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La conception de Monsieur Gautier est souvent rapprochée par d’autres

Dans le document La licence de droit d'auteur (Page 90-94)

DROIT D’AUTEUR

Section 2 – Nature du droit d’auteur et thèses retenant la distinction entre la cession et la licence

46. La conception de Monsieur Gautier est souvent rapprochée par d’autres

commentateurs353 d’une conception moniste-personnaliste, certes très atténuée pour correspondre au droit positif français. Davantage qu’un ralliement très explicite au monisme, pour cet auteur, c’est la conception dualiste qui est critiquée. Certes porteuse d’une valeur explicative en termes de régime, « elle distingue là où il ne faut peut-être pas distinguer »354. Monsieur Gautier décrit ainsi le droit d’auteur comme une prérogative une, composée de deux branches indivisibles355 au sein de laquelle le droit moral prévaut356. Au final, de l’aveu de l’auteur, cette thèse personnaliste « apparaît assez bien rendre compte de la particularité du droit d’auteur, mais elle est sans doute en décalage avec son évolution. »357. En dépit de cette originalité certaine reconnue au droit d’auteur, et alors même que cette prévalence reconnue

349 Ibid. n° 424.

350 En qualifiant le contrat d’édition dans son entier de « bail », l’auteur réalise la confusion, certes commune, entre le contrat d’exploitation impératif du droit d’auteur et de la licence (le bail) qui le fonde. Ce rattachement nous semble excessif en ce qu’il ne sert ni le contrat d’édition, qui est ramené à une formule simpliste, ni le modèle du bail, qui se voit affublé d’un contenu obligationnel qui lui est normalement étranger (sur ce débat, v. spéc. infra n° 468).

351 Ibid. n° 362. Mais envisagés séparément, ces droits réels sui generis peuvent faire l’objet de cessions ou de « concessions de droit personnel de jouissance ». (v. Ibid. n° 410 et ss.).

352 Pour des éléments de définition de cette conception du droit d’auteur V. supra, n° 33.

353 V. par exemple J.-S. Bergé, La protection internationale et communautaire du droit d’auteur. Essai d’une

analyse conflictuelle, LGDJ, 1996, n° 96 ; M. Josselin-Gall, Les contrats d’exploitation du droit de propriété littéraire et artistique. Etude de droit comparé et de droit international privé, GLN Joly, 1995, n° 6, note n° 14.

Citant toutefois l’édition de 1991 du Précis de P.-Y. Gautier, plus tranchée, semble-t-il, dans ce rattachement.

354 P.-Y. Gautier, op. cit., n° 17 ( 6e éd., non repris dans l’édition suivante).

355 P.-Y. Gautier, op. cit., 7e éd., PUF, 2010, n° 21.

356 Ibid. n° 19.

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au droit moral, droit extrapatrimonial, pourrait constituer un obstacle à l’admission de ventes et de baux, M. Gautier reconnaît pleinement la diversité des formules contractuelles de la matière. Ensuite, cet auteur les rattache explicitement aux formules du Code civil. Ainsi, la licence est une « sorte de louage d’œuvre »358 ; « Parfois, de simples concessions/locations seront octroyées, sans transfert de droits réels. L’exploitant n’a pas toujours besoin de devenir propriétaire, surtout lorsqu’il ne se sert que momentanément de l’œuvre. »359. M. Gautier se fait plus précis à propos du contrat de représentation, lui préférant le terme de « concession » (ce qui présente à notre sens le tort de confondre le contrat d’exploitation et la licence ou « concession » qu’il contient, débat que nous traiterons dans notre deuxième partie). Il s’agit pour M. Gautier d’un « curieux mélange de louage de choses et d’usufruit contractuel, plutôt proche de la catégorie des droits personnels que de celle des droits réels, puisque le monopole d’exploitation n’est ni transféré ni démembré. »360. Lorsque l’auteur a recours à la notion de contrat innommé pour qualifier certaines conventions connues de la pratique, ce sont pourtant des formules bien connues qui sont utilisées pour décrire ces opérations : usufruit, louage, commodat361. Les cessions sont également reconnues comme telles. Ainsi, le contrat d’édition est quant à lui qualifié de « variété de vente », quoique fortement dérogatoire au droit commun de ce contrat spécial362.

La doctrine de cet auteur prend une autre portée lorsqu’elle généralise l’opinion émise par Plaisant à propos des sociétés d’auteurs363 : les contrats du droit d’auteur seraient d’essence fiduciaire364. Il est vrai que l’argument est séduisant : l’un des reproches que l’on fera à la thèse du contrat à effet réel est que la situation d’un auteur et d’un exploitant semble étrangère à la « juxtaposition » du nu-propriétaire et de l’usufruitier que l’on rencontre en cas

358 Ibid. n° 560. V. du même auteur : Droit et Théâtre (Aix-en-Provence, 29 juin 2001) Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, Journées nationales, Tome VI PUAM 2003 ; du même auteur : Du contrat de précaire sur les images de cinéma, D. 1989, Chron., p. 113.

359 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 7e éd., PUF, 2010, n° 262. – Pour une référence aux notions de concession et de licence, v. du même auteur : L’accession mobilière en matière d’œuvres de l’esprit : vers une nouvelle querelle des Proculéiens et des Sabiniens, D. S., 1988, p. 152, spéc. n° 1 et in fine.

360 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, op. cit., n° 616.

361 V. en particulier : P.-Y. Gautier, Du contrat de précaire sur les images de cinéma, art. préc.

362 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, op. cit., n° 561 ; du même auteur : « Sur ce que les logiciels sont bien susceptibles d’être l’objet d’un contrat de vente et des conséquences qui s’en suivent », obs. sous Cass. com. 9 nov. 1993, RTD civ. 1994, p. 373.

363 R. Plaisant, J.-Cl. PLA, (ancien) fasc. 12 (Sociétés d’auteurs), n° 22, p. 8, (lu dans : A. Schmidt, Les sociétés

d’auteurs S.A.C.E.M. – S.A.C.D. Contrats de représentation, LGDJ, 1971, n° 155, p. 140). – En ce sens, opérant

une véritable tentative de qualification : Ch. Hugon, Le régime juridique de l’œuvre audiovisuelle, Litec, 1993. – L’idée d’un « transfert fiduciaire » ne semble pas limitée au droit français : v. G. Kourmantos, Règles générales sur les contrats de droit d’auteur dans la nouvelle loi hellénique, Propriétés intellectuelles, Mélanges en

l’honneur de André Françon, Dalloz 1995, p. 311, spéc. p. 320 364 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, op. cit. n° 473.

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de démembrement de propriété365. La fiducie, tout en utilisant le mécanisme du transfert de propriété, nous semble devoir remettre en cause cette lecture, le transfert étant finalisé. Il nous est cependant permis de soutenir que le terme de fiducie semble plutôt employé par l’auteur à titre d’analogie, voire à titre pédagogique, qu’en vue d’une qualification juridique destinée à recevoir un régime précis, autre que celui que fournit déjà le Code de la propriété intellectuelle. En effet, l’argument d’une inadéquation de régime n’est certes pas péremptoire, en raison des évolutions que pourrait connaître cette formule contractuelle nouvellement introduite dans notre droit. Nous relèverons toutefois qu’en droit positif, un contrat d’auteur régulièrement conclu auquel l’on tenterait d’appliquer le régime de la fiducie-gestion tel que consacré aux articles 2011 et ss. du Code civil366 encourrait la nullité à de trop nombreux chefs367.

Ces considérations mises à part, la banalité des contrats du droit d’auteur réduits à des ventes et des louages368, souffrant certes des dérogations, est à mettre en relation avec la réticence de l’auteur à relier le droit d’auteur dans son ensemble au droit de propriété. Si on lit bien dans les écrits de M. Gautier la volonté affirmée de replacer la propriété littéraire et artistique dans le giron du droit civil369, cette appartenance passerait davantage par divers éléments de régime, dont l’outil contractuel, que par la nature du droit lui même.

47. Thèse de Monsieur Montels. L’idée d’un rapprochement des contrats

d’auteur avec les notions de fiducie ou d’intérêt commun est suivie et davantage précisée en termes de régime par M. Montels dans sa thèse. Cet auteur exprime fortement le caractère personnel du droit d’auteur, et notamment de ses prérogatives pécuniaires, en des termes comparables à ceux de M. Gautier. Quoique prudemment, il opte pour une conception moniste personnaliste du droit d’auteur370. En revanche, en matière contractuelle, il reconnaît

365 L’argument est soulevé par M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur, Dalloz, 2009, n°642, note n° 2.

366 Articles 2011 à 2030 du Code civil, issus de la loi n° 2007-211 du 19 févr. 2007, instituant un titre « De la fiducie » en lieu et place des articles anciennement occupés par le cautionnement. – Notons que la fiducie a vu son régime plus récemment complété par l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janv. 2009, aux articles 2488-1 et ss., mais ce complément de régime prend place dans un chapitre « De la propriété cédée à titre de garantie » et ne concerne que ce que l’on désigne comme étant la fiducie-sûreté.

367 Art. 2013 C. civ. sur l’intention libérale exclue de l’opération, rare, mais à ne pas exclure en droit d’auteur ; art. 2015 sur la qualité du fiduciaire ; art. 2018 portant exigence d’un écrit ad validitatem et limitant la durée du transfert à 99 ans, ou encore art. 2019 imposant un enregistrement à peine de nullité.

368 Par ex. P.-Y. Gautier, Sur ce que les logiciels sont bien susceptibles d’être l’objet d’un contrat de vente et des conséquences qui s’en suivent, v. obs. préc.

369 P.-Y. Gautier, op. cit, 6e éd., non repris dans l’édition suivante, v. « Avant-propos », p. 11.

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et met en pratique la distinction entre cessions et licences371. La licence apparaît même comme une nécessité, le terme de cession, utilisé pour les éditeurs et les producteurs, ne traduisant pas la nature juridique des sous-contrats (contrats de représentation), notamment des télédiffuseurs d’œuvres audiovisuelles372. Le constat de Monsieur Montels est à ce titre des plus éclairants : « Les praticiens – à l’inverse de ce qui est généralement constaté – n’ont pas imaginé pour la diffusion des œuvres audiovisuelles une nouvelle formule contractuelle caractérisée par sa complexité. Ils ont seulement contribué à l’enrichissement du contenu du louage de choses du Code civil étendu ainsi aux droits d’auteur. »373. Selon cet auteur, la cession, quoique reconnue374, reste néanmoins assez éloignée du transfert pur et simple en raison du lien maintenu entre l’auteur et l’exploitant. Le constat se fonde principalement sur l’analyse des rapports entre l’auteur et le producteur. Ce dernier se voit attribuer une propriété, mais une « propriété-fonction », c’est-à-dire finalisée, fiduciaire375, destinée à être exploitée et au final, différente du monopole de l’auteur376. Une critique que l’on peut formuler au tableau de M. Montels est que cette division entre cession et licence est calquée en partie sur la division droit de reproduction – droit de représentation377, rapprochement traditionnel que nous aurons l’occasion de critiquer plus loin.

48. Conclusion. A une approche du droit d’auteur empreinte de personnalisme, la

doctrine développée par ces auteurs joint donc une admission de principe des ventes et des locations. Elle offre en ce sens une illustration supplémentaire de non-adéquation de la conception retenue pour le droit avec la conception retenue pour qualifier sa mise en œuvre contractuelle. La démarche peut être rapprochée, mais a contrario, des analyses de Mmes Robin, Neirac-Delebecque ou Alma-Delettre, qui avec des variantes, admettent la qualification de propriété, mais consacrent une certaine originalité du système contractuel en le rattachant exclusivement à la formule de « cession » prise au sens large de contrat à effet réel.

371 La distinction et le recours à la notion de licence apparaissent à de nombreuses reprises dans cet ouvrage. V. notamment Ibid. n° 25 et n° 98 et ss. 372 B. Montels, thèse préc., n° 224 et ss. 373 Ibid. n° 102. 374 Ibid. n° 99. 375 Ibid. n° 29 et ss. 376 Ibid. n° 32. 377 Ibid. n° 100.

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§ 3 – Dualismes et admission des cessions et des licences

49. Variété des thèses dualistes. La thèse dualiste déjà observée n’est pas unie, et

connaît d’importantes variantes, qui portent nous semble-t-il sur deux niveaux d’appréciation. D’une part, selon les conceptions retenues, l’une des prérogatives (souvent le droit moral) aura tendance à prévaloir sur l’autre ; d’autre part, la nature exacte de ces prérogatives sera sujette à discussion (authentique droit de propriété et de la personnalité ou ersatz de ces grandes catégories). Deux catégories émergent cependant, selon que prime l’aspect « personnalité » ou l’aspect « propriété », qualifié comme tel. Nous ne saurions cependant entrer dans ces nuances, car la catégorisation serait excessive et n’apporterait que peu au débat.

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