductrice de ce contrat, tandis que le Code civil comme la pratique et la jurisprudence, comme on le verra, en font une opération d’une particulière souplesse d’objet et de finalités. Cette argumentation apparaît comme une construction de la doctrine ; absente de la

697 A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, 3e éd. Litec, 2006, n° 567, p. 433.

698 Dernièrement : J. Derruppé, Souvenir et retour sur le droit réel du locataire, Mélanges L. Boyer, Toulouse,

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