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Ces exemples permettent de constater que l’élection d’une qualification du

Dans le document La licence de droit d'auteur (Page 86-90)

DROIT D’AUTEUR

Section 2 – Nature du droit d’auteur et thèses retenant la distinction entre la cession et la licence

44. Ces exemples permettent de constater que l’élection d’une qualification du

44. Ces exemples permettent de constater que l’élection d’une qualification du

droit d’auteur en termes de droit intellectuel peut se traduire par l’élection d’un système contractuel des plus banals de cessions et de licences. On remarquera à présent avec intérêt la même tendance s’agissant d’une autre conception, qui s’efforce de tenir le droit d’auteur à

324 « Parce qu’ils constituent ainsi une charge, qui pèse sur une chose et restreint les pouvoirs dont dispose sur elle la personne qui en a la propriété, il semble tout à fait possible de reconnaître à ces droits la nature de droits réels », Ibid., n° 1511.

325 Comp. F. Zenati, Du droit de reproduire les biens, D. 2004, p. 962. L’argumentaire, repris par M. Berlioz, s’appuie sur un arrêt qui ne relève plus, nous semble-t-il, du droit positif : Cass. civ. 25 juillet, 1887, DP, 1888, I, 5, note Ch. Lyon-Caen.

326 P. Berlioz, La notion de bien, LGDJ, 2007, n° 1520 et ss.

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distance de la propriété tout en revendiquant un certain classicisme lorsqu’il s’agit de qualifier le contrat d’exploitation.

45. Thèse328 de Monsieur Raimond. Cette thèse présente l’intérêt majeur d’une

tentative de relier la problématique de la qualification contractuelle avec la recherche d’une qualification du droit d’auteur329. Concernant la qualification du droit d’auteur, dans un premier temps, M. Raimond s’applique à rejeter les différentes qualifications concurrentes et connues du droit d’auteur, au motif principal de leur caractère dit « synthétique ». Parmi ces qualifications « synthétiques » : les différentes variantes du monisme-réalisme et du dualisme sont dites « neutres », car elles supportent les qualifications contractuelles du Code civil330. Ces qualifications sont néanmoins écartées331. D’autres qualifications également rejetées, également « synthétiques », sont dites « influentes », car elles se trouvent être des obstacles à la transposition du modèle vente-louage : monisme-personnalisme, droit intellectuel, droit de créance332. Que penser de cette présentation de la matière ? Nos pages qui précèdent ne peuvent qu’infirmer le constat de M. Raimond. Ces catégories (monismes, dualismes, droits intellectuels) ne sont pas des données intangibles, mais des constructions doctrinales vivantes, soutenues par des textes et la jurisprudence. Or, nous constatons que, d’une part, les promoteurs de la nature originale du droit d’auteur (droits intellectuels par exemple), sont amenés à reconnaître des qualifications contractuelles si ce n’est pleinement « civilistes », du moins reconnaissant une variété de formules333. Nous savons d’autre part que nombre d’auteurs partisans de qualifications supposées « neutres » du droit (propriété ou dualisme) sont appelés à rejeter ces qualifications334. Certes, nous nous appliquons à souligner les incohérences provoquées par ces qualifications divergentes du droit et du contrat ; néanmoins, on ne saurait nier l’existence de telles lectures. Ensuite, c’est lorsque M. Raimond s’attache à donner sa propre conception du droit d’auteur que sa riche analyse nous paraît critiquable. Ainsi la qualification de droit intellectuel et l’originalité des contrats qu’elle supposerait est-elle critiquée – à juste titre – comme le « renoncement que constitue l’adoption d’une

328 Nous citerons ailleurs cette importante thèse dans sa version publiée (S. Raimond, La qualification du contrat

d’auteur, Litec, IRPI, 2009). Cependant, nous avons lu les éléments qui composent ce paragraphe dans sa

version dactylographiée comportant de très légères différences de forme (S. Raimond, La qualification des

contrats d’auteur, Thèse, Paris 12, 2008). Nous ferons donc référence, dans ce passage, à notre source

« originale ».

329 S. Raimond, La qualification des contrats d’auteur, Thèse, Paris 12, 2008, n° 270.

330 Ibid. n° 271.

331 Dans le cadre de cette étude, nous ne pouvons que renvoyer à l’argumentaire de cet auteur. V. Ibid. n° 291.

332 Ibid. n° 273 et ss.

333 Au premier rang desquels Roubier, v. supra n°40.

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qualification sui generis. »335. Or, c’est pourtant bien à un renoncement de même nature que se résout M. Raimond, lorsqu’il qualifie le droit d’auteur de droit sui generis ou, davantage encore, comme des miscellanées de droits sui generis. L’auteur plaide en effet en faveur d’une conception dite « analytique » du droit d’auteur, qui postule l’hétérogénéité – au sein même des catégories des droits moraux336 et des droits patrimoniaux – de chacune des prérogatives reconnues à l’auteur337. Cette œuvre de « déconstruction » de la matière suppose donc la démonstration que le droit d’auteur, y compris dans sa branche patrimoniale, ne constitue pas un droit de propriété338 mais un ensemble hétérogène de « droits réels sui generis »339. Ainsi, le droit de reproduction et le droit de représentation (et non la chose, l’œuvre) constituent « deux biens distincts, alors que s’agissant de choses corporelles, le droit de propriété constitue un seul bien. »340. Or, à supposer cette conception analytique appliquée à la propriété des choses corporelles, elle imposerait de voir en elle non pas « un seul bien », mais autant que le nombre d’usages que l’on pourrait imaginer ! Ailleurs, l’auteur précise sa vision : « (…) tandis que le droit de propriété classique est défini de façon synthétique, le droit de propriété littéraire et artistique résulte d’une conception analytique : il n’est qu’un contenant, son contenu étant composé non pas d’un ensemble déterminé d’utilités, mais d’un ensemble déterminé de droits : prérogatives morales, droits patrimoniaux obéissant chacun à un régime propre. »341. L’opposition paraît ici aller de soi entre le prétendu caractère « analytique » du droit d’auteur et le caractère « synthétique » de la propriété. Or, cette interprétation nous paraît au contraire en complète contradiction avec le droit positif. Nous pensons qu’à l’instar des autres régimes de propriété intellectuelle, le droit d’auteur, pour synthétique qu’il soit, obéit en revanche à un principe de spécialité. La nature intangible, formalisée mais dépourvue de corps, de la chose immatérielle appropriée impose pour des raisons pratiques la définition légale de ses utilités. Cet énoncé d’utilités est simplement inutile pour les choses corporelles, ces utilités s’imposant d’elles-mêmes à la perception de chacun. Au contraire, en matière d’œuvres de l’esprit et en l’absence de corpus, il importe de préciser que la propriété de l’auteur n’existe que pour certains objets et actes : l’acte de

335 S. Raimond, op. cit., n° 284.

336 Ibid. n° 322 ; n° 344.

337 Ibid. n° 324 et ss.

338 Ibid. n° 316 et ss. Citons comme arguments l’absence d’un droit complet de jouissance (problématique de

l’usus), et surtout l’absence d’un pouvoir de disposer de la chose.

339 Sont ainsi désignés le droit de représentation et le droit de reproduction (v. op. cit. n° 333) et les différents droits rattachés au droit de reproduction (v. n° 336). En revanche, le droit de suite est « qualifié » de droit sui

generis absolu : (v. n° 337). 340 S. Raimond, op. cit., n° 315.

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représentation de l’œuvre par exemple, et non le fait de sa contemplation ; l’acte de reproduction d’un logiciel et non l’utilisation de ses fonctionnalités par un système informatique342. L’énoncé des utilités obéit par ailleurs à d’autres nécessités, à commencer par les droits des « non-propriétaires », par nature exclus de cette propriété : l’intérêt du public, ou les libertés d’informer et de créer, par exemple343.

En matière de qualifications contractuelles, en revanche, M. Raimond s’applique à rattacher les contrats du droit d’auteur à des formules connues. Mais il lui faut pour cela démontrer que ces qualifications ne sont pas en contradiction avec la qualification sui generis proposée préalablement pour le droit d’auteur344. Le droit d’auteur ne peut faire l’objet d’une vente au sens de « transfert de propriété », l’attribut patrimonial n’étant pas globalement cessible345. Par contre, pris isolément, les « droits réels sui generis » que constituent les droits patrimoniaux peuvent faire l’objet de véritables transferts (et non seulement de démembrements), étant précisé que la vente du droit commun doit s’entendre de la cession de tous droits patrimoniaux, réels ou personnels, et non du seul transfert de propriété346. Cependant, comment expliquer l’existence de transferts définitifs mais non exclusifs envisagés par le CPI ? Le démembrement d’un droit exclusif devrait l’être également, affirme M. Raimond, à moins de méconnaître la nature du droit démembré347. La difficulté est résolue par l’affirmation selon laquelle le transfert ne porte plus dans ce cas que sur les fruits du monopole : « De fait, il apparaît que l’effet translatif qu’évoque le code de la propriété intellectuelle en l’absence même d’exclusivité porte sur les fruits du monopole d’exploitation : chaque opération de reproduction ou de représentation conduit en fait à un résultat, une valeur immatérielle qui constitue l’objet d’un droit de propriété (…) »348. Dès

342 Sur la nature de cette « autorisation », v. infra n° 83 et ss. ( division consacrée à la qualification de la « licence » d’utilisation de logiciel ).

343 Autre critique enfin à cette lecture « analytique » : par sa vision du droit d’auteur en une addition de prérogatives, l’auteur fige dans le marbre la présentation du droit d’auteur en deux grands droits d’exploitation (auxquels s’ajoutent le droit de suite et les droits rattachés au droit de reproduction). Or, nous savons que cette structure, bien qu’inscrite dans la loi, n’est que le fruit de la nécessité technique et d’une époque où l’exploitation d’une œuvre passe par deux moyens distincts : la reproduction et la représentation. On sait que cette présentation est aujourd’hui critiquée. Comme toute construction juridique fortement inspirée par un état donné de la technique, fût-il l’héritage d’un lointain et prestigieux passé, elle n’a pas vocation à demeurer éternellement. Le législateur pourra être amené à préciser l’étendue du monopole conféré à l’auteur, ce qui ne signifie pas nécessairement la naissance de nouveaux « droits » : on songe au droit d’exploitation numérique, au droit de distribution ou à un hypothétique droit d’accès. (Cela nous incitera, suivant d’autres auteurs, à dépasser l’énoncé des prérogatives accordées à l’auteur, qui n’est rendu nécessaire que par la nature immatérielle de la chose, pour en induire leur nature, qui est celle d’une propriété).

344 S. Raimond, op. cit., n° 345 et ss.

345 Ibid. n° 321.

346 Ibid. n° 346.

347 Ibid. n° 389 et n° 425.

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lors, « Dans la mesure où l’effet translatif ne porte que sur les fruits, il ne s’opère pas transfert du droit exclusif d’exploitation : il est alors concevable de céder à plusieurs personnes une partie des fruits de l’exploitation. »349. La qualification de bail pose moins de problèmes et semble découler a fortiori de la possibilité de vendre ces droits. Le bail350 est alors susceptible de porter lui aussi un effet translatif, relatif aux seuls fruits du droit d’exploitation351. Cet exemple nous montre qu’une qualification sui generis du droit d’auteur peut être conçue pour être associée à une qualification « ordinaire » des contrats. Néanmoins, l’effort explicatif et les nuances apportées au cours de ce rattachement montrent que cette association ne brille certes pas par son évidence.

§ 2 – Doctrine proche du monisme-personnalisme352 et admission des cessions et des licences

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