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Le préalable nécessaire de l’identification de la chose. Les débats les plus

Dans le document La licence de droit d'auteur (Page 126-130)

DROIT D’AUTEUR

Chapitre 2 – Qualification négative de la chose : les objets étrangers à la qualification de licence

84. Le préalable nécessaire de l’identification de la chose. Les débats les plus

nourris en doctrine et en jurisprudence se concentrent depuis plus de vingt-cinq années sur la question de savoir quelle formule contractuelle, de la vente ou du louage, correspond le mieux au contrat de licence de logiciel533. Ces discussions ont le défaut majeur de se situer trop en

532 Protection accordée au titre du droit d’auteur, v. l’article L. 112-2 du CPI : « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : (…) 13° Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ». Sur le principe de cette protection du logiciel par le droit d’auteur (et non par le droit des brevets par ex.), v. spécialement, parmi une doctrine pléthorique : Ch. Le Stanc, Logiciel : Trente ans entre droit d’auteur et brevet. Bilan ?, Droit et technique, Etudes à la mémoire du Professeur Xavier Linant de Bellefonds, Litec, 2007, p. 271.

533 La « controverse doctrinale » sur « la nature du contrat portant sur un progiciel » résumée par M. Le Tourneau ne se fonde guère que sur la comparaison des régimes des contrats envisagés pour la qualification. Ne pouvant trancher entre vente et location, l’auteur opte le cas échéant pour une qualification sui

generis. V. Ph. Le Tourneau, Contrats informatiques et électroniques, 6e éd., Dalloz, 2010, n° 4.24.

– De même, quoique très nuancée, l’évocation du contrat d’entreprise, du louage de choses et de la vente s’achève dans le constat de l’ambiguïté de la notion de licence et de la difficulté persistante à la qualifier : Ch. Le Stanc, in : M. Vivant (dir.), Lamy Informatique et réseaux, éd. 2003, spéc. n° 854 et 2063. L’auteur tranchera comme nous l’avons vu, en faveur de la qualification location de meuble incorporel – Voir également : M. Vivant, L’informatique dans la théorie générale du contrat, D. Chron. p. 117. spéc. n° 3 ; E. M. Bey, Le financement des logiciels : peut-on louer ou donner financièrement à bail un logiciel ?, Gaz. Pal., 1985, doctrine p. 396. Supposant l’existence d’un droit d’usage sur le logiciel fondé sur les dispositions de la loi du 11 mars 1957, avant même l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985, l’auteur situe la discussion de « la véritable nature juridique du droit transmis » sur le choix entre licence (bail) et vente. – H. Croze et Y. Bismuth, Le contrat dit de licence de logiciel, JCP E, 1986, II, 14659. Les auteurs marquent explicitement la différence de nature entre la licence passée avec l’utilisateur final (utilisation) et celle passée avec un distributeur (exploitation). Ainsi, indépendamment des prérogatives de propriété littéraire et artistique, « le logiciel lui-même » est objet du contrat. A ce titre, le logiciel considéré en dehors de la propriété littéraire et artistique est un

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aval dans la problématique de la qualification du contrat sur logiciel. Car si des éléments tels que la durée de la mise à disposition, le mode de paiement instantané ou successif, les droits conservés par le titulaire du droit d’auteur sur le logiciel sont fondamentaux, leur confrontation en vue du choix d’une qualification risque d’aboutir à une impasse intellectuelle si l’on omet de se pencher sur la teneur juridique de la « valeur », de la prestation, autour de laquelle se construit un rapport d’obligations réciproques. Si nous convenons que la nature de la chose (matérielle ou immatérielle, le type ou la finalité de logiciel etc.) n’a pas vocation à bouleverser la qualification du contrat dont elle est l’objet534, encore faut-il que ce contrat soit organisé autour d’une chose, et qu’il en prévoie le transfert ou la mise à disposition. Comment qualifier la licence d’utilisation de logiciel ? Est-elle une licence de droit d’auteur, un contrat nommé, ou à défaut un contrat sui generis ? La prestation (ou l’effet) caractéristique du contrat, à savoir le transfert ou la mise à disposition d’une chose ou encore un service, devrait déterminer la famille de rattachement du contrat (contrat sur les choses / contrat de service). Ensuite seulement, au sein de ces familles, la qualification proprement dite devra intervenir. Si l’exploitation d’un logiciel met en jeu un véritable droit de propriété intellectuelle, son utilisation, quant à elle, ne se fait en vertu d’aucun monopole, aucun droit d’usage, ni aucune propriété. La qualification de la licence d’utilisation de logiciel devra ensuite émerger de ce constat. Mais nous devons à cette fin poursuivre l’étude de la « chose ».

85. Principes élémentaires sur l’« appropriation intellectuelle ». La propriété

des choses corporelles se caractérise aux termes de l’article 544 du Code civil par un double « universalisme » : celui des prérogatives du propriétaire (« de la manière la plus absolue ») d’une part ; celui des objets corporels appropriables (« des choses ») d’autre part. Les choses appropriables sont la norme, quand les choses non appropriables sont l’exception. La propriété intellectuelle pose quant à elle le postulat inverse : seules peuvent s’extraire du domaine public les valeurs intellectuelles que la loi désigne comme possibles objets de propriété. Ce principe s’est élevé au rang d’adage, depuis « Les idées sont de libre service plus qu’une chose. Mais l’analyse est – ce qui est compréhensible pour l’époque – « infectée » de considérations sur le support matériel, ce qui amène les auteurs à conclure leur étude par l’admission d’une « vente de logiciel ». – Plus récemment, pour le principal et encourant la même critique : J. Huet, De la « vente » de logiciel, Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Etudes offertes à P. Catala, Litec, 2001, p. 799. –

Rappr. M.-A. Ledieu, Et si la licence de logiciel était une location ?, CCE nov. 2003, p. 12 ; E. Mackaay, Le marché du progiciel – licence ou vente ?, Les cahiers de propriété intellectuelle, 1994, vol. 6, n° 3, p. 401.

534 Par ex. J. Raynard, Le contrat d’exploitation de logiciels dépourvu de terme extinctif est-il encore un contrat à durée indéterminée ? (à propos de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 novembre 2001), Prop. ind., oct. 2002, Chron. 8.

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parcours »535, jusqu’à la représentation des propriétés intellectuelles en un archipel de propriété dans un océan de liberté536. L’idée d’une véritable propriété intellectuelle ne semble pas se départir de la considération de sa spécialité537. Cette « spécialité » de la propriété intellectuelle est, croyons-nous, la plus intense de ses spécificités538 (davantage que l’incorporalité de son objet, son caractère temporaire ou son contenu souvent banal). Elle se manifeste au travers de ses différents régimes : car tout objet intellectuel, toute création immatérielle n’est pas appropriable. La chose immatérielle doit requérir certains caractères légaux plus ou moins objectifs (selon les régimes : activité inventive et nouveauté, caractère distinctif, caractère propre, originalité ou du moins la marque d’un apport intellectuel etc.) permettant son élévation au rang de chose appropriable. Ensuite, au sein de chacun de ces régimes, l’objet intellectuel n’est objet de propriété intellectuelle que dans les limites des fonctions que cette propriété permet de réaliser. Ce lien de droit unissant directement le propriétaire et la chose immatérielle n’est jamais tissé que pour les usages définis par la loi539. Ainsi, l’œuvre originale est appropriable, mais elle ne l’est que sous réserve de conditions spécifiques instituées pour sa constitution. Appropriable, elle ne l’est qu’en tant qu’œuvre, mais non en tant que signe distinctif, en tant qu’information, en tant qu’outil ou que produit.

Dans ces circonstances, reconnaître en l’absence de disposition législative univoque un monopole d’usage de l’œuvre, entendu comme un droit d’utilisation et pouvant faire l’objet d’un transfert ou d’une mise à disposition est a priori étranger au droit positif de l’appropriation du logiciel. Cette reconnaissance serait aussi contraire à l’économie de la propriété intellectuelle dans son ensemble540. L’utilisation, entendue comme la jouissance d’une œuvre, ne s’entend que de son exploitation541. Par exemple, si l’acte de diffusion opéré

535 H. Desbois, Le droit d’auteur en France, 3e éd. Dalloz, 1978, n° 17, p. 22.

536 J. Foyer et M. Vivant, Le droit des brevets, PUF, 1991, p. 9 ; M. Vivant (dir.), Les créations immatérielles et

le droit, Ellipses 1997. p. 22.

537 Notamment : J. M. Mousseron, J. Raynard, Th. Revet, De la propriété comme modèle, Mélanges Colomer, Litec 1993, p. 281 ; M. Vivant (dir.), Les créations immatérielles et le droit, op. cit., p. 9 et ss. ; du même auteur : « Touche pas à mon filtre ! », JCP E, 1993, I, p. 275, n° 25.

538 C’est bien cette qualité qui fonde les thèses concevant le contrat de droit d’auteur comme un démembrement plus ou moins étendu de ce droit.

539 Distinguer produits ou services, représenter et reproduire une œuvre de l’esprit, fabriquer et mettre sur le marché des produits ou procédés mettant en œuvre une invention brevetée…

540 Dans le même ordre d’idées, on a fait valoir que la propriété intellectuelle supposait un libre accès intellectuel à l’œuvre, l’opposant ainsi aux techniques de réservation par le secret : J. M. Mousseron et M. Vivant, Les mécanismes de réservation et leur dialectique : le « terrain » occupé par le droit, Cahiers du droit de l’entreprise, 1988, n°1, p. 2 ; M. Vivant, La privatisation de l’information par la propriété intellectuelle, RIDE 2006/4, t. XX, 4, p. 361, spéc. n° 5. – Libérer l’accès intellectuel à une création en contrepartie de son appropriation nous paraît donc antinomique de la notion de « droit d’utilisation » de l’œuvre.

541 En effet, faire usage d’un objet de propriété intellectuelle n’est autre chose qu’en recueillir les fruits en l’exploitant… encore que la reproduction et la représentation d’une œuvre sans recherche de profit constitue également un exercice du monopole. Comp. « Bénéficiaire de l’usage économique exclusif, le breveté a donc l’ « usus » caractéristique du droit de propriété : J. M. Mousseron, Le droit du breveté d’invention : contribution

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par le titulaire du droit d’auteur se fait en direction d’un public, seul cet acte de diffusion relève de l’exploitation de l’œuvre ; la réception de cette dernière par les sens du public relève, au mieux, du fait542.

Préalable nécessaire à la qualification de la licence de logiciel, cette position ne heurte en rien la reconnaissance d’une véritable propriété intellectuelle. Au contraire, elle préserve la légitimité d’une véritable appropriation utile socialement en veillant à la maîtrise de ses contours, propre à en freiner la dilution conceptuelle543. Car on ne doit pas inférer de la capacité de notre droit à admettre au rang de bien, puis de droits, les valeurs les plus diverses par leur nature ou leur utilité, que toute valeur soit appelée à être appropriée544. Il apparaît que notre système juridique désigne à ce titre le législateur, seul fondé à créer des régimes de propriété545. Certes, « Il n’y a pas de propriété intellectuelle sans reconnaissance du bien-information. »546, car si l’invention préexiste à l’invention brevetée, si le signe distinctif préexiste à la marque déposée, c’est bien qu’ils constituent des valeurs que le droit n’ignore pas. Mais de ce que la valeur intellectuelle, voire le « bien-information »547 suggère une

à une analyse objective, LGDJ, 1961. n° 249, v. également : Inventer, Centre du Droit de l’Entreprise,

Montpellier, 2001, p. 283.

542 Cpdt. incluant désormais la « captation » d’une œuvre audiovisuelle « en salle de spectacle cinématographique » dans le champ des actes de contrefaçon : art. L. 335-3 in fine du CPI.

543 On comparera les prétentions de beaucoup d’auteurs à admettre la vente ou la location d’un « droit d’usage » de logiciel avec cette proposition abandonnée sur les « créations réservées » : Ch. Le Stanc, La propriété intellectuelle dans le lit de Procuste : observations sur la proposition de loi du 30 juin 1992 relative à la protection des « créations réservées », D. 1993, Chron., p. 4. Si tout objet incorporel, toute valeur, est théoriquement apte à faire l’objet d’un droit de propriété, encore faut-il que la loi, c'est-à-dire la communauté, le désigne apte à revêtir cette qualité. Ce n’est plus le cas des logiciels, du moins pour ce qui est de leur simple usage, leurs fonctionnalités. Ensuite, si tout objet appréhendable par l’intelligence et représentant une valeur peut être approprié, quel avenir pour nos régimes de propriété intellectuelle ?

544 Selon le sens attaché à ces termes par : J. M. Mousseron, Valeurs, biens, droits, Mélanges Breton A. –

Derrida F., Dalloz, 1991, p. 277.

545 J.-Ch. Galloux, Droit de la propriété industrielle, Cours, Dalloz 2e éd. 2003, n° 26 ; Ch. Le Stanc, Logiciel : Trente ans entre droit d’auteur et brevet. Bilan ?, op. cit. – La doctrine majoritaire considère que la propriété est un instrument d’exception de la réservation. Elle doit à ce titre être consacrée par la loi. En ce sens, voir par ex. : J. M. Mousseron art. préc. § 11 ; J. Passa, Contrefaçon et concurrence déloyale, Litec, IRPI 1997, v. n° 78 et s. ; A. Chavanne, J.-J. Burst, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, 5e éd., n° 618 ; J. Schmidt-Szalewski, J.-L. Pierre, Droit de la propriété industrielle, Litec, 4e éd., 2007, n°1. Adde : D. Mainguy note sous : Cass. com. 22 oct. 2002 (Métro c. Go Sport), JCP G, II, 10 038.

546 M. Vivant, A propos des « biens informationnels », JCP, 1984, I, 3132.

547 Pour une synthèse des vues doctrinales sur la définition de l’œuvre et des rapports de celle-ci avec la notion d’information, v. notamment : A. Lebois, Le droit de location des auteurs et des titulaires de droit voisins, LGDJ, 2004, p. 29 et ss. L’auteur constate aussi très justement l’impossibilité de s’approprier l’information, employant une argumentation non dénuée d’intérêt : « Ce n’est pas le caractère immatériel de l’information qui s’oppose à son appropriation, mais le fait que l’information est communicable, autrement dit destinée à être partagée entre êtres humains. ». Ne pouvant être objet de rapports d’exclusivité, l’information ne peut être ni appropriée ni vendue. Il nous semble plus juste de souligner que la non-appropriation par principe des informations tient davantage d’un choix législatif, d’une convention nécessaire à la liberté des échanges, que de la nature spécifique de cette information (le droit sui generis protégeant, sous certaines conditions, le contenu d’une base de données, pourrait être vu comme une dérogation légale à ce principe). Nous ajouterons à cela qu’une exclusivité « de fait » peut néanmoins être construite autour d’une information, mais par une réservation : soit contractuelle, faisant intervenir des obligations de ne pas faire (secret, communication de savoir-faire, etc.)

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démarche d’appropriation et la rend concevable intellectuellement, on doit conclure qu’il ne se confond donc pas avec elle et n’en est, au mieux, que le prérequis548.

86. Valeur-usage et valeur-exploitation : Différents objets, différentes « choses » dans un logiciel. De ce fait, le logiciel, que l’on a pu présenter comme un « bien

informationnel », ne présente pas – à ce titre – de réelle unité au regard du droit. Il est composé de deux utilités, de deux valeurs, – l’outil incorporel et l’objet de propriété intellectuelle – susceptibles d’être utilisés par des personnes différentes, dans des buts différents, donnant lieu à deux formes de réservations et deux familles de contrats. L’un portera sur l’utilisation de l’information, des fonctionnalités de l’outil logiciel, constituant une sorte de « valeur d’usage » ; l’autre portera sur la réservation de prérogatives exclusives, opposables erga omnes, constituant le droit de propriété intellectuelle, et naturellement sur les usages bien connus que l’on peut faire de telles prérogatives (licence, voire cession de droit d’auteur), sorte de « valeur d’exploitation ».

§ 2 – Qualification de la « licence » d’utilisation de logiciel

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